Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Notre ami Pepe Mujica

Vous connaissez Pepe ? Dans les années héroïques, il a milité avec les Tupamaros en Uruguay, que tout le monde connaissait comme les Tupas. Le régime en avait tellement peur que les journalistes n’avaient pas le droit de mentionner leur nom, ce qui fait qu’on les appelait les « innommables ». Les Tupas étaient une réponse légitime aux gorilles qui dirigeaient ce pays. Ils ont organisé diverses actions pour défendre les pobladores dans les bidonvilles. Ils intimidaient le 1 % et les États-Unis, dans une époque qui était comme le disait José Marti (poète cubain) l’heure des brasiers. Plus tard, les Tupas sont allés trop loin dans leurs aventures guérilléristes. C’est bien raconté dans le film de Costa-Gavras, « État de siège ». Ils ont été neutralisés, arrêtés, torturés, assassinés. Des centaines de camarades sont disparus. Mais en fin de compte, ils ont survécu.

Pour nous dans les années 1970, cette expérience était importante. Nous avons mieux compris la futilité du robin-des-bois-isme, au moment où le FLQ tournait en rond et pire encore devenait un obstacle pour la gauche.

Plus tard, les Tupas sont revenus à la vie politique. Pepe entre autres avait une aura fantastique : le résistant, le gars le plus honnête au monde, celui qui « parle vrai », avec sa femme adorée, Lucía Topolansky (également sénatrice). Les partis et les médias ont bien tenté de le dénigrer (un « terroriste »), mais en 1994, il a été élu sous la bannière de son Mouvement de libération nationale - Tupamaros. Par la suite, il s’est battu comme un déchaîné pour unir la gauche (qui est devenue le « Frente Amplio », le Front large), comme ce qu’a fait ici notre cher disparu François Cyr. Il a réussi son pari et en 2010, il est devenu président de la république.

Aujourd’hui, tout le monde l’appelle par son petit nom. Il déambule dans sa vieille volks avec Lucia. Il redonne 90% de son salaire présidentiel aux associations. Il vit dans la petite ferme de sa femme, à quelques kilomètres de la capitale, avec son fameux chien à trois pattes, l’autre amour de sa vie. Il a proposé de transformer la résidence officielle du président en refuge pour les sans-abri.

Au-delà du « héros ordinaire » qu’il est pour la majorité de ses concitoyen-nes. Pepe tente de gouverner ce petit pays (3,3 millions d’habitants), coincé entre l’Argentine et le Brésil. Il lutte dans des conditions d’une extrême adversité, contre un capitalisme globalisé et anonyme, qui pratique l’évasion fiscale, la prédation des environnements naturels et la manipulation médiatique. Il fait de grandes batailles des idées contre les institutions réactionnaires, notamment la hiérarchie de l’Église catholique (il a partiellement légalisé l’accès à l’avortement et légalisé le mariage gai). Il aussi légalisé la marijuana, enlevant aux réseaux occultes le contrôle sur une partie importante de l’économie. Il essaie avec d’autres gouvernements de gauche en Amérique du Sud de donner une âme au processus d’intégration régionale (le Mercosur) pour construire un espace latino-américain capable de tenir tête aux mondialiseurs.

La droite, aussi vulgaire en Uruguay qu’au Québec, le décrit comme une espère de « fou rêveur ». Il raconte, dans une belle entrevue (en espagnol avec sous-titres en anglais) que pour lui, le capitalisme détruit l’humanité avec un « individualisme possessif » (1). L’éloge de la modestie, de la pudeur, du respect des autres, illumine les propos de Pepe comme le soleil après la pluie. Il dit et il sait qu’il ne pourra pas « sauver » l’Uruguay. Sa gouvernance est un « outil », un « encouragement » pour que les gens ordinaires prennent leurs choses en main, par la force des mouvements. Dans son propos ressort beaucoup d’amour. Il aime son peuple et son peuple l’aime, sans le côté « grand chef suprême » qui déforme parfois le rôle et la place des leaders politiques de gauche.

Avec Pepe et d’autres héros inconnus de ce monde, la gauche se réinvente. Non seulement Pepe sauve l’honneur, mais il indique qu’après tout, malgré tout et avec tout, on peut gagner.

(1) http://www.aljazeera.com/programmes/talktojazeera/2013/10/jose-mujica-i-earn-more-than-i-need-2013102294729420734.html)

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