Édition du 30 avril 2024

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Québec

OH my God !

La question « était loadée ». C’est en ces mots que le premier ministre François Legault fulminait au sujet de la question-torpille posée par Shachi Kurl au chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet, lors du débat télévisé en anglais de la campagne électorale fédérale[1].

Catherine Caron
tiré de la revue Relations, no 815, hiver 2021-2022.

De la part d’un fervent nationaliste qui prétend que la langue française au Québec est ce qu’il y a de plus important, c’est gênant. Mais même en cette période de débats sur le projet de loi 96 (qui modifie la Charte de la langue française) présenté par le gouvernement caquiste et dont l’adoption est certaine, cela ne semble faire sourciller personne. Après tout, on entend régulièrement des francophones parler de leur bingewatching de séries télé, dire qu’ils ont multi-taské toute la journée ou cherché des employés qui ont des skills pour leur team. C’est sans parler de toutes ces personnes flabbergastées par divers phénomènes qu’elles trouvent de plus en plus awkward.

Peu de francophones échappent à une certaine anglophilie au Québec. Si, jadis, la domination anglaise expliquait la nature colonisée du parler québécois, aujourd’hui, alors que nous sommes certes « maîtres chez nous », l’influence de l’hégémonie culturelle anglo-saxonne reste manifeste, ici comme ailleurs. La musique et les séries américaines abreuvent une bonne partie de la population, du salon de coiffure jusqu’aux cercles médiatiques et universitaires. Leur influence sur la langue s’entend, à la faveur d’une mondialisation qui étend la présence de l’anglais dans les activités commerciales, académiques et j’en passe.

Certes, le français, l’anglais, voire d’autres langues peuvent ici s’entrecroiser de manière créative dans le hip-hop ou le slam, par exemple, et il importe qu’une langue ne soit ni calquée, ni figée, mais bien vivante et féconde. Toutefois, ne devrions-nous pas nous questionner davantage sur ce que cela signifie lorsque nous n’arrivons plus à nous dire, à nous exclamer et à jurer dans notre propre langue plutôt qu’en disant WTF ? Quand nous pensons que notre langue ne nous offre jamais le bon mot et que nous préférons puiser à l’anglais – et non pas à d’autres langues – dans une relation sans réciprocité ? Plusieurs s’imaginent même que l’anglais est plus simple, une idée fausse que le linguiste Claude Hagège démolit de main de maître dans Contre la pensée unique (Odile Jacob, 2012), appelant à protéger la diversité des langues du monde contre l’hégémonie de la nouvelle lingua franca.

L’attitude insouciante, voire décomplexée de nombreux francophones à l’égard de l’anglais, y compris chez ceux et celles qui veulent pourtant protéger les langues minoritaires, est la toile de fond inavouée du projet de loi 96. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce projet, malgré ses mérites, n’offre à certains égards qu’une défense de façade du français. Incapable d’agir sur ce qui en nous-mêmes ne résiste pas à l’attrait de l’anglais dans nos vies, cette défense agira faiblement sur nos résistances vacillantes face à la persistance d’un impérialisme culturel anglo-saxon.

Mais du côté des caquistes, il ne s’agit pas de se regarder dans le miroir et de confronter la majorité francophone à son anglophilie courante, à son engouement élitiste pour les cégeps anglophones ou au taux alarmant d’analphabétisme qui prévaut dans notre société pourtant si riche. Il s’agit plutôt de braquer les projecteurs sur les autres, sans lier suffisamment le souci de la langue aux enjeux plus larges de la culture et des conditions de vie et, surtout, sans admettre à quel point les francophones au Québec participent à leur lente assimilation vers l’anglais.

Certains de ces « autres » ont bien fait valoir en commission parlementaire qu’il est pourtant possible d’agir pour la sauvegarde du français au Québec, tout en respectant l’esprit d’ouverture à l’égard des personnes immigrantes qu’a insufflé à la loi 101 son concepteur, Camille Laurin, avec une « vision essentiellement humaniste […] d’une langue commune au sein d’une société plurielle[2] ». On sacrifie cet esprit lorsqu’on vise à interdire des usages possibles d’autres langues que le français dans nos hôpitaux, par exemple, et bien qu’il y ait des exceptions, pour communiquer avec des personnes immigrantes en besoin d’aide et d’empathie.

L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador est quant à elle allée plus loin, exigeant avec raison le respect intégral des droits constitutionnels et fondamentaux des peuples autochtones, qui incluent le droit, partout où ils vivent dans la province, d’étudier dans leur langue maternelle, qu’il s’agisse de leur langue ancestrale ou seconde (le français ou l’anglais donc).

Ces voix seront-elles entendues ? On peut en douter. Enfermés dans un nationalisme à la sauce comptable, rares sont les caquistes qui prendront même connaissance de ces interpellations, malheureusement. Si d’aventure ils le faisaient, parions qu’ils pousseraient un Oh my God ! bien senti.

[1] Voir Le Devoir du 11 septembre 2021.
[2] Lire le mémoire déposé à la commission parlementaire sur le projet de loi 96 par la professeure Jill Hanley, avec d’autres chercheurs et chercheuses.

Catherine Caron

Rédactrice en chef adjointe de la revue Relations.

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