Édition du 30 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Pékin réprime à bas bruit les protestataires du « mouvement de la page blanche »

Deux mois après les manifestations pour dénoncer la politique « zéro Covid » en Chine, où des slogans hostiles au Parti communiste avaient été lancés, la police a interpellé plus d’une centaine de personnes qui y avaient participé. Les activistes féministes semblent particulièrement visées.

Tiré de Médiapart.

eLe proverbe chinois pour signifier que l’on prend tranquillement sa vengeance – « C’est après la récolte d’automne que l’on règle les comptes » – n’a jamais été autant d’actualité. Deux mois après les manifestations inédites contre la politique « zéro Covid » qui avaient eu lieu dans une trentaine de villes, dont Shanghai et Pékin, les organisations de défense des droits humains alertent sur les interpellations d’un certain nombre de personnes qui y ont participé.

La police chinoise cible en particulier de jeunes figures féministes qui ont osé défiler et défier le Parti communiste chinois (PCC).

Fin novembre, des dizaines de milliers de personnes avaient participé à ces protestations à la suite d’un incendie meurtrier à Urumqi, la capitale de la région autonome du Xinjiang, dans le nord-ouest du pays. Ces manifestations avaient gagné le surnom de « mouvement de la feuille blanche », car nombre de protestataires montraient des feuilles A4 vierges. Le blanc est la couleur du deuil en Chine, mais ces feuilles symbolisaient aussi la censure imposée par le régime de Xi Jinping, numéro un depuis 2012. Tout ce que ces Chinois et Chinoises auraient aimé dire, mais ne pouvaient pas exprimer en raison de la censure.

Pour l’heure, personne ne peut dire combien de personnes ont été arrêtées, souligne Maya Wang, directrice associée pour l’Asie à Human Rights Watch (HRW). Mais ce qui frappe, c’est que nombre d’activistes féministes sont ciblées. « Le féminisme est une force puissante qui traverse l’activisme aujourd’hui, que ce soit aux États-Unis, en Chine mais aussi en Iran », explique-t-elle à Mediapart.

À Pékin, un groupe d’amies a par exemple été visé. Parmi elles, Cao Zhixin, une femme de 26 ans travaillant à la maison d’édition de l’université de Pékin (Beida), l’un des établissements les plus prestigieux du pays. Le 27 novembre au soir, elle et cinq de ses amies se sont rendues à un rassemblement à Pékin pour rendre hommage aux victimes de l’incendie d’Urumqi. Elles ont apporté des fleurs et des bougies, ainsi que des feuilles blanches. Trois jours plus tard, elles ont été convoquées par la police, puis relâchées au bout de 24 heures après avoir été sermonnées.

  • Au moment où vous verrez cette vidéo, j’aurai déjà été interpellée par la police, comme plusieurs de mes amies.
  • - Cao Zhixin, 26 ans

Mais à partir du 18 décembre, elles ont été arrêtées les unes après les autres. Pressentant qu’elle allait être la prochaine sur la liste, Cao Zhixin a enregistré une vidéo et demandé à des proches de la mettre en ligne si elle disparaissait. « Bonjour à tous, je m’appelle Zhixin, j’ai demandé à des amis de rendre publique cette vidéo après ma disparition. En d’autres termes, au moment où vous verrez cette vidéo, j’aurai déjà été interpellée par la police, comme plusieurs de mes autres amies. »

Elle y raconte pourquoi elle s’est rendue au rassemblement du 27 novembre au soir. « J’ai 26 ans. J’ai été diplômée il y a un an et demi. Je suis éditrice dans une maison d’édition. Mes amies et moi avons le même âge. Nous avons un métier. Nous nous intéressons à la société dans laquelle nous vivons, et lorsque nos compatriotes sont morts, qu’ils ont été frappés par la catastrophe, nous avons voulu exprimer nos émotions légitimes. Nous étions remplies de compassion pour ceux qui ont perdu la vie, et c’est le cœur lourd que nous avons rejoint la foule des personnes en deuil au bord de la rivière Liangma cette nuit-là. »

Quatre de ses amies ont été arrêtées sous l’accusation d’avoir « cherché à provoquer des conflits et troublé l’ordre public », un délit utilisé fréquemment par les autorités pour faire taire les voix dissidentes et qui peut entraîner jusqu’à cinq ans d’emprisonnement (article 293 du droit pénal chinois). L’une d’elles, Zhai Dengrui, étudiante diplômée en littérature anglo-saxonne, est connue pour son engagement féministe. Selon les témoignages de ses proches, elle avait organisé au tout début de la pandémie un groupe de lecture du roman d’Elena Ferrante, L’Amie prodigieuse.

Des arrestations ont également eu lieu dans d’autres villes, notamment à Shanghai. Quelques personnes ont été relâchées. Selon HRW, « les autorités ont libéré quelques manifestants sous caution, dont la journaliste Yang Liu, basée à Pékin, et la cinéaste et journaliste Qin Ziyi, basée à Shenzhen ». Cette dernière est une ancienne élève en sociologie de l’université de Chicago, dont le Centre d’études sur l’Asie de l’Est a publié un communiqué réclamant sa libération. Elle s’est également fait remarquer pour son travail comme journaliste au sein du groupe Caixin sur des sujets sensibles, puis s’est lancée dans la réalisation de films après une formation à Hong Kong.

Le réseau Chinese Human Right Defenders tente d’établir la liste des personnes arrêtées : « Nous estimons qu’au moins une centaine de personnes ont été détenues, et que certaines d’entre elles ont été simplement relâchées ou libérées sous caution en attente d’un procès, indique le réseau. En vertu du droit chinois, les prévenus libérés sous caution en attente d’un procès peuvent voir les charges retenues contre eux abandonnées s’ils ne commettent pas d’autres violations de la loi, mais ils restent souvent sous étroite surveillance policière pendant un an. Dans d’autres cas, impliquant des noms inconnus ou d’autres détails, les membres de la famille hésitent à rendre l’affaire publique par crainte de représailles de la part du gouvernement chinois. »

C’est depuis les États-Unis que Kewser Wayit, un ingénieur d’origine ouïghoure, a dénoncé dans une vidéo diffusée sur Twitter l’arrestation de sa sœur Kamile, une étudiante âgée de 19 ans. Contacté par Mediapart, il explique que cette dernière a été interpellée le 12 décembre, alors qu’elle était de retour chez ses parents au Xinjiang en provenance de la province centrale du Henan, où elle étudie. Il est reproché à Kamile d’avoir posté sur les réseaux sociaux des vidéos liées aux manifestations de fin novembre. « Comment une jeune fille innocente de 19 ans peut-elle représenter une menace pour la seconde puissance mondiale ? », demande son frère.

François Bougon

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