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Pierre Poilievre tente du jour au lendemain de changer son image

Le soir de sa victoire à la tête du Parti conservateur, Pierre Poilievre a présenté une version plus douce de lui-même, mais les journalistes et le grand public ne devraient pas passer sous silence le politicien qu’il s’est montré être dans le passé.

12 septembre 2022 | tiré de Rabble.ca

Le 8 septembre 2022, le prince Charles est devenu le roi Charles III et en un instant, un être humain imparfait a acquis toute la gravité et la dignité de l’héritier d’un millénaire d’histoire royale.

De la même façon, lorsque Pierre Poilievre a accepté l’appui écrasant du Parti conservateur canadien samedi soir dernier, il a immédiatement décidé de se débarrasser de son personnage de mauvais garçon et de se transformer en quelque chose qui ressemble à un chef crédible de l’opposition loyale de Sa Majesté.

Dans son premier discours en tant que nouveau chef conservateur, Poilievre n’a pas dit un mot sur la crypto-monnaie. Il n’a pas promis de congédier le gouverneur de la Banque du Canada. Il n’a pas répété son appel rituel à retirer le financement de la Société Radio-Canada. Il n’a pas dit un mot sur son soutien au soi-disant convoi de la liberté ; il n’a pas non plus dénoncé le méchant Forum économique mondial. Et si le nouveau dirigeant n’a pas exactement embrassé l’environnementalisme, il ne s’est pas livré à un déni pur et simple de la science du climat.

Au lieu de ses toquades habituelles, Poilievre a choisi de parler des mères célibataires qui doivent ajouter de l’eau au lait de leurs bébés et des jeunes forcés de vivre dans les sous-sols de leurs parents parce qu’ils n’ont pas les moyens de se loger. Il a raconté des histoires sur ses parents enseignants en Alberta, qui lui ont appris la valeur du travail acharné. Et il a mis en évidence sa séduisante épouse immigrée vénézuélienne et sa famille.

Il a tout fait confortablement en anglais et en Français. Poilievre est le premier chef conservateur depuis Brian Mulroney (qui a quitté la politique il y a près de trois décennies) à pouvoir s’exprimer dans un français fluide.

Si les observateurs des médias et les commentateurs le laissent s’en tirer, Poilievre aura accompli un changement d’identité plus dramatique que celui de Clark Kent se transformant en Superman.

Dans le cas de Poilivere, c’est un changement rapide à l’envers, du méchant et impitoyable Dark Vador de la politique canadienne à votre voisin empathique qui ressent votre douleur et comprend comment l’inflation rend votre vie intolérable.

Ceux d’entre nous qui rendent compte de ce jeu politique ne devraient pas laisser Poilievre réussir. Nous avons le devoir de dire toute la vérité sur le nouveau chef de l’opposition.

Pour mémoire, voici une partie de l’histoire de Pierre Poilievre, qu’il semble maintenant vouloir que les Canadiens oublient. Cet auteur en a raconté une grande partie en février de cette année, juste après que le caucus parlementaire conservateur ait largué l’ancien chef Erin O’Toole et déclenché une course à la direction.

Poilievre est un homme politique professionnel depuis toujours

Lorsqu’il s’est fait élire pour la première fois, en 2004, Pierre Poilievre n’avait que 25 ans. Il est au Parlement depuis, ce qui signifie qu’il est un politicien professionnel – une dénomination étrange pour quelqu’un qui fait appel à la méfiance populiste envers les politiciens.

Poilievre n’a jamais occupé de poste en dehors de la politique. Il était un petit militant conservateur à l’Université de Calgary, où il a obtenu un baccalauréat, et dès sa sortie de l’école, il a travaillé pour une entreprise qui faisait des appels automatisés pour des politiciens.

Dès son plus jeune âge, Poilievre était un acolyte de l’école de la libre-entreprises et du néo-conservatisme gouvernemental. Comme d’autres personnes d’orientation similaire, il s’est inspiré de la philosophie de l’écrivaine américaine d’origine russe Ayn Rand, dont l’un des dictons les plus célèbres était : « Il y a deux côtés à chaque question : un côté a raison et l’autre a tort, mais le milieu est toujours dans
l’erreur. »

Poilievre a été le politicien du Parti conservateur le plus virulent à appuyer le convoi de camionneurs et l’occupation illégale à Ottawa. Lorsqu’il parle de cette question, il canalise une autre citation d’Ayn Rand, à savoir : « Nous approchons rapidement de l’étape où le gouvernement est libre de faire tout ce qu’il veut, alors que les citoyens ne peuvent agir que par permission ; qui est l’étape des périodes les plus sombres de l’histoire humaine, l’étape de la domination par la force brute. »

Lors de l’élection de 2004, le jeune et inexpérimenté Poilievre était en quelque sorte un tueur de géant. Il a défait le ministre de la Défense du premier ministre de l’époque, Paul Martin, David Pratt, qui était une star libérale à l’époque. Lorsque les conservateurs ont choisi l’inconnu Poilievre pour affronter Pratt, ils ont probablement pensé qu’il serait un agneau sacrificiel. Puis, comme c’est souvent le cas en politique, des scandales auxquels personne ne s’attendait ont surgi et sapé l’appui des Libéraux.

C’est ainsi qu’est née une carrière politique.

De roquet d’Harper à l’auteur de la loi sur les élections (in)équitables,
Poilievre n’a pas siégé sur les bancs de l’opposition pendant le gouvernement minoritaire de Martin, de 2004 à 2006. Il n’est pas non plus entré au Cabinet immédiatement après l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 2006.

Mais le premier ministre Harper aimait le penchant idéologique intransigeant et la langue acérée du jeune député, et il en fit un secrétaire parlementaire, une sorte de doublure, de deux de ses ministres les plus puissants, John Baird et Jason Kenney, et de Harper lui-même.

Stephen Harper a utilisé ses secrétaires parlementaires comme des roquets.

Plutôt que de répondre à la plupart des questions qui lui étaient posées à la Chambre ou, comme c’était la coutume, de déléguer des ministres principaux pour le faire, Harper demandait le plus souvent à ses jeunes secrétaires parlementaires enthousiastes et plus qu’un peu assoiffés de sang de faire le travail. Harper est passé par une série de secrétaires parlementaires, dont certains, comme Jason Kenney, sont rapidement montés au Cabinet. De tous, l’attaquant le plus efficace de la période des questions était Poilievre.

Lorsqu’il a obtenu sa promotion au poste de ministre de la Réforme démocratique, en 2013, Poilievre n’a pas adouci son style. En tant que ministre, Poilievre a présenté et défendu le seul et unique projet de loi important auquel il est associé, la (soi-disant) Loi sur l’intégrité des élections.

Il est rare qu’une loi porte un titre plus orwellien.

Il n’y avait rien de juste dans la Loi de Poilievre. Il s’agissait d’un effort éhonté de style républicain pour supprimer les électeurs, qui, entre autres choses, cherchait à rendre plus difficile le vote des jeunes, des pauvres et des personnes marginalisées.

La Loi sur l’intégrité des élections a resserré les exigences en matière d’identification des électeurs, ce qui rend particulièrement difficile pour les millions de Canadiens qui n’ont pas de permis de conduire de se qualifier pour voter. Avant 2006, il n’y avait aucune exigence d’identification – et très peu de preuves d’un quelconque type de fraude. La loi de Poilievre a également facilité la tricherie des partis politiques. Poilievre a muselé le directeur général des élections. Il leur a expressément interdit d’avertir les Canadiens lorsque des manigances telles que de faux appels automatisés se produisaient pendant les périodes de vote.

De plus, Poilievre a déplacé le bureau qui enquête sur les crimes électoraux d’Élections Canada non partisane à la bureaucratie fédérale, le plaçant sous contrôle politique partisan. Tout au long du débat sur sa mesure, Poilievre s’est montré agressif et toujours à l’attaque.

Il a réprimandé l’intégrité du directeur général des élections, Marc Mayrand, à plusieurs reprises, sachant qu’en tant que fonctionnaire non partisan, Mayrand était impuissant à se défendre.

Les libéraux de Trudeau ont annulé la plupart des dispositions nocives de la Loi sur l’intégrité des élections en 2018.

Si Poilievre devenait un jour Premier ministre, il y a de fortes chances qu’il essaie de les ramener en force.

Un leadership à la Trump ?

Plus récemment, Pierre Poilievre s’est surtout concentré sur un message libertarien traditionnel de petit gouvernement, moins de réglementation et moins d’impôts. Il parle beaucoup ces jours-ci de l’inflation. Il ignore les conditions mondiales post-pandémiques et la guerre en Ukraine et affirme que l’inflation est entièrement alimentée par les dépenses publiques.

Mais Poilievre ne répugne pas à jouer dans le bac à sable populiste en colère. D’où son soutien enthousiaste et sans réserve à la foule qui a occupé le centre d’Ottawa pendant plusieurs semaines l’hiver dernier.

Les observateurs disent parfois que Poilievre fournirait un leadership à la Donald Trump au Canada. Mais l’orientaion de Trump différe grandement des Conservateurs canadiens de droite comme Poilievre.

D’une part, Trump s’est écarté de l’orthodoxie républicaine de l’après-Seconde Guerre mondiale sur le commerce. L’ancien président est un ardent protectionniste, tandis que les républicains sont des libre-échangistes depuis de nombreuses décennies. Et Trump est aussi un isolationniste, ce qui est, encore une fois, une rupture avec sept décennies de politique républicaine. Contrairement à la plupart des autres républicains, Donald Trump n’est pas intéressé à projeter la puissance américaine à l’échelle mondiale, et il n’a que du mépris pour l’OTAN, une alliance militaire créée par les États-Unis.

Aussi populistes qu’ils puissent être, les conservateurs canadiens ne vont pas cesser d’être des libre-échangistes ou cesser d’appuyer des alliances militaires multilatérales comme l’OTAN. Ils ne seront jamais trumpiens de cette manière.

La façon dont Poilievre et la droite conservatrice canadienne est trumpiste, c’est au niveau du style plutôt que de la substance.

C’est un style caractérisé par des attaques incessantes et impitoyables, qui ne donne aucun quartier et ne reconnaît aucun compromis. D’où le penchant pour les ennemis et les boucs émissaires, comme le gouverneur de la Banque du Canada et la SRC. Comme Donald Trump, Poilievre joue de la politique principalement dans un registre é émotionnel – le registre de la colère. La colère – et son voisin proche, le ressentiment – est exactement ce que la base conservatrice attend d’un chef depuis longtemps.

Maintenant, la base du parti a ce qu’elle veut. Mais, peut-être de manière prévisible, Poilievre voudrait maintenant que le reste d’entre nous oublie comment il est arrivé là où il est et avale sa prétention qu’il n’est rien de plus qu’un gentil, doux et représentant typique du peuple.

Honte à nous tous si nous avons la mémoire si courte que nous tombons dans cette astuce de changement rapide.

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