Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Santé

Pour une refonte du système de santé et des services sociaux dans une perspective de démocratie sanitaire !

II faut commencer les délibérations pour réformer le réseau de la santé et des services sociaux par le respect de deux principes fondamentaux : l’autonomie locale des établissements et l’autonomie professionnelle des travailleur.e.s de la santé et des services sociaux. Cette réforme devra être démocratique favorisant la participation de la communauté et elle sera un meilleur levier pour éviter les catastrophes sanitaires que nous vivons dans le présent.

La posture qu’il faudra adopter pour amorcer cette réorganisation des services devra être à l’antipode des réformes délirantes que nous avons subies dans la dernière décennie. Pensons à la loi 10 du Ministre Barette de 2015 ou encore la loi 25 imposée par le Ministre Couillard en 2003. Le réseau de la santé et des services sociaux est devenu réellement gigantesque et dysfonctionnel depuis une vingtaine d’année. Prenons mon exemple : j’ai commencé à travailler dans un CLSC en 2001 qui comptait environ 150 travaileur.e.s En 2004, fort des fusions, mon établissement comptait 7,000 travailleur.e.s. Aujourd’hui il en compte 18,500. Pourquoi ce délire d’expansion ? En clair pour répondre aux besoins économiques du néo-libéralisme. Un établissement de 18,000 travailleur.e. s est beaucoup plus payant pour une entreprise qui veut faire de la sous-traitance en informatique ou en immobilisation par exemple.

Mais le problème se situe davantage sur le plan idéologique. Le néo-libéralisme cherche à modeler le réseau de la santé et des services sociaux pour le mettre au goût du jour : la performance individualiste et l’innovation biomédicale [1]1 .D’ailleurs, on cherche à remodeler les services sociaux sous l’angle de l’intervention individuelle tout en ayant recours aux nouvelles technologies. Prenons l’exemple de la domotique dans les services à domicile pour les personnes aînées. Dans les dernières années, on a commencé à adapter la technologie aux besoins des personnes aînées. On place des capteurs dans les appartements. De cette façon, les intervenants-es peuvent suivre à distance les personnes âgées avec l’aide de leur ordinateur et ajuster la médication en faisant l’évaluation de leurs mouvements dans la maison. On peut fermer le four à distance pour éviter le feu. On peut aussi faire jaillir des faisceaux lumineux pour éviter les chutes durant la nuit. Bravo pour l’inventivité ! Cependant, on doit soumettre cet exemple à la délibération publique : Est ce le type de services qu’on veut se voir déployer dans le secteur public ou si on ne devrait pas consolider l’intervention relationnelle qui mettrait en lien la travailleuse sociale avec la personne aînée ? Il est démontré que le lien réel entre l’intervenante et la personne aînée est d’un bienfait énorme pour la santé mentale de la personne ainée.

Ma proposition est que la réforme s’organise dans une perspective de démocratie sanitaire qui repose sur deux socles incontournables : la protection des usagers-.r.e.s et la participation citoyenne. Cette proposition demande qu’elle soit élaborée dans des instances de délibération. Mais, comme point de départ, nous pouvons faire un exercice historique sur les dernières décennies et reprendre la formule des cliniques de quartier qu’elles soient communautaires et publiques qui répondaient aux besoins des communautés. La communauté, de son côté, exerçait une certaine vigilance à l’égard de ses institutions locales.

Ces établissements de santé et des services sociaux ancrés dans leur communauté doivent utiliser des méthodes de gestion compatibles avec les besoins du personnel et de la communauté. Rejetons immédiatement toutes méthodes issues de la nouvelle gestion publique ! Retournons les nouveaux ordinateurs dans les écoles. Les professionnelles de la santé sont très bien outillées pour faire leur travail. La méthode Lean et ses différentes variantes ne sont que des irritants dans la prestation de services. On le voit pendant la crise du covid-19, elles ne sont d’aucun secours pour les travailleur.e.s et la communauté.

La réforme du réseau de la santé et des services sociaux doit être accompagnée d’une réforme de la santé publique. La direction de la santé publique a fait les frais il y a cinq ans, elle aussi, de la réforme Barrette. On a coupé son budget, une partie de son personnel et on les a dirigés vers les établissements régionaux. S’en est suivie une perte d’autonomie énorme sur le plan des effectifs et l’application des mesures de prévention. Par ailleurs, la crise sanitaire nous oblige à revoir l’orientation générale de la santé publique. D’une approche centrée sur la responsabilité individuelle et les habitudes de vies, il faut revenir à un travail général sur les déterminants sociaux de la santé et redonner surtout une importance aux déterminants économique. Par ailleurs, l’approche individualiste doit être remplacée par l’approche d’action collective. La santé publique est une affaire de société et non d’individus singuliers. Par ailleurs, la santé publique pourrait permettre de comprendre pourquoi certaines personnes sont en santé et d’autres ne le sont pas. Or cet enjeu a été remplacé par des options individuelles, chacun devant agir de façon responsable et faisant les bons choix alors même que les gouvernements se préoccupent de la baisse de leurs déficits et la réduction de leurs dépenses. [2]2

On pourra, certes, dire que je suis passéiste et que je réclame un retour en arrière en réclamant un retour des CLSC dans le réseau et le retour des déterminants économiques en santé publique. Je répondrais que, devant son incapacité scandaleuse à répondre à la crise du covid-19, le néo-libéralisme, la conscience contemporaine du capitalisme (Dardot, Laval), est un accident de parcours de plusieurs décennies, et qu’il faut faire un détour inverse pour s’en débarrasser dans nos vies, dans notre travail et dans la culture des soins et services sociaux dans une perspective de démocratie sanitaire.

René Charest
Organisateur communautaire et militant syndical.


[1Voir entrevue avec Barbara Stiegler, Le Monde, 9 avril.

[2Abby Lippman, Les Nouveaux Cahiers du socialisme, no 12, 2014

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