Édition du 30 avril 2024

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Prochain prince ou pétard mouillé ? - Sur le beau Justin

Le grand gagnant des élections partielles de la semaine dernière est sans aucun doute le beau Justin. Le grand perdant est par ailleurs Thomas Mulcair. Ses chances étaient faibles (Toronto-centre et Montréal-Bourassa étaient deux comtés libéraux depuis longtemps), mais la défaite a été « solide », démontrant que le « mordant » de Mulcair ne prend pas trop. Dans les deux forteresses du Parti conservateur au Manitoba, les candidats de Harper l’ont emporté de justesse, mais le PLC leur a soufflé dans le cou, laissant loin derrière le NPD. Ce sont des indicateurs, mais ils s’ajoutent à d’autres signaux, dont les défaites crève-cœur du NPD lors des élections provinciales récentes de Nouvelle-Écosse et de Colombie britannique, de même qu’une série de sondages qui indiquent tous le déclin du NPD et la croissance du PLC dans les intentions de vote.

Mulcair, une « menace gauchiste »

Les grands médias canadiens, qui reflètent à 99 % l’opinion des élites, ne se lassent pas de diaboliser Mulcair, le présentant comme un dangereux « chef de gauche ». En fait, la scène politique canadienne est devenue en grande partie le miroir de ce qu’on appelle encore (je me demande pourquoi) la « démocratie » aux États-Unis., où les dominants ne tolèrent pas qu’on tente de sortir du « consensus » entre la « droite-droite » et la « droite-centre ». Mulcair est un « gauchiste », car il ose poser des questions sur l’accord de « libre-échange » entre le Canada et l’Europe. Il n’est pas contre, il a seulement des questions : « C’est un scandale » d’affirmer le prestigieux Globe and Mail, qui est le journal « sérieux » (contrairement aux médias-poubelles de l’Empire Sun-Quebecor). Sur la question du Québec, Mulcair est traité de « traître » puisqu’il invoque le droit du Québec de procéder à la souveraineté, si le oui l’emporte par 50% + 1 des votes ! Il pose des questions sur l’impact du sale pétrole de l’Alberta : ça y est, c’est un fanatique de Greenpeace. Et ainsi de suite.

L’impasse

Selon le Globe and Mail qui fabrique le consensus des élites, Mulcair est une menace pour le Canada et pire encore, pour le capitalisme. C’est assez extraordinaire, considérant le fait que le NPD, s’il agissait en Europe, serait sans doute du côté de la social-démocratie la plus « soft » et la plus « social-libérale », dans le genre Tony Blair. Mais ici dans le cœur de l’Empire américain, le social-libéralisme et Fidel Castro, c’est la même chose. Dans ce sens, l’espoir de Mulcair de se présenter comme une alternative et de séduire les électeurs lassés de Harper est diminué. De plus, une partie de son électorat va vers Trudeau (c’est, je pense, ce qu’on verra au Québec parmi les communautés non-francophones de Montréal, ainsi que dans la région de Québec et dans l’ouest de la province).

Le fils de l’autre

C’est sur cela que les « spins » du PLC et les maîtres du jeu (essentiellement une partie de l’élite économique de Toronto) misent. Leur stratégie est essentiellement de présenter Justin comme la seule alternative « crédible » à Harper. En même temps, il faut s’assurer que le PLC, y compris Justin, ne sort pas du « consensus ». Les pièces essentielles de ce « consensus » sont les suivantes :

 L’alliance subordonnée aux États-Unis dans toutes les questions importantes qui confrontent l’impérialisme dans le monde. C’est plus facile à faire cela avec Obama qui se présente comme un leader « modéré » et qui met en œuvre la version « civilisée » de la « guerre sans fin ». Là-dessus, les élites pensent que le Canada doit y aller à fonds de caisse.

 Le « libre-échange » (quel mot !) avec les États-Unis est précieux pour l’élite comme la prunelle de ses yeux. C’est non seulement l’accès au marché états-unien, mais c’est le ravalement, le rabaissement par le bas de l’État-providence canadien, que la « droite-droite » comme la « droite-centre » promettent d’éradiquer pour être conforme aux « standards » états-uniens. La sale job est commencée depuis Mulroney, Chrétien et Harper qui, sur ce dossier là en tout cas, ont tous la même idée.

 Dans le sillon de ces choix, c’est aussi l’idée que le capitalisme canadien doit se concentrer sur des « niches » où il a des avantages comparatifs, par exemple les ressources. La semaine passée à Calgary devant le gratin du business pétrolier, Justin a réitéré son appui aux projets de pipe-line.

 Face aux revendications du Québec, il n’y a ni intérêt, ni dialogue, ni discussions. L’espoir des élites, c’est que le Québec se transforme en un gros Nouveau-Brunswick, avec un Montréal « festif » et « créatif », en principe bilingue mais en réalité anglophone, et des régions semi-abandonnées, capables de fournir le cheap labour pour l’ouest. À la limite, on pourra donner des biscuits à l’élite « indigène », comme on le faisait avec Duplessis.

Sur toutes ces questions, le message du PLC est clair et répété : il n’y aura aucun changement dans le « fondamental », ni dans la politique économique, ni dans la gestion politique, face au Québec notamment.

Justin n’est pas totalement fiable

Est-ce assez pour ouvrir à Justin les portes du pouvoir ? Pas vraiment. Il a d’abord ce qu’on pourrait appeler un « problème de personnalité ». Justin n’est pas très malin. Il a la mauvaise habitude d’ouvrir sa belle bouche trop souvent. Il se met dans l’embarras, et encore pour rien, comme il l’a fait récemment avec la marijuana, la Chine et quoi d’autre encore. Il manque de discipline. Il n’agit pas toujours comme on lui dit de faire. En anglais, on appelle cela un « loose canon ». Avec ses glissements, Justin donne parfois l’impression qu’il n’embarque pas dans toutes les fantaisies réactionnaires de l’élite canadienne. Celle-ci n’aime pas cela. Il y a comme un mauvais souvenir de l’époque du papa, de ses gesticulations théâtrales sur la « grandeur du Canada », de ses prétentions à jouer un rôle dans la cour des grands. Certes, Pierre-Elliott a joué son rôle aux yeux de l’élite. Il a dompté le tigre québécois, mais après avoir fait la sale job, l’élite l’a flushé comme un malpropre. Aujourd’hui, elle ne craint plus la « menace séparatisssse » : la question de la souveraineté a été enterrée, y compris par le PQ.

La « game »

On peut conclure de tout cela que la lutte sera chaude entre Justin et Harper qui part, comme on le sait, avec 25-30 % du vote sans à avoir dit un seul mot. C’est un vote totalement acquis, comme celui d’ailleurs dont dispose le PLQ au Québec. Peu importe ce qu’il dit, promet et fait, il a un grand nombre d’électeurs dans sa poche pour diverses raisons. Ce qui veut dire que pour Harper, la « game », c’est d’aller chercher à peine 10 % de voix de plus, ce qui lui donnera, dans le système politique pourri sur lequel est basé le Canada, une majorité, exactement comme c’est le cas aujourd’hui où Harper « règne » avec 25-28 % de l’appui de l’électorat. Ses « cibles » restent les mêmes : la petite bourgeoisie déclassée des immenses banlieues de Toronto (l’équivalent de la couronne nord de Montréal qui a voté pour l’ADQ et la CAQ), le secteur bourgeois et réactionnaire de l’immigration (commerçants et petits entrepreneurs « globalisés »), la mouvance chrétienne réactionnaire, etc. Harper a plusieurs cartes dans son jeu, et contrairement à Justin, il est « fiable ».

Ça va barder

Les prochains mois seront sans doute décisifs. Harper doit marquer quelques grands coups, non seulement pour faire oublier qu’il est le chef d’une gang de voleurs, mais pour prouver aux élites qu’il est l’« homme de la situation ». Pour cela, il serait logique et rationnel qu’il attaque encore le secteur public et ce qui va avec, c’est-à-dire le mouvement syndical. Ça, l’élite aimerait cela. Et la droite populiste serait aux anges dans le discours vulgaire à la Tea Party qui domine largement l’univers médiatique canadien. Peut-il le faire ? Ça dépend si le mouvement syndical peut se réveiller de sa grande torpeur. Ça dépend si des alliances réelles peuvent être faites entre les écolos et les Premières Nations. Ça dépend évidemment d’une possible convergence entre les forces sociales du Québec et du Canada, ce qui n’est jamais arrivé depuis le temps où les Patriotes se sont levés contre l’Empire avec l’appui des Républicains de Toronto en 1837.

Terminons par le commencement

Le NPD pourrait, en principe, faire partie de cette équation de résistance, mais c’est difficile d’imaginer cela avec Mulcair. Même si sa stratégie s’avère perdante, il serait surprenant que cet ancien ministre libéral et ex-directeur d’Alliance-Québec vire à gauche, d’autant plus que, dans les circonstances actuelles, il devrait alors abandonner l’idée de « gagner » les prochaines élections. Dans les coulisses, plusieurs députés du NPD sont inquiets. Ils ont le sentiment qu’ils s’en vont dans un mur. Peuvent-ils briser la prison dans laquelle Mulcair les a enfermés ? Cela serait une grande surprise. Cela n’est jamais arrivé. Mais comme on sait, il ne faut jamais dire jamais.

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