Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique québécoise

Grève des procureurs de la couronne

Que représente la qualité des services juridiques du gouvernement pour la « gauche » ?

« Qui Bono ? » littéralement « qui profite ? », la célèbre locution latine grâce à laquelle Cicéron gagna son plus célèbre procès et qui signifie « à qui profite le crime ? » s’est retrouvée paraphrasée sur les pancartes des piquets de grève des procureurs de la couronne et des juristes du gouvernement qui étaient en en grève lors de la rédaction de cet article.

Finalement, c’est une bonne façon de positionner le litige : que représente la qualité des services juridiques du gouvernement pour le commun des mortel, qui est tout à la fois contribuable, victime et accusé ?

« Qui Bono ? » Personne n’ose avancer qu’un État québécois mafieux cherche à détruire son appareil répressif. Il est plus raisonnable de voir dans ce litige l’éternelle contradiction entre le service public et la fiscalité et de se poser cette question : que représente la qualité des services juridiques du gouvernement pour la « gauche » ?

Pour la « gauche »occidentale, la question de l’appareil répressif est probablement la question la plus dure qu’elle ait à affronter lorsqu’elle s’approche du pouvoir. Cette question reflète la pluralité des courants de gauche et expose de nombreuses contradictions entre ces courants et au sein de ces courants. Pour la santé, l’éducation, le filet de sécurité sociale, la réponse à gauche est simple pour tous : plus c’est mieux. Plus de police et de procureurs pour que la répression soit plus efficace ? Oups… depuis quand la gauche aime la répression ? Mai 68, le Samedi de la matraque ou McGill français pour une génération, arrestation de masse à Montréal, G-8 à Québec ou G-20 à Toronto pour une autre, la relation d’amour entre la gauche et l’État se transforme facilement en une relation amour-haine avec son appareil répressif.

Les composantes de la gauche humaniste ne protestent pas contre l’existence d’une force répressive d’État. Dans l’idéal humaniste, la justice n’est pas la vengeance et la lutte du juste faible contre l’inique fort implique l’existence d’une puissance collective impartiale. Cette gauche voudrait un appareil répressif plus attentif à ses préoccupations : lutte à la pollution, à l’homophobie, à la violence faite aux femmes et à bien d’autres iniquités. Cependant, ce que la gauche voit c’est une police qui fait du profilage racial ou social, qui criminalise la pauvreté en appliquant outrancièrement des règlements municipaux à des itinérants et qui arrête des manifestant pacifiques. Alors, plus de ce que je voudrais ou moins de ce que j’ai ? Qui Bono ?

Depuis le célèbre « l’État est en dernière analyse une bande d’hommes en armes » de Engels, la gauche, et surtout la gauche marxisante place l’appareil répressif au cœur d’un État qu’elle tend à définir comme un instrument de la classe dirigeante. Bien sûr, cet état est pétri de contradictions et les bénéfices des luttes populaires se concrétisent parfois dans des mesures répressives que prend cet État. Cependant, cet État ne reste-t-il pas l’État des boss ? Qui Bono ?.

Pour compliquer les choses, la gauche bien pensante est loin d’être homogène et même si on lui donnait le contrôle de la police, le problème ne serait pas réglé. Un exemple : la répression de la prostitution est-elle nécessaire à préserver la dignité humaine ou représente-t-elle un déni moralisateur d’un éventuel droit à disposer de soi ? Qui Bono ?

Les composantes de la gauche qui se retrouvent dans « L’État et la révolution » de Lénine ont trouvé une façon de résoudre les contradictions : l’État bourgeois est vicié par sa nature bourgeoise et sa violence inexcusable de ne pas être sanctifiée par la transcendance historique qui fait que toutes les violences de l’État prolétarien sont légitimes puisqu’elles sont celles nécessaire à mettre fin à la société de classe et à ses violences. Là, pas besoin de la question de Cicéron, les choses sont clarifiées par leur terrifiant manque de nuance.

Ai-je vraiment besoin de m’étendre sur les rapports entre les anarchistes et l’appareil répressif d’état ?

En fait, la gauche a tendance à abandonner le discours sécuritaire à la droite. La droite exagère certes le problème de la sécurité, mais Le Pen s’est déjà rendu au deuxième tour de l’élection présidentielle française parce que la gauche détruisait sa crédibilité sur le sujet en opposant aux perceptions populaires un discours négationniste pour cause de rectitude politique. Il est convenu à gauche depuis plus d’un siècle et demi qu’il existe une chaîne de causalité « aliénation capitaliste-marginalité-criminalité ». Faut-il se surprendre d’être pris pour des guignols lorsque l’on nie le lien marginalité-criminalité si ce sont des politiciens populistes qui le font ? Vous en connaissez vous un travailleur qui rentre chez lui pour découvrir qu’il a été volé et qui se considère heureux d’avoir ainsi contribué au bien-être du « lumpen prolétariat » ou d’avoir aidé un apprenti motard victime de l’aliénation capitaliste à acquérir une dose de bonheur chimique ?

Même Victor Hugo ne décrit pas ses victimes de l’aliénation capitaliste heureuses d’être des victimes si le criminel l’est devenu suite à l’aliénation capitaliste. En fait, dans Les misérables, c’est un curé qui donne à Jean Valjean les chandeliers que Valjean lui avait volés, afin d’éviter que celui-ci ne soit retourné au bagne. La charité chrétienne est-elle la solution de gauche au Québec ? La gauche devrait-elle être guidée par cette idée que l’homme étant responsable d’avoir rendu mauvais un homme né bon, les victimes sont coupables d’avoir créé le bourreau ? La gauche doit-elle abandonner l’idée que la criminalité est un fait social plus que moral ? Alors, cet appareil répressif d’état sous-payé, « Qui Bono ? »

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