Édition du 12 mars 2024

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Québec

Quelle stratégie contre le populisme de droite ?

octobre 14, 2018

Les dernières années ont été marquées par une montée inquiétante du populisme de droite à travers le monde. Ce courant politique est au pouvoir dans plusieurs pays d’Europe centrale et de l’Est, aux États-Unis, et probablement bientôt au Brésil. Il est marqué à la fois par une adhésion toute formelle à des institutions démocratiques et par un mépris profond pour des valeurs démocratiques comme l’égalité des droits et le pluralisme politique.

Ce populisme vise à imposer des valeurs conservatrices à toute la société en obtenant l’appui d’une majorité (ou d’une simple pluralité) de l’électorat. Les droits de la personne, les droits des femmes, le droit à la dissidence, les droits des minorités, le droit international n’ont alors aucune légitimité. C’est la dictature d’une majorité nationaliste et conservatrice instrumentalisée par des institutions superficiellement démocratiques. De là à une nouvelle forme de fascisme, il n’y a pas une grande distance à franchir.

C’est cette dynamique qui est à l’œuvre dans la Russie de Poutine, avec l’écrasement brutal du mouvement indépendantiste tchétchène, la criminalisation de l’homosexualité ou la répression contre les journalistes et les forces d’opposition. C’est aussi ce qu’on observe en Hongrie et ailleurs en Europe centrale dans le refus de reconnaitre la moindre légitimité aux droits des réfugiés arrivés de Syrie et d’autres pays dévastés par la guerre et les changements climatiques ou encore la discrimination et la répression contre les Roms.

C’est bien entendu le cœur de l’administration Trump avec le projet du mur à la frontière mexicaine, l’interdiction d’entrer aux États-Unis pour les ressortissants de 6 pays à majorité musulmane, le mépris affiché pour les institutions internationales jusque dans l’assemblée générale de l’ONU, l’identification des médias comme des ennemis du peuple, etc. Les sondages de sortie de vote ont démontré que ce qui a rassemblée la base électorale de Trump en 2016 était essentiellement l’hostilité envers l’immigration, un leit motiv commun à tous les populismes de droite.

Est-ce que le nouveau gouvernement québécois se situe dans cette mouvance ? Il s’agit, selon nous, d’une version plus modérée du phénomène que ce qu’on peut voir en Europe ou ailleurs dans les Amériques, mais tout de même d’un équivalent québécois. Des idées comme le test des valeurs pour les immigrants, l‘indifférence aux questions environnementales, les promesses de cadeaux fiscaux et les lieux communs contre les fonctionnaires et les syndicats en sont des exemples typiques. La priorité stratégique pour Québec solidaire sera de contrer ces tendances inquiétantes en combinant notre travail politique avec les efforts des mouvements sociaux.

Des stratégies perdantes

Quelle stratégie les forces démocratiques et la gauche devraient-elles employer face à ce phénomène ? Ce qui est clair est que donner raison à ces discours démagogiques, même en partie, n’est pas la bonne voie. Les Travaillistes de Blair avaient joué le jeu de la panique face à l’immigration et le résultat de leurs efforts ont été l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement conservateur ayant une forte composante populiste de droite, influencée par l’extrême-droite du parti UKIP. En France, le ralliement du PS à la panique anti-foulards et à l’islamophobie n’a fait que nourrir la montée du Front national et la radicalisation vers le populisme de droite des conservateurs sous Sarkosy.

La présidence de Bill Clinton avait marqué le ralliement du Parti démocrate à des idées populistes de droite comme la criminalisation de la pauvreté, menant à une hausse vertigineuse des taux d’incarcération et à une nouvelle forme de ségrégation (New Jim Crow). Obama a déporté plus de migrantes et de migrants que George W. Bush et Bill Clinton réunis. Au bout du compte, les politiques inhumaines de Trump ne sont souvent que le prolongement des décisions de ses prédécesseurs des deux grands partis.

Les beaux discours du libéralisme progressiste ne sont pas une formule gagnante non plus. Les Démocrates des États-Unis, notamment, ont eu beau marteler des formules toutes faites en faveur de la tolérance et du pluralisme, de la diversité et des droits civiques, ils et elles n’ont pas été en mesure de stopper la montée de la droite populiste. Faire la morale aux gens pendant qu’on met en place des politiques qui appauvrissent et précarisent la majorité de la population ne fait que donner des munitions à Trump et ses semblables. L’élection d’un président Afro-américain ou d’une présidente, c’est bien beau, mais si ça ne change rien aux conditions de vie qui se détériorent pour la grande majorité des femmes et des Afro-américains, c’est de la poudre aux yeux. Cette politique du symbole ne fait pas le poids face à la mobilisation des bas instincts et de l’individualisme encouragés au quotidien par un capitalisme brutal.

Au Québec, le triomphe de la CAQ a été préparé par 25 ans de consensus dans la classe politique autour d’une politique économique néolibérale. L’accroissement des inégalités, la détérioration des conditions de travail, la négligence face aux impératifs écologiques sont autant de points communs entre les gouvernements libéraux et péquistes qui ont nourri le cynisme et le repli sur soi. La décision stratégique du PQ de Marois de prendre un virage dit identitaire et en fait de donner raison à Dumont et à l’ADQ dans leur crainte des minorités et des immigrants a aussi préparé le terrain au triomphe de Legault.

L’alternative militante et solidaire

Il nous faut donc opposer au populisme de droite une sorte de populisme de gauche. La réduction des inégalités sociales doit revenir au cœur du projet politique progressiste. Et la récente campagne électorale de Québec solidaire en a donné un bel exemple en mettant de l’avant des propositions comme la gratuité scolaire, la hausse du salaire minimum, la réduction des tarifs de transport, l’assurance dentaire publique, une fiscalité progressive, etc.

La tentative de dénigrement lancée par Jean-François Lisée dans le dernier droit de la campagne, accusant QS d’être influencé par le marxisme et de vouloir tout nationaliser, était typique de la réponse des centristes face à une vraie gauche. Après 50 ans d’efforts visant à donner au projet indépendantiste une image raisonnable et modérée, le PQ n’est plus capable d’envisager la moindre rupture avec l’ordre établi, incluant l’indépendance elle-même.

Mais cette alternative ne peut pas se limiter à soulever des enjeux de classe et ignorer les oppressions fondées sur l’ethnicité ou la diversité sexuelle et de genre, notamment. Ce n’est pas d’un retour à l’ouvriérisme de la vieille gauche dont nous avons besoin mais d’un vaste rassemblement de la majorité populaire dans toutes sa diversité. (Le peuple n’est pas composé que d’hommes blancs travaillant dans des usines, comme l’image d’Épinal des ouvriers du 19e siècle !) Et pour ce faire, il faut combiner la lutte pour la justice sociale avec la défense des droits et la solidarité internationale.

Face au populisme de droite, nous devons oser dire que l’opinion de la majorité (parfois marquée par les préjugés et l’ignorance) n’est pas un argument suffisant pour nier des droits aux personnes et aux minorités. C’est l’argument qui avait fait la différence dans les débats au sein de mon syndicat (la Fédération autonome de l’enseignement) à son congrès de 2013 et qui font qu’aujourd’hui il est capable de défendre les droits des femmes musulmanes qui en sont membres contre le projet du gouvernement d’interdiction des signes religieux.

Mais au-delà de cet argument qui relève du libéralisme politique, il faut développer une vision de la complémentarité entre les luttes des minorités et celle de la majorité. Tout comme nous ne pouvons réclamer le droit à l’autodétermination pour le Québec et ne pas le reconnaitre pour les Premier peuples, nous ne pouvons affirmer le droit de la majorité francophone du Québec de protéger sa langue et sa culture et en même temps demander aux minorités de s’assimiler au point de se rendre invisibles. L’interculturalisme n’est pas simplement une adaptation au Québec des principes du multiculturalisme, c’est une vision de l’identité québécoise elle-même, faite de la rencontre entre la majorité et les minorités en vue de créer la culture commune.

Au cœur du projet politique solidaire se trouve l’opposition à toute forme d’oppression, à toutes structure sociale reproduisant des injustices. L’influence du mouvement féministe a incrusté cette vision de la justice sociale dans l’ADN du parti. Au 4e congrès sur le programme, nous avons formellement adopté la perspective intersectionnelle, comme prolongement de cette vision féministe. Il ne s’agit pas pour nous que de mettre autant de femmes que d’hommes au sommet de la société mais de changer la société pour la rendre plus égalitaire et inclusive de toutes et tous.

Pour arriver à la convergence nécessaire des luttes des minorités et de la majorité, Québec solidaire doit notamment être un allié fiable et constant pour les mouvements qui luttent contre le racisme sous toutes ses formes et pour les droits de la personne. Ceci nous demande, dans le contexte actuel, d’affirmer clairement une conception de la laïcité en harmonie avec la Charte québécoise des droits et libertés. En aucun temps nous ne devrions cautionner les discours populistes de droite qui entretiennent la panique face aux minorités religieuses et à l’immigration.

La CAQ ne s’arrêtera pas à la question des signes religieux dans ses efforts de division de la population et de stigmatisation des minorités. Bientôt, il faudra se battre contre l’absurde test des valeurs, pour les droits des Premières nations face à de nouveaux projets extractivistes, et contre toutes sortes d’idées conservatrices qui trouveront leur chemin à travers les méandres d’un caucus éclectique.

Ce gouvernement est conscient de la fragilité de son nouveau pouvoir, élu qu’il a été sur la promesse d’un vague changement. Il cherchera à consolider sa base en polarisant l’opinion publique. Le rôle de Québec solidaire sera de rassembler l’autre pôle, de le faire grandir en ayant comme projet la construction d’une toute autre majorité. Dans cet effort, prenons garde à ne pas tomber dans les pièges de l’apaisement, de la recherche du consensus. Il ne nous viendrait pas à l’idée de chercher un compromis entre notre vision écologiste et le capitalisme brun de la CAQ. Nous n’allons pas non plus argumenter en faveur de la coupure de 2500 postes de fonctionnaires plutôt que de 5000.

La future majorité sera construite en rassemblant les résistances, pas en visant un juste milieu sans principes. L’indépendance sera anticoloniale et antiraciste, solidaire et inclusive, ou elle ne sera pas.

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