Édition du 23 avril 2024

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Solidarité avec la Grèce

Quels sont les scénarios de négociation entre la Grèce et ses créanciers ?

En dépit de l’échec des négociations de l’Eurogroupe, les ponts entre la Grèce et ses créanciers ne sont pas rompus. Il est désormais plus que jamais urgent à présent de bien poser les termes des différents scénarios de négociation mais avant cela faisons quelques constats.

15 février | Source : http://www.efsyn.gr/arthro...

Nous sommes aujourd’hui au-delà du déni de réalité. Qui ose en Europe affirmer le caractère soutenable de la dette grecque ? Personne. Qui ose cependant, en Europe, parler d’une annulation, même partielle de la dette grecque ? Personne. Sauf, bien sûr le nouveau gouvernement grec, élu démocratiquement et dont le seul très grand tort serait précisément de parler vrai en demandant une annulation partielle de la dette !

Pourquoi demander le respect des engagements pris alors que chacun sait qu’ils ne sont pas crédibles ou réalistes ? Quels intérêts sont défendus ainsi de façon outrancière ? Les négociateurs, en premier lieu les négociateurs allemands, souhaitent-ils tous véritablement le maintien de la zone euro ou certains visent-ils son éclatement ?

La restructuration de la dette essentiellement privée en 2012 en dette publique a du même coup transformé la question de la dette grecque en question éminemment politique. Jusqu’où veut-on pousser la barbarie des plans d’austérité ? Les sacrifices humains doivent-ils être encore présentés devant l’autel des sacro-saints équilibres budgétaires. Les États européens, parce que ce sont des États (et non des entreprises et des ménages) ont toute latitude pour éteindre des dettes. Auront-ils le courage politique de le faire ? Il est encore temps.

Trois scénarios sont maintenant devant nous. Ils impliquent que le gouvernement grec n’abandonne pas les objectifs de son programme. Ces scénarios sont crescendo en fonction de positions qui demeureraient intransigeantes de l’Europe et de l’Allemagne plus particulièrement.

1 - Le premier scenario est celui d’une restructuration de la dette avec immédiatement un moratoire sur les intérêts (à voir la durée de celui-ci), mais surtout un moratoire à négocier sur les remboursements du principal (ce qui sera évidemment très difficile). L’idée est de gagner du temps pour que les premiers éléments des réformes et du programme puissent produire leurs effets visibles. Ensuite, au vu des premiers résultats, la restructuration pourra dans un deuxième temps inclure une diminution volontaire du principal avec les créanciers publics, comme en 2012 avec les créanciers privés. Ce laps de temps pourrait être mis à profit pour préciser les modalités de la restructuration de la dette. Si l’option d’une annulation pure et simple doit être envisagée, d’autres options existent. En particulier celle d’un échange de titres à opérer entre les actuelles créances et des certificats d’investissement qui pourraient être créés. Les États créanciers pourraient devenir des États investisseurs via un accord entre leur banque publique d’investissement (la BPI pour la France, la KfW pour l’Allemagne) et la banque publique grecque qui vient d’être créée. Les investissements réalisés en Grèce profiteraient à l’effort de reconstruction du pays et aurait, en outre, deux avantages pour le pays investisseur : accroître la vraisemblance de récupération du principal non annulé et non converti en certificats d’investissement ; offrir des débouchés aux producteurs d’équipements que les Grecs achèteraient.

2 - Si la négociation ci-dessus s’avère impossible, il faudra mettre les européens, la BCE et le FMI devant le fait accompli avec un refus momentané de payer les intérêts et le principal pendant une période donnée (mettons 2 ans). La Grèce sera déclarée en défaut de paiement, notamment par l’ISDA. Et des procédures juridiques seront enclenchées notamment par quelques actionnaires privés. Mais, cela prendra du temps et le gouvernement grec pourra alors montrer l’efficacité de son programme d’action sur la période en question. Comme dans le scénario précédent, l’intérêt de ce laps de temps sera mis à profit pour préciser ce que pourrait être le montant et les modalités du défaut portant sur le principal qu’il serait nécessaire de fixer.
Le point important est évidemment de savoir si la BCE maintiendra ou non le robinet des aides d’urgence (ELA) aux banques grecques. La probabilité pour que celui-ci soit maintenu est substantielle. Car l’arrêt de celui-ci reviendrait pour la BCE et les créanciers de la Grèce à se tirer une balle dans le pied avec le déclenchement du troisième scénario.

3 – Si les banques grecques n’ont plus la possibilité de recourir à la monnaie centrale de la BCE (billets), le besoin de liquidité pour éviter un bank-run entraînera ipso facto le gouvernement grec à imprimer ses propres billets (drachme), avec dévaluation très forte et moratoire sur tous les paiements d’intérêt et de remboursements des dettes arrivant à échéance, ou de façon alternative, une transformation de la dette dans la nouvelle monnaie (ce qui revient quasiment au même). Ce sera évidemment un nouveau choc de pauvreté pour le pays. Celui-ci n’empêchera pas l’enclenchement d’une bataille juridique.

Mais ce scénario est aussi un scénario catastrophe pour l’Europe : déconstruction rapide de la zone euro, effet de domino de la faillite grecque et déclenchement de CDS (Credit Default Swap) sur plusieurs dettes européennes. Bref, la catastrophe deviendra assez vite mondiale et des systèmes bancaires entiers s’effondreront. Le risque majeur d’un échec total des négociations est bien là : un nouveau cataclysme financier planétaire et des populations entières, et au premier chef la population grecque, plongées une nouvelle fois dans une crise redoutable. Beaucoup plus redoutable que la précédente, car cette fois-ci les États sont exsangues.

Gabriel Colletis
Professeur à l’Université de Toulouse

François Morin
Professeur émérite de l’Université de Toulouse
Ancien membre du Conseil Général de la Banque de France

Gabriel Colletis

Journaliste à Mediapart

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