Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Qui sème le vent …

L’effet de la « bombe » PKP n’a pas cessé d’alimenter les manchettes cette semaine, d’où les réactions en chaîne. Au début en tout cas, cela a été vu comme un « coup de maître » d’un PQ en mal d’enthousiasme. Malgré les questionnements soulevés par son background de briseur de grèves et d’antisyndical, PKP a excité ce que j’appellerais une certaine génération souverainiste vieillie, et qui pensait que le patron de Quebecor allait enfin faire la « différence ». Ce retour de la « flamme » s’est manifesté comme la nécessité de défendre la « cause sacrée » par des Péquistes se présentant comme des progressistes (Gérald Larose, Marc Laviolette, Lise Payette, Pierre Foglia, etc.). En gros, on a dit qu’il fallait se rallier à PKP, car il était nécessaire de reconstituer une « grande alliance », entre la gauche et la droite, et que l’indépendance n’était « ni de gauche, ni de droite ». Aujourd’hui cependant en fonction des derniers sondages, les péquistes sont moins triomphalistes …

Quand indépendantisme et progressisme allaient ensemble

Bien qu’ils aient vécu la même époque que moi, les partisans de la « cause sacrée » me paraissent un peu amnésiques. Au tournant de la révolution tranquille, le mouvement indépendantiste québécois s’est réanimé justement parce qu’il s’était détourné d’une vieille vision nationaliste, plutôt à droite, et qu’avaient incarné les Lionel Groulx et Marcel Chaput dans leur défense de la « race canadienne-française-catholique ». À l’époque, le nouveau projet de souveraineté s’était mis d’emblée sous le drapeau des réformes sociales, de la lutte contre l’inégalité économique, et de l’essor d’une modernité laïque et progressiste. Effectivement une grande « alliance » a donné le pouvoir au PQ en 1976, mais cette alliance était portée en bonne partie par la gauche, notamment les syndicats, les groupes populaires et le féminisme. Lise Payette devrait s’en souvenir parce qu’elle émergeait de ce milieu. Après la défaite du référendum de 1980 cependant, cette convergence s’est distendue. Peu après, René Lévesque décidait de confronter le mouvement syndical sous prétexte d’assainir les finances de l’État, dans le sillon des politiques néolibérales qui prenaient forme alors. Ce fut le début d’un grand tournant, mais aussi d’une grande défaite. Le PQ en se rangeant avec les Conservateurs de Brian Mulroney allait être relégué dans l’opposition pour dix ans.

Le moment de 1995

Quelques années plus tard dans une morosité générale, le projet est réapparu à la suite des déboires de l’État fédéral incapable de « réformer » le Canada (échec de l’accord dit du Lac Meech). Jacques Parizeau a tenté de revenir à la « grande alliance » en élargissant le projet de souveraineté et surtout en s’associant à des têtes d’affiche du mouvement populaire comme Françoise David, François Saillant et Monique Simard (alors vice-présidente de la CSN) qui ont ainsi participé de plein pied à la campagne référendaire, d’où ressortait l’idée qu’un nouveau pays serait nouveau dans tous les sens du terme, et pas seulement pour avoir un drapeau et un siège à l’ONU. Autrement dit, ce n’était pas une « cause sacrée », mais une « cause nécessaire » du point de vue de l’émancipation sociale et nationale. Les deux allant ensemble, et beaucoup de gens pensaient sincèrement que d’essayer de séparer cela serait de vouloir détacher les lèvres de la bouche. Après la défaite crève-cœur de 1995, Lucien Bouchard a voulu faire, en pire, ce que Lévesque avait fait en 1980. Ses politiques de droite ont non seulement affaibli le Québec mais brisé l’alliance en question.

Retour à la « cause sacrée »

Aujourd’hui, le PQ et la vieille génération souverainiste nous demandent de choisir entre notre père et notre mère. Choix ridicule, mais en plus, il n’y a pas réellement d’espace « au-dessus », « en haut » de la gauche et de la droite, et comme le disait Dany Laferrière à Tout-le-monde-en-parle en interpellant François Legault (l’an passé je crois), quand on dit qu’on est ni de gauche ni de droite, c’est parce qu’on est de droite. En ramenant ce discours « ni gauche ni droite » au-devant de la scène, Pauline Marois prend le mauvais chemin. En admettant, ce qui n’est rien de sûr, qu’elle gagne les élections, il sera pratiquement impossible d’imposer aux mouvements populaires et à certaines catégories de la population d’appuyer une cause présentée comme « sacrée », sous l’égide de la personnalité la plus antisyndicale de l’histoire contemporaine du Québec. En tout cas, non seulement le pari est risqué (les sondages sont plutôt négatifs pour le PQ en ce moment), mais cela serait se tirer dans le pied pour la suite.

Pourquoi la droite est plus forte que la gauche

La majorité des analystes (à part Michel David du Devoir) affirme que le PQ n’a pas le choix, qu’il doit se débarrasser de son image trop à gauche associée aux Carrés rouges. Il y a quelque chose de juste dans cela, du moins à court terme. Mais il faut tenter de comprendre pourquoi il en est ainsi. Depuis des années, les grands médias, avec en tête le réseau Quebecor, inondent le Québec d’un même message réactionnaire, alimenté par des « vedettes » politico-médiatiques toutes à droite. Ils véhiculent le même message que l’Institut économique de Montréal, proche des libertariens états-uniens du Tea Party, à droite de la droite si on peut dire. Ils dénoncent à tour de bras les mouvements populaires, notamment les syndicats. La fonction publique est présentée comme un trou noir rempli d’incompétences et de corruption, alors que le secteur privé est puni par les taxes. À les entendre, Amir Khadir est un méchant terrorise, pour ne pas dire un islamiste. La cause de l’environnement, selon eux, est une fabulation inventée par Greenpeace. Les jeunes, surtout les étudiants, sont des bébés gâtés qui veulent tout sans rien donner. Et ainsi de suite, vous le savez. Évidemment, ce martelage a des effets politiques. Des tas de gens qui se sentent précaires et déclassés se mettent à penser qu’effectivement, l’ennemi, ce sont les syndicats et les carrés rouges, voire les femmes voilés. Ce même cafouillage de droite dénonce également la cause de l’indépendance. Dans certaines régions, les radios-poubelles mènent la « bataille des idées » sur des bases réactionnaires comme ne voit dans le sud des États-Unis. Parmi les responsables de cette dérive se trouve un certain PKP qui ne va pas nous raconter des histoires comme quoi il n’a jamais interféré avec les orientations de son Empire médiatique (la famille Desmarais non plus par ailleurs). Merci Pierre-Karl…

La lente mais irrésistible agonie du PQ

Avant son décès en 2012, François Cyr, un des fondateurs de Québec solidaire, disait qu’en substance, le PQ avait atteint un point de non-retour. Certes, ce n’était pas évident à l’époque. Le gouvernement libéral mené par des voyous, des escrocs et des saccageurs du bien public (y compris un certain Philippe Couillard) devenait un des gouvernements très impopulaires. Le PQ alors dans l’opposition, faisait comme il le fait souvent et adoptait un discours modérément à gauche. Mais déjà, les péquistes avaient perdu la boussole, allant au gré du vent, se contredisant sans cesse, et avec une base populaire en pleine érosion. Malgré la venue de certaines personnalités associées au mouvement populaire et à la gauche, le discours venant des ténors du parti est resté ambigu. Après l’élection de septembre 2012, le « ni de droite ni de gauche » est devenu carrément à droite. L’arrivée de PKP dans le décor est le couronnement de cette évolution. Malgré cela, la vielle génération s’excite, espérant un « miracle » qui permettrait de raviver la « cause sacrée ».

Se tenir droit

Devant tout cela, le PQ prépare une prochaine tempête qui sera marquée d’échecs tout aussi cuisants, probablement pire que ceux de 1980 et de 1995. Les intellectuels et ex-syndicalistes qui accusent Québec Solidaire de « diviser « la « cause sacrée » commettent une double erreur. 1- ça ne marchera pas pour le PQ. 2- Ce parti n’est plus le véhicule dont le Québec a besoin pour relancer un grand projet. Certes à court terme, la défaite du PQ ouvre la voie à la même vieille droite pourrie qui nous empoisonne la vie depuis si longtemps. Ça va barder. Il y aura une grave régression. Mais il y a autre chose, il y a une bonne nouvelle : le mouvement populaire lui-aussi a acquis des forces. La « grande coalition » pour faire converger indépendantisme et progressisme est en train d’être redéfinie. Le travail ne fait que commencer …

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