Édition du 23 avril 2024

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LGTB

Roger Leclerc

Réflexions sur le milieu gai, la lutte contre le sida

Roger LeClerc a marqué la décennie quatre-vingt-dix par son engagement visible aussi bien dans la défense des communautés LGBT que dans le sida. Militant gai et activiste dans le milieu sida, comme lui-même se définit, il a laissé une empreinte durable dans les mémoires, aussi bien par le travail effectué que par ses prises de position et les stratégies pour les faire entendre, qui tranchaient sur le consensus mou recherché à l’époque par les principaux acteurs. La langue de bois, Roger LeClerc, ne connaît pas. Au fond, il n’a pas beaucoup changé.

(tiré de Fugues)

Dans les années 2000, il part s’installer au Burkina Fasso partir un élevage de poules, mais la grippe aviaire, quelques années plus tard décime l’élevage et l’oblige à mettre la clef sous la porte. Même en Afrique, son intérêt pour les droits sociaux ne l’a jamais quitté et il s’engage aussi, en parallèle de sa petite entreprise, à former aussi des Bur-kinabè à partir leur propre business.

De retour au Québec, Roger LeClerc s’est fait discret sur le plan médiatique, mais son engagement et sa passion pour de grandes causes, comme l’éducation, l’aide aux personnes à prendre du pouvoir sur leur propre vie, ne l’a pas abandonné. Aujourd’hui, directeur intérimaire du Comité d’éducation aux adultes de la Petite Bourgogne et de St-Henri (CÉDA), il vient de refuser la médaille du Jubilé d’argent de la Reine d’Angleterre après avoir été mis en nomination par la Société canadienne du sida.

Pourquoi avoir refusé cette médaille qui pourrait être justifiée puisque que tu as été extrêmement impliqué dans la lutte contre le sida, comme fondateur Action Séro Zéro (aujourd’hui Rézo), puis dans la maison d’hébergement pour toxicomanes et itinérants
vivant avec le VIH, ou encore directeur général de la Coalition desorganismes communautaires québécois luttant contre le sida (COCQ-SIDA) ?

Pour plusieurs raisons. D’abord, je ne vois pas l’intérêt de recevoir des médailles ou des prix pour le travail que j’ai pu faire. Puis, en tant qu’indépendantiste convaincu, je ne me reconnais pas dans la Reine d’Angleterre, tout comme je ne me reconnais pas dans le gouvernement canadien actuel qui n’a eu de cesse de couper dans les budgets servant à venir en aide aux plus démunis, ou encore en renforçant la pénalisation des jeunes, toute une série de mesures qui vont à l’encontre de mes convictions. Je n’ai rien de commun avec le Canada, ce n’est pas ma culture.

De plus, cette médaille n’a aucune valeur puisque le Canada en a tiré 60 000 (NDLR : pour un coût de 3,7 millions de dollars) et en a donc distribué à tout le monde. Mais le plus ironique, c’est que malgré ma lettre de refus, il semble que la société canadienne du sida l’eût reçue.

On est au mois de décembre, quelques jours après la journée internationale de lutte contre le sida, quel regard portes-tu sur l’épidémie aujourd’hui ? Et sur les moyens mis en place pour la contrer ?

Je suis en retrait aujourd’hui, et donc, mon regard est tout à fait exté-rieur. Les avancées sont nombreuses, mais il faudrait repenser le rôle des organismes sida, qui ne sont plus dédiés aux séropositifs. Ou encore quand il s’agit de séropositifs, ce sont des hommes qui font face à d’autres problématiques que celle du sida, comme la toxicomanie, l’alcoolisme, des problèmes d’intégration sociale des problématiques qui ne sont pas dues qu’à la séropositivité.

Et puis, pour d’autres organismes qui travaillent sur la santé des gais en général, leur but est de faire de la prévention en fait par des ateliers d’estime de soi, sur le comportement sexuel pour éviter que dans un avenir plus ou moins proche ils ne soient contaminés. Il ne s’agit plus, comme il y a vingt ans, de services dédiés exclusivement aux personnes séropositives. On n’est plus dans la même démarche. Je considère que les missions des organismes ont bien changé, en fonction — et c’est bien — de l’évolution du traitement du sida.

Il faudrait plutôt regarder leur mission comme œuvrant dans la prévention et non comme soutien aux personnes séropositives. D’ailleurs, dans ces orga-nismes, il y a de moins en moins de personnes séropositives qui y travaillent. Alors que dans les premières années, les séropositifs étaient à la tête de ces organismes, une façon de se prendre en charge.

La rencontre du 1er décembre organisée, entre autres, par la COCQ-SIDA soulevait les enjeux de la prévention. Comment toucher les hommes gais puisqu’ils restent bon an mal an les plus touchés par la contamination ?

La perception du sida a changé. Grâce à la thérapie, il n’est plus mortel. Et comme on est plus dans une société de cure que de prévention, le message a du mal à passer. En somme, on ne cherche plus à se protéger du sida, on espère un vaccin ou une pilule qui le fera passer si on l’attrape. C’est, en gros, le message porté par les chercheurs, entre autres, avec le traitement postexposition ou la PreP. Pourquoi se protéger si on peut avoir une prescription de son médecin avec les médicaments qui pourraient m’éviter la contamination ?

Il faut dire que la prévention a toujours été difficile à faire, indépendamment de la bonne volonté des organismes, parce que la recherche médicale a avancé très rapidement et qu’il a fallu s’adapter. S’adapter aussi aux changements de comportements des gais. Par exemple, même s’il est toujours difficile d’affirmer son homosexualité, le processus est plus rapide, on ne met plus des années comme auparavant à s’assumer. Mais en même temps pour les jeunes, ils croient que d’aller dans le Village, sortir dans des bars ou des discothèques.est suffisant pour se sentir appartenir à une communauté ou pour bien vivre son homosexualité. Ce qui n’est pas tout à fait vrai. Les jeunes gais sont souvent laissés à eux-mêmes, et devant la facilité d’avoir des relations sexuelles dans le milieu, je comprends aussi que le sida fasse moins peur. On n’en parle plus. Devrait-on s’inquiéter ? Peut-être.

Mais je n’ai pas la réponse qui serait la meilleure en termes de prévention, surtout auprès des jeunes. D’autant que le milieu gai est aujourd’hui beaucoup une affaire de marketing où il faut que les gais consomment. Alors s’il est bon pour un jeune d’être un objet sexuel, et c’est bon au début, cela ne va pas très loin après quelques temps. On n’a pas grand chose à leur proposer sinon des organismes sociaux et récréatifs. Pour moi, être gai va bien au-delà que d’avoir des activités sociales. C’est une position politique, et aujourd’hui, comme dans le milieu sida, le discours politique est de moins en moins présent.

Les séropositifs restent aussi silencieux face à la prévention...

Ils ont raison, c’est normal. Le sida est encore une maladie des exclus. Et la communauté gaie est très normative et morale. Elle exclut ceux et celles qui ne correspondent pas aux normes. Les séropositifs pour être acceptés doivent trop souvent se taire. D’ailleurs, on a vu comment le communautaire LGBT a remis entre les mains des groupes sida, la question du soutien aux séropositifs et la question de la prévention. Je crois — comme les groupes femmes à l’époque, puis les groupes gais et enfin les groupes sida — que c’est aux principaux de se regrouper, de frapper du poing sur la table, face à l’état, face aux bailleurs de fonds. La solidarité suivra… ou ne suivra pas. Et cela vaut pour tout le monde, pour tous les gais : reprendre du pouvoir sur sa vie et ne pas attendre que les autres le fassent, que ce soient pour s’amuser, attendre l’ouverture d’un nouveau bar, d’une nouvelle soirée, mais aussi au quotidien dans leur propre vie, ne pas attendre pour se prendre en charge.

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La conversation dévie sur le Burkina-Faso où Roger LeClerc a passé plusieurs années. Les comparaisons sont nombreuses pour lui entre le Québec et certains pays d’Afrique, qui le confortent dans le fait de lutter encore pour un Québec indépendant. Avant de revenir sur l’hécatombe des poules suite à la grippe aviaire.

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