Édition du 30 avril 2024

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Québec

Réforme du mode de scrutin, réalité ou enjeu piégé ?

Le 22 janvier dernier, le président du Mouvement Démocratie Nouvelle (MDN), Jean-Pierre Charbonneau et la vice-présidente, Françoise David, ont déposé leur mémoire à la Commission des institutions, chargée d’étudier le projet de loi n° 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin.

La population du Québec mérite mieux que le vieux mode de scrutin imposé en 1792. Et, ses représentants politiques d’aujourd’hui doivent se rappeler que le système électoral appartient au peuple et non à eux, ni à leur parti.

96 des 125 députés actuels de l’Assemblée nationale ont été élus avec l’engagement de remplacer le vieux mode de scrutin par un système qui introduirait plus de respect des valeurs québécoises, soit plus de justice dans la composition du Parlement et plus collaboration entre les partis. Ensemble, tous ces députés ont obtenu l’appui électoral de 70% de la population.

Le MDN invite les parlementaires à ne pas oublier pourquoi un tel projet de loi a été déposé. « Le PL 39 vise à corriger un système injuste et « démocratiquement infect », comme le décrivait René Lévesque », a mentionné Jean-Pierre Charbonneau. Parmi les éléments nocifs du système actuel, notons entre autres que :
• Des partis ont obtenu très souvent plus de députés qu’ils auraient dû en avoir en fonction des votes exprimés ;
• Des partis ont obtenu très souvent moins de députés que ce qu’ils auraient dû avoir ;
• Des partis se sont souvent retrouvés sans député malgré des appuis électoraux significatifs.
• Une majorité des votes n’est jamais prise en considération dans la formation des gouvernements.

Un projet de loi à améliorer

Dans son mémoire, le MDN rappelle les principes adoptés dans l’entente transpartisane de 2016 et qui doivent guider le gouvernement, soit : refléter le plus possible le vote populaire de l’ensemble des Québécois, respecter le poids politique des régions et assurer une meilleure représentation des femmes et de la diversité ethnoculturelle à l’Assemblée nationale.

Respect du vote populaire

« La proportionnalité proposée dans le projet de loi est largement insuffisante, a opiné Françoise David. L’indice de disproportionnalité, qui représente l’écart entre les votes exprimés et le pourcentage des députés élus pour chaque parti à l’assemblée nationale serait, avec le pl 39 à presque 10. C’est mieux que le 17 que nous avons en moyenne avec le système actuel. Mais le Québec aurait l’un des systèmes proportionnels mixtes les moins représentatifs au monde. Cela n’est pas acceptable.

L’un des éléments qui accentue ce taux de disproportionnalité est le fait mentionné à l’article 156 que le calcul des sièges de compensation sera effectué en divisant par deux le nombre de circonscriptions obtenues par les partis. Cela n’existe dans aucun système mixte compensatoire ! Et la conséquence est de permettre à un parti qui aurait obtenu une large part des circonscriptions de gouverner avec une majorité de députés en ayant obtenu aussi peu que 40% des votes lors d’une élection. Autrement dit, le pluralisme des opinions est loin d’être favorisé, ce qui est pourtant l’essence d’un mode de scrutin proportionnel, quel qu’il soit.

Le MDN propose donc que le calcul de la compensation dans chaque région se fasse en tenant compte de toutes les circonscriptions locales remportées. Dans le même esprit, celui de favoriser le pluralisme des idées, il propose aussi qu’un seuil populaire de 3% soit instauré pour l’accès à la représentation parlementaire. Il est injuste d’exiger un seuil national de 10% car des petits partis pourraient avoir un pourcentage moindre au niveau national et performer très convenablement dans quelques régions.

Et par ailleurs, dans l’esprit de respecter le sentiment d’appartenance des citoyennes et citoyens à leur région, y compris des régions moins populeuses, mais aussi de leur assurer le même respect du pluralisme des idées qu’aux régions plus centrales ou populeuses, le MDN propose :

Qu’un minimum de deux députés de compensation par région électorale soit instauré, soit en réduisant le nombre de régions à 14 soit en augmentant le nombre de députés à 129 si on maintient les 17 régions proposées.

Le MDN croit qu’avec plus de 8 millions d’habitants sur son grand territoire, avoir 129 députés à l’Assemblée nationale est parfaitement légitime si l’on veut que toutes les régions bénéficient du même respect du pluralisme politique souhaitable avec la réforme du mode de scrutin.

Il est donc proposé :

Que dans chaque liste de candidatures de compensation, l’alternance hommes-femmes soit obligatoire, avec des femmes en tête de liste dans la moitié des cas. Si un parti propose une liste qui ne répond pas à ce critère, le DGE le renvoie à ses devoirs.

Que chaque parti soit tenu de présenter au moins 45% de femmes dans l’ensemble du territoire pour les candidatures de circonscriptions locales. Un parti qui ne se soumet pas à cette règle verra son financement diminué alors que les partis respectueux de la règle verront leur financement public augmenter.

Et que soit accordé un financement public bonifié pour les partis dont les candidats et candidates reflèteront la présence sociodémographique des jeunes et des personnes issues de la diversité ethnoculturelle québécoise dans les régions.

En terminant, un mot sur un éventuel référendum.

Selon le MDN, le Premier ministre avait d’abord annoncé qu’il n’y avait pas de nécessité de tenir un référendum sur un nouveau mode de scrutin. Puis, il s’est ravisé, disant qu’il s’agissait d’une question fondamentale et complexe.

Si le gouvernement tient à tout prix à ce référendum que le MDN ne pense pas utile, qu’il l’organise complètement en dehors de la période électorale et le plus rapidement possible après l’adoption de la loi. Donc, en 2021. Cela aura l’avantage de faire du nouveau mode de scrutin le seul sujet à l’ordre du jour dans l’espace public. La population lui accordera toute l’importance nécessaire.

Il propose enfin que le deuxième alinéa de l’article 225.8 soit biffé permettant ainsi à tous les élus de l’Assemblée nationale de s’engager dans le camp du oui ou du non. On ne peut pas vouloir un système plus démocratique et chercher à museler les représentants du peuple en ce moment crucial ! Finalement nous demandons au Premier ministre de siéger lui-même au comité directeur du camp du oui, assumant pleinement son choix historique de modifier le mode de scrutin et mettant tout son poids politique dans la balance.

Position que la « Coalition pour la réforme électorale maintenant ! » soutient également. La Coalition juge qu’un tel référendum n’est pas nécessaire. Le gouvernement a la légitimité pour mener cette réforme, a soutenu l’un des porte-parole de la Coalition, Jacques Létourneau, président de la CSN. Et puis, il rappelle qu’au printemps 2018, la CAQ a signé, avec les trois autres formations politiques, hormis le Parti libéral, un pacte pour adopter un mode de scrutin proportionnel mixte, ce qui démontre leur appui, juge-t-il.

« La réforme du mode de scrutin est un enjeu beaucoup trop important pour être abandonné aux aléas partisans d’une campagne électorale », a-t-il martelé en point de presse.

Quelle sera la position du PQ ?

Ce n’est cependant pas ce que soutient Frédérique Bastien, candidat à la chefferie du PQ. Selon ce qu’il affirme : « Le mode de scrutin a régulièrement permis l’élection de gouvernements majoritaires qui étaient, à différents degrés, nationalistes, et qui ont mis en avant des mesures pour renforcer notre identité de même que les pouvoirs du Québec. On n’a qu’à penser à Maurice Duplessis, qui a consolidé nos pouvoirs de taxation, au PQ, qui a fait adopter la loi 101 et tenu deux référendums et, plus récemment, à la CAQ avec la loi 21.

Toutes ces mesures ont été rendues possibles parce qu’un parti nationaliste détenait la majorité en Chambre. Rien ne garantit, c’est le moins qu’on puisse dire, qu’une telle chose sera possible dans une Chambre élue en vertu d’un mode de scrutin proportionnel. Le risque de priver à jamais les indépendantistes, ou même les nationalistes modérés, d’une majorité parlementaire est très réel. »

Selon Christian Dufour, « le PQ a tout à perdre de l’entente de mai 2018 et quatre de ses députés sur neuf ont déjà exprimé des réserves à l’égard du projet, alors que le chef intérimaire Pascal Bérubé et le responsable du dossier Harold Lebel sont des élus régionaux dont on peut douter qu’ils soient enthousiastes pour ce funeste héritage de Jean-François Lisée. »

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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