Édition du 30 avril 2024

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Canada

Santé Canada et le glyphosate

En avril 2017, Santé Canada a autorisé l’usage des herbicides à base de glyphosate pour les 15 années à venir, après 7 ans de travaux d’évaluation des risques qui leur sont liés. En fait il s’agit surtout du Roundup, la marque commerciale de l’herbicide fabriqué et vendu par la compagnie Monsanto maintenant propriété de Bayer, dont le principe actif est le glyphosate. Il est le plus utilisé au pays comme ailleurs dans le monde. Au Québec, on en a répandu plus d’un million et demi de kilos en 2015.

En juillet de la même année, 5 groupes environnementaux dont Équiterre et 2 organisations du secteur de la santé, ont contesté cette décision en vertu de la loi canadienne sur les produits antiparasitaires. Leurs arguments portaient principalement sur le fait que de nombreuses recherches sur les risques sanitaires du produit n’avaient pas été prises en compte. Ces groupes demandaient que la ministre de la santé établisse un comité d’experts.es indépendants.es pour évaluer les risques liés au glyphosate tel que la loi le stipule.

Le 29 octobre dernier, les mêmes groupes, représentés par Écojustice de Vancouver, écrivent à la Ministre de la santé, Mme Petitpas-Taylor, en refaisant cette demande d’un réexamen scientifique indépendant des résultats de recherches sur le glyphosate.

Le 11 janvier courant, Santé Canada a annoncé qu’elle n’allait pas prendre de mesures supplémentaires, qu’elle refusait d’établir un comité indépendant malgré les preuves préoccupantes envers les rapports de recherche qui ont été utilisés pour l’autorisation du produit de Monsanto. Cela a provoqué un certain scandale et énormément de déception au sein des organisations qui luttent pour un environnement sain et pour la protection de la santé publique. Mais d’autres s’en sont montrés satisfaits comme les producteurs de grains du Québec.

Une suite d’événements

Il y a bien longtemps que le Roundup soulève de vives inquiétudes dans les populations. Mais c’est en 2015 que la confirmation de ces inquiétudes sur les effets sur la santé humaine du produit et de son principe actif ont été sérieusement confirmées. Le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé l’a classé « probablement cancérogène pour l’être humain ».

En 2016, la documentariste Marie-Monique Robin et Mme Corine Lepage, ancienne ministre de l’environnement en France, ont organisé un tribunal avec de vrais.es juges, pour statuer sur les effets nocifs du produit. Des témoins sont venus du monde entier pour y participer. De son côté, Monsanto a refusé. Le tribunal a émis un avis juridique d’autorité, fondé en droit sur la nocivité du glyphosate pour les humains et l’environnement.

En 2018, un tribunal de la Californie a statué que le glyphosate du Roundup Monsanto avait contribué à l’apparition d’un cancer incurable chez un jardinier américain âgé de 46 ans et que la compagnie avait délibérément caché les risques liés à son produit. Après négociations, la compagnie a été condamnée à lui payer, 39 millions 35 mille dollars en indemnités en plus de se voir infligé une amande de 250 millions de dommages et intérêts compensatoires. La juge avait réclamé plus du double de la somme versée à M. Johnson.

Monsanto à l’action

Il y a très longtemps que les gens intéressés à l’action du Roundup sur l’environnement et la santé humaine soupçonnent la compagnie Monsanto de manipuler des informations sur la nocivité de son produit. Le prouver directement et avec certitude était une autre affaire. De nombreux liens avaient été mis au jour par des scientifiques et des médecins dans divers pays du monde dont l’Argentine mais quand il a été possible de poursuivre la compagnie devant les tribunaux elle a toujours nié ces liens et présenté des arguments qui ont mené à des décisions en sa faveur ou qui maintenaient le doute. Et c’est effectivement sur la culture du doute que la popularité du Roundup a pu s’implanter et s’installer à long terme.

C’est le procès Johnson en Californie qui a renversé la vapeur si l’on peut dire. Les avocats du plaignant ont pu mettre la main sur ce qui s’appelle maintenant, les Monsanto Papers. C’est une militante américaine en environnement et santé humaine qui les a débusqués et passés aux défenseurs de M. Johnson. (Dans une émission de France 2, Envoyé spécial portant sur le glyphosate et diffusé sur TV5 mercredi le 23 janvier, Mme Carey Gillam, journaliste et fondatrice d’une association de cosommateurs, explique son travail au journaliste de l’émission). Ces documents révèlent toute la stratégie de la compagnie pour faire taire, annuler et rejeter les questions soulevées par qui que ce soit sur l’innocuité du glyphosate. Ils ont amené la preuve que depuis les débuts de la mise en marché, la compagnie a caché des résultats de ses propres recherches sur la nocivité du produit, qu’elle a manipulé des rapports de recherches externes qu’elle avait commandés et répandu de fausses données et informations, négligé de mettre en garde contre le produit et d’indiquer des précautions de manipulation lors des épandages.

L’émission de France 2 confronte un universitaire britannique de haut niveau qui a co-signé un article sur le glyphosate lui accordant sa crédibilité. Il soutient que son travail était indépendant et que jamais la compagnie ne l’a dénaturé. Il donne, à la caméra, des signes d’une grande sincérité. Mais il réagit fortement quand le journaliste lui met sous le nez les corrections amenées par Monsanto inscrites dans les marges du texte. Et ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Cette tactique s’appelle le ghost-writhing. On compare maintenant ces stratégies commerciales à celles utilisées par les fabricants de cigarettes et mise à bas par des révélations semblables à celles qui circulent en ce moment contre Monsanto.

Bases des décisions des agences de santé dont Santé Canada

Dans le cas du Roundup comme de bien d’autres produits, Santé Canada s’appuie principalement, depuis des années, sur des études fournies par les compagnies demandant les autorisations pour la mise en marché ou la poursuite de la commercialisation. C’est ce que les groupes réclamant des études indépendantes lui reproche. Avec le manque de fiabilité des études fournies par Monsanto et maintenant que ses manipulations des recherches sont de notoriété publique, comment l’agence peut-elle soutenir un jour de plus sa pratique et affirmer que la révision faite par ses propres scientifiques des mêmes documents soit fiable ? On ne peut que conclure que cette compagnie est plus forte que l’opinion publique et son gouvernement.
Mais elle n’est pas la seule dans le monde à agir ainsi. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) française a autorisé le Roundup Pro 360 le 6 mars 2017 avec les mêmes méthodes. Le Président Macron s’était engagé à interdire le glyphosate dans 3 ans, en 2021. Or, lors d’une réunion citoyenne à laquelle il a participé ce 24 janvier il a annoncé que cette promesse ne serait pas tenue parce que selon lui elle serait impossible à tenir, en disant qu’elle « tuerait notre agriculture ».

En 2017, l’Union européenne a chargé l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques, (BfR) de produire une expertise sur la dangerosité du glyphosate en vue du renouvellement de son autorisation. Les députés de gauche du parlement européen viennent de démontrer que l’Institut, pour ce qui était de la portion « dangerosité pour la santé humaine », avait plagié les conclusions de la compagnie. Une partie d’entre eux avaient mandaté un spécialiste du plagiat, M. Stefan Weber, un biochimiste M. Helmut Burtscher et l’ONG Global 2000, pour procéder à une analyse approfondie du travail de BfR. Le 15 janvier, le journal le Monde rapportait que selon ces chercheurs : « des chapitres clés du rapport du BfR sont plagiés à plus de 50% et même copiés-collés à plus de 70% (à partir des documents de Monsanto ».

Le 15 janvier courant, un tribunal administratif de Lyon en France, a annulé la mise en marché du Roundup Pro 360 sur tout le territoire. C’est un jugement très important parce qu’il porte effectivement sur le glyphosate et donc par extension sur les autres désherbants qui en contiennent. Le juge reproche à l’Anses d’avoir : « commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution ». Il a comparé les recommandations du CIRC quant au caractère cancérogène du produit avec celles de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Il en conclut que pour cette dernière, « notamment parce que l’indépendance des scientifiques l’ayant réalisé n’a pas été correctement vérifiée », n’était pas fiable et qu’il se rangeait du côté du CICR pour arriver à sa conclusion d’interdiction.

Jusqu’à maintenant, seul le Sri Lanka a interdit le Roundup complètement et sur tout son territoire en 2015. Il faisait face à une véritable épidémie de maladies rénales dans les populations du nord qui cultivent le riz et utilisaient ce produit sans restriction depuis de très nombreuses années. Les départements de dialyse des hôpitaux du secteur avaient peine à traiter autant de monde. Les cultivateurs de thé du sud du pays ont lourdement protesté, démontré que leurs cultures étaient intenables sans cet herbicides et l’interdiction a été levée pour cette partie du pays l’an dernier.

Conclusion

Nous savons depuis longtemps que Santé Canada s’appuie sur les dossiers présentés par les entreprises pour décider des autorisations de mise en marché de n’importe lequel produit médical, d’entretien, de santé humaine et animale. Les protestations contre cette pratique sont nombreuses et s’expriment depuis longtemps au pays. Ce dernier épisode, avec un produit décrié et condamné si largement sur la planète, ne peut que soulever encore plus de consternation dans le public et chez les groupes intéressés. Car, le glyphosate se distingue de d’autres produits dangereux en ce qu’il s’infiltre partout et donc en chacun de nous. L’émission Envoyé spécial a fait tester sa présence dans le sang de 17 personnes dont son animatrice. À des degrés divers toutes ces personnes en avaient plus que des traces quel que soit leur mode de vie et leur lieu de résidence, ville ou campagne.

Les élections fédérales arrivent à grand pas. Il est temps que nous interpelions le gouvernement Trudeau à propos de la pratique de Santé Canada de s’appuyer uniquement sur des rapports de recherche appartenant aux demandeurs de mise en marché de leurs produits. Il faut que notre pays crée des équipes de chercheurs.es indépendants.es qui aient à cœur notre santé, celle de notre environnement et qui ne marchandent pas autour de ces enjeux.

Nota bene

Au moment de publier cet article nous apprenons que le gouvernement du Québec à licencié un de ces agronomes pour avoir divulgué, l’an dernier, les liens et l’influence des entreprises privées de pesticides sur les décisions gouvernementales en agriculture. Démonstration de plus s’il en fallait une. A.C.

Sources documentaires pour écrire cet article

equiterre.org, Glyphosate, Santé Canada n’établit pas d’examen ……. 11 janvier 2019
Le Devoir, Monsanto entre poison, mensonges et impunité, Sarah R. Champagne, 27 janvier 2018
Le Devoir, Glyphosate : Santé Canada fait fi de l’opposition des groupes environnementaux, Pauline Gravel, 12 janvier 2019
Ecojustice, Avis d’opposition final relativement à la Décision de réévaluation RVD2017-01, Glyphosate, signifié par lettre à Mme Petitpas-Taylor le 28 avril 2017 (version française).
Le Parisien, « 99 999 dollars » pour lire des e-mails : la folle riposte de Monsanto sur le glyphosate, Gaël Lombart, 17 janvier 2019
CBC Health Canada Stands by approval of ingredient in Roundup weed killer, reproduction d’une dépêche de Canadian Press, 11 janvier 2019
La vie agricole, Le champ est libre pour le glyphosate au Canada, 13 janvier 2019
Reporterre, La justice annule l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, 15 janvier 2019
Reporterre, Glyphosate : la justice pourrait contraindre l’État à agir, 18 janvier 2019
A l’encontre, Glyphosate. Une autorisation sous l’emprise de Monsanto
France 2, Envoyé spécial, Glyphosate comment s’en sortir ? diffusé sur TV5 mercredi le 23 janvier 2019

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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