Édition du 30 avril 2024

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Océanie

Terrorisme.Les attentats de Christchurch mettent fin à “l’âge de l’innocence”

Beaucoup croyaient, jusqu’aux attentats perpétrés ce 15 mars dans deux mosquées de Christchurch, que la Nouvelle-Zélande était une terre épargnée par le terrorisme. Pourtant, écrit l’universitaire Paul Spoonley, les pensées extrémistes et suprémacistes s’y enracinent depuis longtemps.

Tiré de Courrier international.

La police néo-zélandaise en est encore à réagir au contrecoup des fusillades qui ont visé deux mosquées dans le centre de Christchurch. Les autorités ont fait passer le niveau de sécurité nationale à “élevé”. Pour l’instant, on recense 49 tués. Quatre personnes, trois hommes et une femme, ont été en arrêtés en lien avec les attentats. Un trentenaire [australien] a été inculpé pour meurtre.

Dans les heures qui ont suivi le drame, la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern n’a pas mâché ses mots, soulignant qu’il s’agissait d’un attentat terroriste “d’une violence extraordinaire et sans précédent” qui n’avait pas sa place dans le pays. Elle a ajouté que les extrémismes n’étaient pas les bienvenus en Nouvelle-Zélande, car ils sont contraires à ses valeurs et ne reflètent pas la nation néo-zélandaise.

Elle a raison. Les sondages d’opinion montrent que, dans leur grande majorité, les Néo-Zélandais sont favorables à la diversité et qu’ils considèrent que l’immigration, venue en l’occurrence d’Asie, apporte divers avantages au pays.

“La pureté de la race blanche”

Quoi qu’il en soit, l’extrémisme politique, y compris l’ultranationalisme et le suprémacisme blanc, qui ont apparemment joué un grand rôle dans cet attentat contre des musulmans, font depuis longtemps partie de notre vie commune. À la fin des années 1970, j’ai bouclé une étude sur le National Front et le British National Party [formations d’extrême droite] au Royaume-Uni. Quand je suis rentré en Nouvelle-Zélande, on m’a dit sans détour, même au sein des autorités chargées de surveiller l’extrémisme, qu’ici, nous n’avions pas de groupes comparables. Je n’ai pas tardé à m’apercevoir que c’était faux.

Tout au long des années 1980, j’ai croisé plus de 70 groupes locaux qui répondaient aux critères des mouvements d’extrême droite. Beaucoup étaient installés à Christchurch. C’était un mélange de skinheads, de néonazis et de nationalistes extrémistes. Certains épousaient des idéologies traditionnelles, ancrées dans l’antisémitisme et la foi dans la suprématie de la “race britannique”. D’autres, détournant à leur compte les arguments du nationalisme maori, défendaient des thèses séparatistes au nom de la “pureté de la race blanche”.

Avec Internet, l’islamophobie supplante l’antisémitisme

Et la violence était bel et bien là. En 1989, Wayne Motz, un passant innocent, a été abattu à Christchurch par un skinhead qui s’est rendu ensuite dans un poste de police proche où il s’est suicidé. Sur les photos de ses obsèques, on voit ses amis faire le salut nazi. Lors de deux autres incidents distincts, un randonneur coréen et un homosexuel ont été assassinés pour des raisons idéologiques.

Les choses ont changé. Les années 1990 ont vu l’avènement d’Internet, puis des réseaux sociaux. Et des événements comme les attentats du 11 Septembre ont entraîné un changement de priorité – l’antisémitisme a été supplanté par l’islamophobie.

Les tremblements de terre [notamment celui, dévastateur, de 2011] et la reconstruction ont bouleversé la démographie ethnique de Christchurch, la ville est devenue plus multiculturelle, acceptant mieux sa diversité. Ironie du sort, il a fallu que ces attentats aient justement lieu ici.

Des hommes en chemise noire

Nous nous efforçons le plus souvent de ne pas nous attarder sur la présence de groupes racistes et suprémacistes. Jusqu’à ce qu’ait lieu un incident public, comme la profanation de tombes juives ou un défilé d’hommes (car ce sont surtout des hommes) en chemise noire qui scandent leur “droit d’être blancs”. Peut-être est-il plus facile pour nous de croire, comme l’a dit la Première ministre, qu’ils ne font pas partie de notre nation.

L’an dernier, dans le cadre d’un projet d’étude sur les discours d’incitation à la haine, je me suis penché sur ce que les Néo-Zélandais échangent en ligne. Je suis rapidement tombé sur des commentaires xénophobes et antimusulmans. On aurait tort de croire que ces propos et ces commentaires sont très répandus, mais l’islamophobie n’en existe pas moins en Nouvelle-Zélande. Les exemples ne manquent pas, en particulier sur les réseaux sociaux.

Il y a toujours eu, et ce depuis longtemps, des individus et des groupes qui prônent des idées suprémacistes blanches. Ils sont prompts à brandir des menaces, même s’ils sont rarement passés à l’acte. Et les Néo-Zélandais, y compris dans les médias, font preuve d’une certaine naïveté quant à la nécessité de tolérer l’intolérance. Il n’y a pas nécessairement de lien de cause à effet entre la présence de l’islamophobie dans notre pays et ce qui s’est passé à Christchurch. Mais cet attentat doit sonner le glas de notre innocence.

Peu importe la taille de ces groupes extrémistes, ils représentent toujours un danger pour notre bien-être collectif. Il faut sans cesse réaffirmer et défendre la cohésion sociale et le respect mutuel.

Paul Spoonley

Pro Vice-Chancellor - College of Humanities and Social Sciences
College of Humanities and Social Sciences

Distinguished Professor Spoonley is one of New Zealand’s leading academics and a Fellow of the Royal Society of New Zealand. He joined the Massey staff in 1979 and was, until becoming Pro Vice-Chancellor in October 2013, the College’s Research Director and Auckland Regional Director. He has led numerous externally funded research programmes, including the Ministry of Science and Innovation’s $3.2 million Integration of Immigrants and the $800,000 Nga Tangata Oho Mairangi. He has written or edited 25 books and is a regular commentator in the news media. In 2010, he was a Fulbright Senior Scholar at the University of California Berkeley and in 2013, a Senior Visiting Fellow at the Max Planck Institute of Religious and Ethnic Diversity in Goettingen. He was awarded the Royal Society of New Zealand Science and Technology medal in 2009 in recognition of his academic scholarship, leadership and public contribution to cultural understanding and in 2011, his contribution to Sociology was acknowledged with the Sociological Association of Aotearoa New Zealand’s scholarship for exceptional service to New Zealand sociology. In 2013, he was given the title of Distinguished Professor, Massey University’s highest academic title.

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