Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Tintin en Asie

Stephen Harper participe cette semaine au sommet de l’APEC à Bali en Indonésie. L’APEC, c’est ce projet des États-Unis mis en place en 1989 alors qu’ils pensaient encore dominer le monde. La Chine n’avait pas encore atteint son seuil de croisière et l’idée était, à Washington, de les prendre de vitesse en attirant d’autres puissances asiatiques craintives face à Beijing. En plus, l’APEC devait être une sorte de grand espace économique. Le rêve de Washington (et de ses larbins à Ottawa), était que l’APEC deviendrait une gigantesque zone de libre-échange de l’Asie, sur le « modèle » de cette autre ambition de l’époque, la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). Quelques années plus tard, tout cela s’est évanoui en fumée. La ZLÉA elle-même a été enterrée par les pays latino-américains et des peuples d’un peu partout dans l’hémisphère. La Chine, malgré les réticences de ses voisins, est devenue le centre de l’économie en Asie en se retrouvant au cœur d’un réseau régional autour de l’ASEAN.

Le déclin de l’Empire

Après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis avaient déployé en Asie un énorme dispositif de contrôle, basé en bonne partie sur des pays occupés par l’armée américaine comme le Japon et la Corée du Sud. Il y avait des bases américaines également aux Philippines, en Australie et ailleurs. À partir des années 1960, les États-Unis se sont engouffrés au Vietnam où au moment culminant de cette guerre, plus de 500 000 soldats américains étaient sur le terrain. Mais on le sait, la pax americana ne s’est pas imposée. La catastrophique défaite au Vietnam a conduit cette partie dite indochinoise de l’Asie d’échapper au contrôle des États-Unis. Des alliées plus ou moins tièdes comme la Thaïlande et l’Indonésie se sont peu à peu distanciés. Même la Corée du Sud et le Japon, traditionnels alliés-subalternes, ont développé une certaine autonomie pour profiter entre autres de l’essor de la Chine. Singapore, Hong-Kong et même Taiwan, ces petits « tigres » que les États-Unis mettaient de l’avant comme une « alternative », se sont transformés en relais et partenaires de la Chine. Plus tard, les efforts de Wall Street de profiter des crises financières qui ont frappé plusieurs de ces pays avant le crash de 2008 ont été vus en Asie comme un acte d’agression, au point où l’idée a germé de constituer un Fonds monétaire « asiatique », en dehors d’un FMI trop soumis à la politique américaine.

La confrontation continue

L’Empire américain cependant n’a pas dit son dernier mot. Un des piliers de la stratégie reste d’éviter à tout prix la constitution d’un bloc asiatique. Pour cela, le jeu est de convaincre tous les pays qu’ils ont intérêt à éviter la domination de la Chine, avec laquelle de nombreux conflits existent. Par exemple, plusieurs pays ont des tensions avec le géant chinois, surtout dans les zones maritimes où quelques petits ilots sont réclamés par la Chine, pas tellement pour leur valeur propre, mais pour le fait qu’ils se situent dans des zones potentiellement riches en ressources pétrolières. Par ailleurs, certains voisins de la Chine, le Vietnam par exemple, sont courtisés par les États-Unis pour consolider leurs capacités militaires, en vue d’éventuelles agressions chinoises ! Enfin, les États-Unis font tout pour éviter qu’un règlement pacifique ne se produise entre la Corée du Sud et la Corée du Nord, où la possibilité d’une paix durable est encouragée par la Chine, et par la Russie qui est, on l’oublie souvent, un État du Pacifique. Le président Obama a déjà annoncé un déplacement majeur des forces militaires américaines vers l’Asie, ce qui veut dire un désengagement partiel de l’Europe entre autres.

Les rapports États-Unis / Chine

Sur le plan économique, l’indéniable essor de la Chine ne change pas au fait que les États-Unis, et ses alliés subalternes des G7, restent très influents. Une part importante de la croissance chinoise dépend des relations économiques et commerciales avec les États-Unis, non seulement à cause des exportations chinoises vers ce pays, mais également par la présence des entreprises multinationales américaines dans le lucratif secteur industriel chinois. Ce qui veut dire en bref que la Chine n’a pas encore les moyens de devenir, si jamais elle le voulait, une réelle superpuissance dans la région. À Washington par contre, on pense que cette situation est temporaire, et qu’inévitablement, de par ses capacités économiques, techniques et militaires, la Chine deviendra le centre de gravité, dans 10, 20 ou 30 ans. Par conséquent, il devient important d’agir tout de suite pour éviter ou au moins retarder cette éventualité.

Attiser les conflits

Parmi la gamme des moyens utilisés par l’Empire américain, il y a la bonne vieille tactique de déstabiliser l’adversaire via des conflits « secondaires » ou des « zones de turbulence », comme on l’avait fait à l’époque de la guerre en Afghanistan contre l’Union soviétique. Dans le cas de la Chine, ces turbulences sont dans la province du Tibet où la population locale demande une forme d’autodétermination. La conflictualité se retrouve également dans la province du Xinjiang où les Ouigours (population musulmane et turcophone) sont majoritaires dans une région qui regorge de pétrole. Les États-Unis et leurs faire-valoir comme Stephen Harper insistent beaucoup sur la défense de ces « minorités », selon l’art du double discours dont ils sont champions. L’ancien chef féodal du Tibet (aujourd’hui en exil), le dit Dalaï Lama, a été ainsi promu par Washington, Ottawa et Hollywood comme le « champion des droits humains ». On « oublie » de dire que sous la coupe de ces féodaux (avant l’incorporation forcée du Tibet à la Chine), la population devait manger la crotte de leurs maîtres qui sont, on « oublie » aussi de le dire, l’incarnation de Dieu sur terre.

Tintin à l’ONU

Terminons par le commencement. Harper continue de faire le fanfaron dans un contexte où l’influence du Canada est à son plus bas, comme on l’a vu la semaine passée à l’ONU où le discours du ministre des affaires extérieures John Baird a été lu devant une salle vide. Le discours hargneux contre l’Iran, les appels plus ou moins ouverts à intervenir militairement en Syrie, l’appui inconditionnel aux exactions de la Syrie, ont fait de Baird une véritable « tête à claque » à l’ONU et ailleurs dans les officines de la diplomatie internationale où franchement, l’État canadien, dont les politiques sont davantage proches du Tea party que de celles d’Obama, n’est pas pris au sérieux.

Jeux futiles

Pour l’Asie dont la croissance industrielle continue de mener l’économie internationale, l’intérêt pour le Canada se limite à l’accès aux ressources naturelles (et secondairement, de par ses capacités à recevoir des immigrants). Harper pour sa part joue sur ce terrain en affirmant de temps en temps que son royaume pétro-énergétique peut prospérer avec l’Asie en diversifiant ses exportations qui pour le moment sont destinées à 90 % aux États-Unis. Cette petite « tactique » ne fait pas peur à grand-monde. Il est en effet clair que Harper fonctionne dans l’esprit de rester bien tranquillement au sein du « périmètre » nord-américain sous le contrôle des États-Unis. Ce qui ne veut pas dire de ne pas ouvrir la « busines » du côté d’une Asie vorace de pétrole et de minerais, pleine de capitaux également ce qui permet à des entreprises multinationales de s’« infiltrer » au Canada. L’opération consistant à faire valoir la croissance des exportations pétrolières vers l’Asie permet aussi à Harper de « conseiller » Obama pour qu’il élimine ceux qui sont aux yeux du PM canadien de dangereux « éco-terroristes » et qui veulent empêcher les projets de pipe-lines vers le sud.

Le peddler

Ces manœuvres pathétiques ne changent en rien le fait que Harper soit considéré comme un personnage de second ordre, aussi bien aux États-Unis qu’en Asie. En Malaisie où le Premier Ministre a fait la première escale de son voyage, les médias canadiens ont souligné un « deal » déjà annoncé depuis plusieurs mois avec l’entreprise malaisienne Petronas, qui sera maintenant présente dans l’exploitation du pétrole le plus sale au monde. On a « oublié » de dire que Harper a dû sagement attendre le départ du président chinois avant de rencontrer le PM malaisien. Comme quoi les peddlers passent après les gens importants …

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