Édition du 23 avril 2024

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Charte des valeurs québécoises

Canada

Tirer des avantages politiques de la charte de la laïcité québécoise

Contrairement à ce que les principaux media anglophones veulent vous faire croire, le Québec n’est pas l’endroit le plus raciste au Canada. Le racisme est dans le fibre même desa sociétés québécoise et canadienne comme dans un morceau de tissu.

Les politicienNEs anglophones ont été prompts à marquer des points politiques en capitalisant sur les divisions faciles et séculaires : quand ils stigmatisent le Québec, le Parti québécois, Pauline Marois pour être raciste, ils déclarent : « Regardez-les ! » Ou, en d’autres termes : « Ne nous regardons pas ! »

En effet, la Charte de la laïcité du Parti québécois est une occasion en or pour les politiciens canadiens. Le gouvernement de l’Ontario a sauté sur l’occasion et a condamné la charte avant même qu’elle soit présentée.

Cette condamnation est assez légère quand on sait que vendredi dernier, le gouvernement de l’Ontario a contesté sa responsabilité de fournir l’Assurance-maladie à deux travailleurs migrants qui s’étaient blessés au travail. L’Ontario croit que les travailleurs étrangers ( qui sont pour la plupart racialisée), une fois blesséd et incapabled de travailler, devraient être expulsés hors de la protection du système de santé provincial.

Le gouvernement de l’Ontario n’a pas, également, déclaré son soutien à la démarche juridique de Ian Campeau qui voulait changer le nom raciste de l’équipe de football amateur Les Redskins, nom qui n’a rien de raciste, n’est-ce pas ! Ils n’ont pas non plus condamné l’ Association nationale de football amateur qui a refusé de commenter ou qui a auparavant résisté à un tel changement de nom.

Le maire de Calgary, Naheed Nenshi, a aussi sauté dans le ring. Il a reçu une large couverture médiatique la semaine dernière pour s’être opposé au projet de Charte présentée de Pauline Marois. Plutôt que de reconnaître à quel point sa propre communauté doit s’engager dans la lutte contre le racisme, il s’est concentré uniquement sur le Québec. Calgary est l’une des villes où les organisations suprémacistes blanches sont les plus actives au Canada, l’un des rares endroits où les nationalistes blancs tiennent, chaque année, en mars, un défilé le jour de l’anniversaire de Hitler.

Il ya des points aveugles au Canada anglais concernant le racisme institutionnalisé et ce n’est pas répondre au problème que des politiciens se contentent de condamner les expressions les plus lointaines de la suprématie blanche. Les points politiques marqués ne vont qu’amplifier les sentiments anti-québécois et les QuébécoisEs en seront légitimement indignés.

Le Canada a été construit sur la suprématie blanche et le nationalisme blanc. La suprématie des églises catholiques et protestantes est directement lié au génocide sur lequel le pays a été construit et le racisme est présent dans toutes les structures canadiennes. Mais les origines du Québec, qui définissent la société québécoise d’aujourd’hui sont différentes de celles du reste du Canada.

L’histoire du Québec a été marquée par la conquête anglaise, par le contrôle de toutes les dimensions de la société québécoise par l’Eglise catholique et par la nature répressive de ce contrôle qui n’a pas d’équivalent dans le reste du Canada. La soumission forcée des QuébécoisEs de langue française aux mains des capitalistes anglais a créé une société inégalitaire où les QuébécoisEs étaient moins instruits, plus pauvres et plus marginalisées que la grande majorité de la minorité anglophone de cette province.

Les relations institutionnelles des QuébécoisEs avec la religion sont différentes également de celles que l’on retrouve que dans les autres régions du Canada. Les QuébécoisEs ont rejeté spectaculairement et rapidement l’influence de l’Église sur leur vie grâce à la Révolution tranquille. Mais la rupture n’était pas complète et le rôle joué autrefois par l’Église catholique influence encore bien des QuébécoisEs dans leur compréhension des rapports de l’État et de la religion.

Les propositions de la charte du PQ sur la laïcité trouvent leur origine dans cette expérience. C’est une sorte de laïcité, une laïcité post-catholique et blanche, où des croix sont encore accrochées dans des écoles publiques et où un crucifix est présenté comme un bien patrimonial et non comme un signe religieux. C’est paradoxal, mais c’est profondément québécois.

À cause d’un tel contexte politique, toute tentative de faire adopter une charte de la laïcité par un parti politique au pouvoir va échouer et être vu comme raciste et offensant.

Alors que beaucoup de gens avaient espéré que la Charte ait au moins permis la fin des subventions publiques aux écoles privées religieuses, la Charte reste muette sur ce point. Elle dispense également les députéEs eux-mêmes d’être contraints de cacher leurs symboles religieux. Le PQ protège ainsi les personnes au pouvoir, tout en opprimant et en marginalisant les travailleurs et les travailleuses.

J’ai des amis progressistes qui défendent qu’aucun signe religieux ne devrait se manifester dans les institutions publiques. Cette affirmation générale a peu de légitimité quand vous considérez la force des assises du catholicisme, et qu’en finir avec les derniers vestiges de l’Église catholique de Québec est impossible. Cela est particulièrement vrai compte tenu de la vente généralisée des églises de la province : parfois il est plus logique pour une ville d’acheter une église et de la transformer en une bibliothèque que de simplement la brûler. Le vitrail est probablement trop vieux et beau et il est donc restauré. Il représente probablement la barbe de Jésus abîmée ou Jésus à l’agonie sur la croix.

Tout comme les points politiques rapides que Wynne et Nenshi espéraient compter, cette Charte a davantage à voir avec les sondages qu’avec le prosélytisme. S’il s’agissait de la liberté de gens ennuyeux qui essaient de me convaincre que la Scientologie est la voie pour trouver le salut, le PQ aurait tout simplement interdit le prosélytisme dans l’espace public. Mais il n’y a sûrement personne qui ne se soit jamais converti à l’islam uniquement parce qu’en 6e année, ils ont appris les mathématiques d’une femme portant le hijab.

Ce débat n’a rien à voir avec la liberté religieuse. Le Parti québécois sait que cette rhétorique est assez populaire parmi les gens et que cela pourrait leur offrir une majorité aux prochaines élections provinciales. Et d’ailleurs, diaboliser un turban est beaucoup plus facile que d’équilibrer le désir de la province d’exploiter ses ressources naturelles et de satisfaire l’industrie étrangère avec l’indignation des gens suite aux événements de Lac- Mégantic par exemple.

La laïcité, quand elle est maniée comme un objet contondant, marginalise les personnes qui sont déjà marginalisées. Pour les observateurs religieux, le port de signes religieux n’est pas un choix et il sera soit systématiquement exclu du secteur public, ou devra être abandonné comme expression de la religion.

La législation est enracinée dans la suprématie blanche, où la religion, les normes, les cultures et les pratiques dominantes des blancs sont vues comme correctes, mais la religion, les normes, les cultures et les pratiques de l’autre sont fortement racialisées donc offensantes. En fait , selon Bernard Drainville, le député qui a présenté la charte, elles sont tellement intrusives qu’elles doivent être arrêtées, en particulier pour protéger les enfants dans les écoles.

Mais l’analyse de cette réalité doit être réfléchie et prudente. Il ne suffit pas de simplement présenter le Québec comme raciste alors que les autres provinces ne luttent pas contre ses propres structures racistes. Les critiques canadiens, et en particulier les journalistes des médias traditionnels, doivent éviter de partir de l’histoire de leur propre province et du contexte actuel pour analyser le Québec.

(Traduction Presse-toi à gauche)

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