Édition du 23 avril 2024

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Opinion

Transport en commun : des solutions réalistes pour la région de Lévis

« Le singe descendit de l’arbre. Il se leva. Marcha. Monta dans la voiture. Descendit de la voiture et reprit sa marche. » (D. Anthony)

Une question fut redondante durant les récentes élections municipales à Lévis : comment régler les problèmes de congestion aux ponts aux heures de pointe ? En réponse, une mystérieuse amélioration du transport en commun a été proposée à quelques reprises.

Je dis mystérieuse, car dans notre société où la possession et l’usage individuel d’une automobile sont tant valorisés (particulièrement dans notre région banlieusarde), il est bien difficile pour plusieurs de comprendre en quoi le transport en commun pourrait bientôt devenir essentiel (bien que ceux qui le comprennent soient de plus en plus nombreux). Dans ce texte, je tenterai de démontrer la nécessité d’améliorer grandement ce service public, offert par la Société de transport de Lévis (STL), puis je proposerai quelques moyens pour y parvenir d’une façon efficace, responsable et réaliste.

Contexte : environnement et limitation des ressources

L’usage que nous faisons de l’automobile (utilitaire, divertissement, pavoisement...) va assurément se modifier dans les prochaines années, étant donné la multitude d’éléments qui favoriseront une hausse importante du coût de l’essence à la pompe. Pourquoi ?

Premièrement, les réserves mondiales dite « conventionnelles », que nous pouvons aisément extraire et transformer, diminuent tellement rapidement que nous ne pourrons plus augmenter notre production annuelle, voire la maintenir au niveau actuel (environ 90 millions de barils par jour). C’est ce que les experts appellent « atteindre le Pic pétrolier ». Un déclin de la production est annoncé et pourrait s’entamer avant 2020, [1] donc très bientôt.

Deuxièmement, les nouvelles technologies d’extraction nous permettent désormais d’accéder à des sources pétrolières qui étaient autrefois inaccessibles, dites « non-conventionnelles » (par exemple : les sables bitumineux en Alberta). Par contre, le processus d’extraction et de transformation de ce pétrole est beaucoup plus coûteux (environ 40$ le baril, contre 3$ pour le pétrole dit conventionnel) . [2]

Troisièmement, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), la demande internationale pour du pétrole transformé en carburant ira inévitablement en augmentant tant que nous privilégierons le transport routier comme principal moyen de déplacement des humains et des marchandises. [3] Et voici un chiffre révélateur : dû à la crise économique, mais surtout au développement de son marché intérieur, les ventes de voitures en Chine ont égalé pour la première fois celles des États-Unis en août dernier. [4] Qu’en sera-t-il dans 20 ans ? Une demande en pétrole d’au moins 20% supérieure à aujourd’hui, toujours selon l’AIE…

Quatrièmement, selon la tendance internationale, initiée par les pays européens et à laquelle se rallient désormais les États-Unis, le principe du « pollueur-payeur » sera de plus en plus appliqué, dans le but de réduire et d’internaliser les coûts reliés à la destruction de l’environnement : le domaine du transport représentant 40% de la production de gaz à effet de serre au Québec, [5] il est fort à parier que les taxes sur l’essence seront augmentées durant la prochaine décennie. Aussi, lorsqu’on sait que chaque voiture nécessite 200 000 litres d’eau pour sa fabrication, [6] il est réaliste de penser qu’une taxe à l’achat d’un véhicule neuf pourrait bientôt être imposée.

Finalement, nous avons fait le choix politique d’obéir à ce que certains appellent la loi de l’offre et de la demande pour fixer le prix des biens vendus. Ce faisant, lorsque l’offre diminue, le produit tend à coûter plus cher. Lorsque la demande augmente, le produit tend aussi à coûter plus cher. Imaginez maintenant le résultat quand les deux facteurs entrent en jeu.

Une approche réaliste et efficace

Mais alors, que faire ? La meilleure solution semble passer par une amélioration substantielle du service de transport en commun, dans notre région comme dans le restant du Québec. Mais pour que cela soit efficace, il faudra adopter une approche cohérente et préparer le réseau avant que la demande pour ce service n’augmente en flèche.

Pour améliorer un réseau de transport en commun, ça prend de l’argent et il faut bien aller en chercher à quelque part. Le plus juste est évidemment d’appliquer le principe du pollueur-payer : taxe pour l’immatriculation d’un véhicule, taxe sur l’essence (retournée en partie aux municipalités), élévation du coût pour le stationnement, etc. Dans notre cas, nous pourrions aussi appliquer un droit de péage pour l’usage des ponts vers Québec. À Londres, à Singapour et même à Toronto, [7] cela se fait déjà à l’aide d’une carte à puce : une antenne détecte l’automobile qui entre au centre-ville, puis la facture est envoyée par la poste au propriétaire, donc cela ne nécessite même pas d’immobiliser le véhicule (ce qui ralentirait davantage la circulation). La facturation pourrait même être modulée en fonction de l’heure de passage (exemple : 1$ avant 6h45, 2$ jusqu’à 7h45, 3$ jusqu’à 9h00...), en plus d’être beaucoup plus élevée pour les véhicules de marchandises (qui endommagent rapidement le réseau routier). Ces ressources pourront financer le transport en commun, l’entretien des infrastructures routières et la lutte aux changements climatiques.

Par contre, pour que ces mesures soient acceptables, il faut aussi s’assurer de pénaliser le moins possible les familles, les personnes à faible revenu et ceux qui abandonneront leur voiture (question de justice et de respect). Pour cela, nous pourrions diminuer le coût du transport en commun, ajouter des autobus là où le service est déficient (ex : Pintendre, Saint-Jean-Chrysostome, Saint-Nicolas, etc.) et s’assurer que le service fonctionne jusqu’aux petites heures du matin (pour répondre à la demande de ceux qui ne peuvent conduire leur voiture à la sortie des bars : ils pourront ensuite envisager le transport collectif pour leurs autres déplacements). Aussi, pour que le réseau devienne réellement fonctionnel (et attrayant), il faudra repenser l’urbanisme : une meilleure répartition des marchés et des services (pour qu’il y ait moins de déplacements), réserver une voie pour les autobus sur le boulevard de la Rive-Sud et le Pont de Québec (pour qu’ils arrivent à destination rapidement), s’assurer que les lieux de transfert soient adéquats et que les horaires seront respectés, etc. Ces changements à l’urbanisme sont déjà envisagées par de nombreux experts, notamment James Howard Kuntsler, auteur d’une conférence (en ligne) sur le sujet . [8]

Par la suite, de nouveaux services pourraient être mis en place. Nous pourrions, par exemple, utiliser un train de banlieue qui traverserait le Pont de Québec, s’arrêtant à Saint-Nicolas, à Charny et près du centre des congrès, avant de retourner à Québec y déposer les usagers à la gare de Sainte-Foy, d’où ils auraient accès au réseau du RTC (ce train pourrait même se rendre dans le vieux Québec, empruntant la voie ferroviaire longeant le boulevard Champlain). Il faudra installer des stationnements à proximité des embarcadères, puis s’assurer que le train de banlieue ait priorité face aux trains de marchandises. En plus, l’installation de ces infrastructures ferroviaires sera soit majoritairement, soit totalement financée par le Ministère des transports du Québec . [9] Et il ne faut pas perdre de vue que développer notre réseau ferroviaire est un excellent moyen d’investir nos ressources au Québec, plutôt qu’aux États-Unis ou en Ontario (comme c’est le cas lorsqu’on achète une voiture) . [10] Nous sommes des producteurs et des experts dans l’industrie ferroviaire (par exemple Bombardier) : alors profitons-en !

Aussi, simplifier et rendre plus accessible l’utilisation du réseau de transport en commun serait une très bonne chose. Cela pourrait se faire, notamment, par la fusion du réseau transport de Lévis (STL) avec celui de Québec (RTC) : un seul laissez-passer d’autobus et des coûts moindres pour l’usager ! En plus, ça réglerait le problème de nos frais d’immatriculation (les Lévisiens) qui financent présentement le RTC… Aussi, laisser monter, la première journée de chaque mois, les utilisateurs qui ont oublié de renouveler leurs laissez-passer permettrait d’améliorer considérablement l’appréciation du service, surtout chez les étudiants.

Finalement, je crois que ce genre de développement doit nécessairement se faire progressivement et en coopération avec les utilisateurs potentiels, notamment au sein d’un comité des usagers. Aussi, si nous avions des conseils de quartier à Lévis (comme cela fut proposé par Gaston Cadrin, entre autres, durant les dernières élections ), [11] la question ne se poserait pas : nous aurions les structures et les outils pour faire participer les citoyens... mais là nous sommes dans un autre débat.

Conclusion

Une amélioration de notre réseau de transport en commun semble donc nécessaire. Mais le projet de développement doit être réaliste et cohérent. Aussi, cela doit se faire progressivement :
• 2010 : Consultation visant à préciser les solutions pour les secteurs où le réseau est déficient et lancement d’une étude de faisabilité pour un train de banlieue.
• 2011 : Baisse de 15% du coût d’utilisation du réseau de la STL (laissez-passer, billet, etc.) avec un investissement compensatoire de la part de la ville.
• 2012 : Achat d’un grand nombre d’autobus, construction du nouveau terminal (prévu être au Cégep de Lévis-Lauzon) et amélioration du service.
• 2013 : Réservation d’une voie prioritaire pour les autobus sur le boulevard de la Rive-Sud et sur le pont de Québec.
• 2014 : Construction des infrastructures pour le train de banlieue, hausse du coût d’immatriculation, puis instauration d’un droit de péage pour les ponts entre Lévis et Québec (modulé selon l’heure de passage et le type de véhicule).
• 2015 : Lancement du train de banlieue et possible fusion avec le RTC.

Évidemment, je ne crois avoir toutes les réponses dans ce texte. Qui sait à combien s’élèvera le prix du litre d’essence en 2020 : 2.00$ ? 3.00$ ? Pour le moment, personne ne peut s’exprimer avec certitude. Par contre, ce qu’on sait, c’est qu’aussi longtemps qu’un changement majeur ne sera pas annoncé par nos gouvernements (les pays de l’OCDE), mais aussi par ceux des pays en « voie de développement à l’occidental » (la Chine, l’Inde, etc.), la tendance se maintiendra dans la même direction. Voilà pourquoi notre municipalité et la Société de transport de Lévis doivent se préparer, tout en soutenant activement un changement des mentalités et des habitudes.

Si nous gardons à l’esprit que le prix ne fera qu’augmenter à partir d’aujourd’hui, puis que d’autres pays sont déjà parvenus à se préparer en améliorant leur indépendance énergétique face au pétrole (les pays scandinaves en sont un très bon exemple ), [12] nous pourrons surmonter, calmement et rationnellement, les défis qui nous attendent. Le progrès dans ce domaine est possible, mais il faut y croire et y travailler progressivement.

En espérant parvenir à lancer la réflexion dans notre région.

« I don’t need a flash car to take me around
I can get the bus to the other side of town »
(Sham 69 – Hey Little Rich Boy)


[1« Peak oil could hit soon, report says », The Guardian, 8 octobre 2009, URL : http://www.guardian.co.uk/environment/2009/oct/08/peak-oil-could-hit-soon

[2Serge Enderlin, « L’après-pétrole commence », Seuil, 2009, cité par Jacques Languirand à l’émission Par quatre chemins du 3 octobre 2009.

[3TORDJMAN, Jérémy, « L’heure de la « révolution » énergétique a sonné », Agence France-Presse, nouvelle rapportée par Cyberpresse.ca, URL : http://www.cyberpresse.ca/environnement/climat/200911/10/01-920303-lheure-de-la-revolution-energetique-a-sonne.php

[4« China’s car market : Motoring ahead », The Economist, 9 novembre 2009, URL : http://www.economist.com/daily/chartgallery/displaystory.cfm?story_id=14732026

[5Steven Guilbault, « En voiture ! », Hebdos.com, 10 mars 2009, URL : http://www.leshebdos.com/article-312002-En-voiture.html

[6Steven Guilbault, « Salon de l’auto 2009 », Hebdos.com, 27 janvier 2009, URL : http://www.leshebdos.com/article-296767-SALON-DE-LAUTO-2009.html

[7Gouvernement du Canada, « Éléments optionnels d’une stratégie éventuelle », Tables sur le développement durable des secteurs, URL : http://www.sst.gc.ca/default.asp?lang=Fr&n=A2B8D237-1&offset=6&toc=show

[8James Howard Kuntsler, « The Tragedy of Suburbia », [En ligne], URL : http://www.youtube.com/watch?v=Q1ZeXnmDZMQ

[9Gouvernement du Québec, « Programme d’aide gouvernementale au transport collectif des personnes – Loi sur les transport – Article I – Alinéas 6, 7 et 8 », Éditeur officiel du Québec, URL : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/T_12/T12R13_02.HTM

[10Steven Guilbault, « Le retour des trolleybus », Hebdos.com, 23 mars 2009, URL : http://www.leshebdos.com/article-317044-Le-retour-des-trolleybus.html

[11Gaston Cadrin, « Une vision et un programme stimulants pour l’avenir du quartier », communiqué de presse du 1er octobre 2009, URL : http://gastoncadrin.ca/data/files/PROGRAMME_PRIORITES_POUR_LE_QUARTIER.pdf

[12Éric Moreault, « Objectif : sortir le Québec de sa dépendance au pétrole », Le Soleil, 14 octobre 2009, URL : http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/environnement/200910/14/01-911370-objectif-sortir-le-quebec-de-sa-dependance-au-petrole.php

Mots-clés : Opinion
Jean-Nicolas Denis

Université Laval - Baccalauréat Intégré
Philosophie et Science politique

Membre de Québec solidaire ULaval et Lévis

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