Édition du 23 avril 2024

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Crise économique

Trois ans de crises, trois mois d’indignation

Nous approchons du troisième anniversaire de la faillite de la banque Lehman Brothers et de l’éclatement formel de la crise ; “une rationalisation irrationnelle d’un système irrationnel” selon les termes du géographe David Harvey. En plein “krach” du système financier, les maîtres du monde avaient connu un bref moment de panique, alarmés par l’ampleur d’une crise qu’ils n’avaient pas prévue, par leur manque d’instrument théorique afin de la comprendre et par la crainte d’une forte réaction sociale. Ce fut l’époque des déclarations creuses sur la “refondation du capitalisme” et des faux mea culpa qui se sont bien vite évaporés, dès que le système financier se stabilisa un peu et devant l’absence d’explosion sociale.

On entra ainsi dans une nouvelle phase qui, avec la crise et le déficit public comme prétextes, se caractérise par les politiques appliquées dans l’ensemble de l’Union européenne afin de réduire les droits sociaux, d’infliger une défaite historique aux travailleurs et de renforcer les mécanismes de domination de classe. Pour les pouvoirs économiques, les régulations sociales encore existantes sur le Vieux continent constituent un frein à la compétitivité internationale de l’économie européenne et un poids dérangeant dont ils veulent se débarrasser. Les mesures prises par le gouvernement Zapatero depuis mai 2010 et les coupes du gouvernement en Catalogne, le “gouvernement des plus capables” (avec des ciseaux) s’inscrivent pleinement dans cette dynamique générale.

Nous arrivons au troisième anniversaire de la crise avec une sensation ambivalente. D’une part, il y a le cruel constat devant l’ampleur de la tragédie et des graves conséquences sociales d’une catastrophe économique qui, loin d’être derrière nous, menace au contraire de s’aggraver avec l’accélération des turbulences financières internationales, dans un contexte où les classes dominantes manifestent une détermination virulente à nous faire payer le coût de leur crise. D’autre part, cependant, nous arrivons à ce moment avec l’évidence encourageante que, finalement, la révolte sociale contre cet intolérable état des choses a commencé.

Effectivement, si le mouvement du 15M a transmis un quelconque message, c’est bien celui de l’espoir, à l’encontre de la démoralisation et du pessimisme, espoir dans la capacité collective de changer les choses et d’être des sujets actifs et non de simples objets passifs face aux intérêts du capital et à sa logique du profit et de la concurrence. L’indignation est, précisément, “le contraire de la routine et de la résignation”, comme le soulignait Daniel Bensaïd.

L’espoir que le mouvement a apporté à ceux qui veulent “changer le monde de base” est directement proportionnel à l’inquiétude provoquée dans les groupes dominants de la société, brutalement interpellés par ce nouvel acteur qui défie leur monopole sur les questions collectives et sur la vie publique et qui remet en question les définitions officielles de la crise, caractérisées par leur vision unilatérale et intéressée.

Le 15M et la politique dominante représentent deux logiques différentes, irréconciliables. D’un côté, l’aspiration à la justice sociale et à une démocratie réelle dans le sens le plus large du terme, c’est à dire en la capacité de décider sur nos propres destinées. D’un autre côté, les diktats des intérêts patronaux et l’emprise du profit privé. Tous deux indiquent deux feuilles de route antagonistes pour notre société. Notre avenir sera très différent en fonction de celle qui va prévaloir sur l’autre.

En trois mois d’existence, le mouvement a signifié un fort processus de politisation de la société, un renouveau de l’intérêt pour les questions collectives et une réoccupation sociale de l’espace public usurpé quotidiennement par les intérêts privés. Il a représenté un apprentissage collectif de l’exercice de la démocratie et de l’auto-organisation. Ils nous ont montré comment commencer “à apprendre à désapprendre” pour nous défaire des idées hégémoniques sur la réalité et a contribué à diffuser un “sens commun alternatif”.

La vague d’indignation mobilisée n’a toutefois pas encore atteint une force suffisante que pour stopper les politiques en cours, et cela bien qu’elle soit parvenue à arracher quelques victoires concrètes importantes, mais défensives, comme la paralysie de nombreuses expulsions de logement ou l’affaiblissement de l’application des ordonnances de civisme.

Tout cela, après tout, n’est pas un mauvais bilan pour un mouvement qui, qu’on l’aime ou pas, commence à peine à démontrer ce dont il est capable.


*Article publié dans le journal Público (édition catalane) le 03/09/2011. Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be

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