Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Un jour à Valleyfield

Quand on a vit à Montréal, on passe à travers des régions souvent un peu rapidement. Pour aller faire un tour. Passer une semaine de vacances. Visiter un parent ou un ami. On a rarement l’occasion de comprendre ce qui se passe et encore moins, comment les gens y vivent. On est presque des touristes.
Depuis quelques mois, je travaille avec un groupe de camarades de Valleyfield. Oui, Valleyfield la rouge, le pays de Madeleine Parent et des grèves combatives. Ce n’est pas seulement de l’histoire, car encore l’an passé, 400 métallos à la CZinc ont fait une grève d’un an. Oui, vous avez bien lu, un an.

En bataille contre une grande multinationale, le syndicat a tenu tête contre l’assaut patronal. En effet, une nouvelle tactique consiste, depuis qu’une loi interdit les clauses dites « orphelin », à massacrer les fonds de pension et les assurances collectives pour réduire les bénéfices des derniers arrivés. Quand le syndicat accepte cette politique injuste, c’est le début de la fin. Une grande partie du personnel a compris qu’on s’est foutus de leur gueule. Tout le monde est contre tout le monde.

C’est ça que les gens de C-Zinc ont rejeté et cela leur a pris un an pour gagner leur bataille. Et vous savez pourquoi ? Et bien, c’est parce le syndicat se préparait à la lutte depuis plus d’un an. Il avait réuni tout le monde, les jeunes et les jeunes de cœur, les hommes et les femmes, tout cela, pour dire simplement, « on va se tenir ensemble jusqu’au bout ». Le syndicat savait aussi que la ville (40 000 personnes) allait se mobiliser, Mêmes les commerçants étaient dans le coup avec des réductions de prix pour les grévistes. On est à Valleyfield après tout.

Malgré cette combativité, cette ville industrielle a été durement frappée ces dernières années par des coupures d’emplois importants (près de 2000 au total). Il reste cependant encore quelques grandes entreprises, et de plus en plus, une galaxie de PME de toute sortes. Comme on est Valleyfield, on réussit à syndiquer les petites shops. Une concertation intersyndicale qu’on ne voit pas souvent au Québec implique un pacte de non-maraudage entre la CSN et la FTQ. Des fonds d’appuis aux grèves existent dans plusieurs et on s’appuie, quel que soit l’allégeance syndicale.

Pourquoi ça marche ici ? Il y a bien sûr une histoire. À l’époque où la ville était une « company town », les grévistes de la Montreal Coton avec l’aide de Madeleine Parent et de Kent Rowley avaient tenu tête à la plus grande entreprise de textile du Canada, appuyée par le gouvernement réactionnaire de Duplessis et l’Église catholique, dirigée par nul autre que le futur cardinal Paul-Émile Léger. Les grévistes avec la moitié de la ville avaient encerclé l’usine et mis dehors les scabs et les contremaîtres. Plus tard dans les années 1970, plusieurs syndicats ont continué des batailles mémorables contre Expro (munitions), Goodyear (pneus) et d’autres, dans l’esprit et la pratique du syndicalisme de combat qui dominait à l’époque.

Aujourd’hui, ces anciens syndicalistes rouges sont presque tous retraités, mais on les trouve partout dans les associations et initiatives qui traversent la ville, comme Coton-46, qui est un fonds communautaire et syndical d’appui aux mouvements et aux luttes.

Les jeunes générations les regardent et ont parfois de la difficulté de comprendre, puisque la société a tellement changé. On ne devient pas ouvrier de « père en fils », comme c’était avant. Les jeunes partent aux quatre vents, alors que dans un passé pas si lointain, on naissait, on se mariait, on travaillait et on décédait à Valleyfield. Autrement, l’économie est fragmentée entre plusieurs unités et dans la région du Suroît, dont Valleyfield est la capitale, il y a un puissant processus de « banlieu-isation », alors que des villes et villages deviennent des dortoirs où on retrouve d’innombrables centres d’achat.

Malgré cela, Valleyfield persiste et signe. En 2012 par exemple, c’est ici au cégep que la grève étudiante a commencé. Le conseil municipal, élu en 2017, est tenu par des jeunes et des syndicalistes qui cherchent à défendre leur ville et aussi à la verdir. Le territoire de Valleyfield est d’une grande beauté en plein milieu du fleuve, mais les pratiques traditionnelles des entreprises (déversements sans traitement, constructions hors normes, mauvaise gestion) ont abimé l’environnement. « Il faut nettoyer tout cela maintenant » nous raconte Jason Grenier, un jeune prof de cégep maintenant conseiller municipal.

Pendant longtemps, la population de Valleyfield a porté à travers les syndicats un projet indépendantiste de gauche, qui voyait le PQ comme le véhicule avec lequel on allait arriver à un pays plus équitable. Lors des dernières élections, la CAQ a remporté la victoire alors qu’elle n’avait aucune implantation réelle, associée aux petits notables et commerçants. La candidate du PQ, plutôt de gauche, Mireille Théôret, a perdu un compté qui était péquiste pendant l’essentiel des 40 dernières années. Le candidat de QS, Pierre-Paul St-Onge, a quand même triplé le vote solidaire, surtout avec l’appui des jeunes et des étudiants. Aujourd’hui, beaucoup de monde se demandent où on s’en va. Il y a un sentiment assez généralisé à l’effet que le PQ a fait son temps, mais ses appuis restent quand même importants, surtout parmi les ouvriers. QS, jusqu’au 1er octobre, était perçu comme une gang de Martiens, mais cela a changé lors de la dernière campagne électorale.

L’avancement des forces progressistes au Québec, cela ne peut pas se passer seulement dans les grands centres urbains, à commencer par Montréal. Il faut sortir du « périmètre » actuel, où prédominent les jeunes aux études post secondaires ou même diplômés. Les préoccupations du monde ordinaire, à Valleyfield et ailleurs, s’expriment d’une autre manière, bien que la sensibilité écologiste y soit maintenant bien présente. Certes, la lutte contre la pauvreté, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail, les assauts patronaux contre les droits acquis, sont également très présents. Lors de la dernière élection, beaucoup de gens à Valleyfield ont bien entendu Manon Massé qui a dit des choses qui ont drôlement résonné dans la conscience populaire.

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