Édition du 7 mai 2024

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Asie/Proche-Orient

Un poète palestinien commente l’apartheid en Israël, la montée des tensions dans la région et le raid sur la mosquée Al-Aqsa

Amy Goodman : (…) Israël a bombardé le sud Liban et Gaza durant la nuit alors que les tensions se renforcent dans la région. Cela survient quelques jours après que la police israélienne ait attaqué les fidèles à l’intérieur de la mosquée Al-Aqsa et ses dépendances dans Jérusalem est, occupé. En réponse à cette attaque, des militiants.es du sud Liban et de la bande de Gaza ont tiré des douzaines de roquettes sur Israël. C’est la plus importante attaque du genre depuis 17 ans. Israël déclare que la majorité des roquettes ont été interceptées.

Democracy Now ! 7 avril 2023
Traduction, Alexandra Cyr

Pendant ce temps, plus tôt aujourd’hui, deux sœurs israéliennes ont été tuées par balles et leur mère est gravement blessée. Cela s’est produit à proximité d’une colonie illégale dans les territoires occupés. Les autorités israéliennes sont à la recherche des auteurs.es de ce crime.

Tout cela survient alors qu’Israël continue d’attaquer violemment les territoires occupés. L’armée y a tué au moins 94 personnes cette année. Le raid sur la mosquée Al-Aqsa, en plein Ramadan, a été condamné par la communauté internationale. Les fidèles palestiniens.nes ont déclaré avoir été battus.es et avoir reçu des gaz lacrymogènes durant leur prière.

Fahmi Abbas : (un fidèle) nous passions la nuit à la mosquée. Après les prières du début de nuit, la police a commencé à évacuer les personnes dans la cour de la mosquée. Nous étions à l’intérieur ; les jeunes ont fermé les portes mais la police les a défoncées, les a arrêtés ainsi que les femmes. Il y avait des fidèles dans la partie est des bâtiments ; la police y tirait des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes. Je ne peux décrire cette scène. Ensuite ils sont entrés dans la mosquée se sont mis à battre tout le monde, à arrêter des personnes et ont obligés les jeunes à se mettre face contre terre. Ils les ont aussi battus durant leur détention.

Amy Goodman : Mohammed El-Kurd se joint à nous. Il est poète et représentant de The Nation pour la Palestine. Il y a publié récemment un article intitulé « Israeli Protesters Say They’re Defending Freedom. Palestinians Know Better » Il réside à Sheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem est, occupé.

Soyez le bienvenu. Que se passe-t-il en Israël et en Palestine en ce moment ?

Mohammed El-Kurd : Bonjour. C’est une attaque en règle contre les Palestiniens.nes par toutes les instances du régime israélien. Il est important de se rappeler, de contextualiser ces tensions. Elles peuvent apparaître au moment où ce genre de violence peut « surgir » ; mais elles n’arrivent pas par hasard, sans fondement. Elles sont liées à l’entreprise la plus importante d’installations coloniales, de l’occupation militaire sévère sous laquelle les Palestiniens.nes sont obligé de vivre. Comme vous l’avez dit, 94 Palestiniens.nes ont été tués.es depuis le début de l’année. En soit, c’est une recrudescence de la violence.

Mais, au cours des deux derniers jours, les Israéliens, se sentant renforcés par l’impunité que leur accorde l’inaction internationale, se sont servi des corps, du site de la mosquée Al-Aqsa, pour déployer leur force brutale, pour envoyer un message de souveraineté et de sécurité au public israélien en même temps qu’un message d’intimidation aux Palestiniens.nes qui fréquentent cette mosquée qui est un des seuls lieux publics qui leur soit encore ouvert alors que leur espace ne cesse de se rétrécir.

A.G. : Que comprenez-vous de ce qui est advenu à la mosquée Al-Aqsa ?

M.EL-K. : Selon des témoins directs, des vidéos des caméras de surveillance qui ont circulé abondamment sur Internet, des (diffusions) sur les canaux de télés israéliens, les forces armées ont envahi la mosquée avec des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et leurs fusils pour frapper les fidèles et en arrêter un très grand nombre. Plus de 400 personnes ont été détenues. On leur a ensuite interdit l’entrée à la mosquée et dans les lieux historiques pour 15 jours.

Plus tard dans la journée, un colon armé, (la plupart des colons de Jérusalem est, sont armés), a tué un jeune de 15 ans dans la vieille ville. Et sans surprise, ce colon n’a pas été arrêté.

A.G. : Expliquez-nous ce qui se passe à Gaza et au Liban. Il y a eu ce barrage de roquettes vers Israël, en réponse aux événements dans la mosquée Al-Aqsa. Dans la foulée, Israël a lancé des roquettes sur le Liban en prenant la précaution de dire qu’il ne visait pas le Hezbollah mais des militants.es palestiniens.nes. Il semble que le Liban ne réagira pas.

M. EL-K. : Correct. Il semble que la réaction interne aux événements, qui ont profondément divisé la société, pourrait empêcher le déclenchement d’une guerre véritable. C’est pourquoi je pense que les mots sont si prudemment choisis. Mais nous devons comprendre que le peuple palestinien, quelle que soit la géographie, son statut légal, qu’il soit dans des camps de réfugiés.es au Liban ou assiégé dans la bande de Gaza, n’est qu’un seul peuple et que la douleur est ressentie partout. Et il ne s’agit pas que d’une réponse aux événements à la mosquée Al-Aqsa. Le régime israélien bombarde la Syrie (sur les hauteurs du Golan.N.D.T.), depuis plus d’un an. Il a bombardé la bande de Gaza épisodiquement depuis 15 ans.

L’élément de contexte le plus important ici, et il faut s’en rappeler, c’est que la bande de Gaza est une prison en plein air, la plus grande du monde. C’est un camp de réfugiés.es densément peuplé ; les habitants.es n’ont pas un pouce de jeu. La population n’a pas droit au mouvement, pas d’accès à l’eau. Elle a été déclarée inhabitable. En soit, c’est une agression.

A.G. : Vous mentionnez que les colons israéliens.nes à Jérusalem et d’autres citoyens.nes portent des armes. Je veux vous demander (de nous parler) de Itamar Ben-Gvir, le nouveau ministre de la sécurité nationale d’Israël. C’est un ultra nationaliste, reconnu par les tribunaux d’incitation au racisme envers les Palestiniens.nes et qui soutient un groupe terroriste. En octobre (dernier), il a brandi une arme et a tiré. C’était durant une confrontation dans le quartier Sheikh Jarrah, à Jérusalem où des colons tentaient d’évincer violemment des familles, dont la vôtre, de leurs demeures. Nous allons entendre un court extrait :

Itamar Ben-Gvir : S’ils (les Palestiniens.nes) lancent des pierres, tuez-les !
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il a dit et fait ?

M. El-K. : Bien sûr. J’ai eu quelques interactions avec M. Ben-Gvir et aussi avec M. Smotrich (Ministre des finances israélien). Les adjectifs, « extrémiste de droite, ultranationaliste » le décrivent mais aussi laissent entendre qu’il est coriace, qu’il est en marge, alors qu’il représente, je soutiendrais, une large partie de la population.

Vous devez comprendre que ces politiciens.nes se servent de nos quartiers, de nos devant de maisons, comme de chemins pour leur campagne politique. Cet étalage de racisme, de brutalité, ces menaces, tout cela sert à renforcer, soutenir, la campagne électorale (de M. Ben-Gvir) qui a été un succès aberrant. Et il est maintenant ministre de la sécurité nationale. Ainsi va Itamar Ben-Gvir : il ne dit tout haut que la partie la moins dérangeante.

Vraiment, les différences entre lui et les partis libéraux sionistes ne sont qu’apparence. Il accepte de dire publiquement ce que les autres disent derrière les portes closes. Et qu’on fait leurs politiques et les lois qu’ils ont mis de l’avant aux Palestiniens.nes durant les sept dernières décennies ? Ce ne furent que des actions racistes : l’une promeut le nettoyage ethnique et les autres puent le racisme.

A.G. : Mohammed El-Kurd, pouvez-vous nous parler des manifestations massives en Israël, pas à propos du traitement des Palestiniens.nes, mais contre le projet du Premier ministre Netanyahu envers la Cour suprême du pays. Cela court-circuiterait gravement les pouvoirs du judiciaire. Pensez-vous que cela pourrait se transformer en appui aux Palestiniens.nes et que pensez-vous de la couverture que les grands médias font de la violence qui s’aggrave en ce moment ?

M. EL-K. : Quand j’observe ces manifestations, je veux dire au public israélien qu’il a beaucoup plus en commun (avec les Palestiniens) qu’il ne le pense. L’institution qu’il défend en manifestant, celle qu’il tente désespérément de sauver, à qui il accorde le statut de phare de la démocratie, a effectivement statué sur toutes les entreprises du gouvernement israélien en matière d’installations coloniales et de régime d’apartheid.

C’est ce tribunal qui en 2018, alors que les forces armées israéliennes ont fait une génération de martyrs et d’amputés.es dans la bande de Gaza, a jugé que c’étaient des actions de légitime défense. C’est encore ce tribunal qui a renversé la légalité de la réunion des familles. Cela empêche des dizaines de milliers de couples Palestiniens et de familles de vivre ensemble. Encore, en janvier, il a jugé, en toute violation de la loi internationale, d’expulser de force 1,300 Palestiniens.nes de Masafer Yatta. Un des juges qui a rendu cet arrêté applicable, est lui-même un colon dans les territoires occupés.

C’est donc l’institution que les protestataires essaient de défendre. Je suis absolument convaincu que leur action ne pourra jamais se transformer en protection des droits, en défense des vies ou encore devenir les avocats du mouvement de libération de la Palestine. Ces protestations sont l’œuvre des colons, pour les servir et cela se fait sur les ruines des terres palestiniennes, dans une volonté de nettoyage ethnique en vue d’une légalisation de cet objectif.

A.G. : Pensez-vous que le ressentiment envers le gouvernement augmente à cause de ce qu’il fait subir aux Palestiniens.nes à l’intérieur d’un tel mouvement, de telles manifestations ?

M. EL-K. : J’en doute. Nous avons eu la preuve qu’il peut y avoir une mobilisation massive de centaines de milliers de personnes qui peuvent prendre la parole et le faire dans une situation de désobéissance civile. (Ces personnes) pourraient s’engager dans la campagne de Boycott, de désinvestissement et de sanctions contre leur gouvernement. Ils nous démontrent que ce serait possible. Mais, on nous dit qu’elles choisiront de ne pas le faire en faveur des Palestiniens.nes ; et ça a du sens. Défendre la vie des Palestiniens.nes ou protester contre le régime d’apartheid ou encore contre celui des colonies voudrait dire qu’elles réduisent leurs propres privilèges, leur propre mode de vie luxueux dont elles profitent à titre de colon dans la Palestine historique.

A.G. : Merci Mohammed El-Kurd.

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