Édition du 23 avril 2024

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Europe

Catalogne, l'après 9 N : des chiffres et des lettres

Le succès d’un pays, que semblent contredire les chiffres. Certes, cette participation citoyenne était interdite. Certes, cette consultation symbolique ne possédait pas toutes les garanties démocratiques qu’aurait permises un véritable référendum. Certes, sur 5,4 millions de citoyens aptes à exercer leurs droits civiques, seuls 2,3 millions votaient hier en Catalogne. Certes, on aurait pu espérer une mobilisation plus importante, proche de celle du peuple écossais (84 %).

Certes, les unionistes diront aujourd’hui que moins de deux millions de Catalans sont indépendantistes, ce qui ne constitue pas une majorité.

Oui, les esprits chagrins peuvent avancer ces chiffres et s’en servir pour étayer leur thèse d’une majorité silencieuse, favorable à l’unionisme ou au fédéralisme.

Mais qu’en est-il réellement lorsque l’on prend en compte le contexte global dans lequel s’est inscrite la journée du 9N ?

Oui, cette votation était interdite formellement.

Et donc les suspensions successives du Tribunal Constitutionnel, et le discours de la peur ont pu affecter certains Catalans. Oui, la venue à Barcelone d’une frégate militaire, ainsi que le long cortège de blindés sur l’autoroute en direction de la capitale, comme la présence de jeeps militaires qui traversent les villages environnants, ont pu troubler certains citoyens. Oui, le fait que les Catalans apprennent qu’un coprs d’élite s’entraîne pour réfréner des mouvements de masse a pu les inquiéter, à juste titre. Les inquiéter à tel point que le gouvernement catalan, en toute hâte, a préparé un clip vidéo pour les rassurer et leur rappeler leurs droits fondamentaux : liberté d’expression, d’opinion et de participation.

Oui, le discours répressif du gouvernement espagnol a pu avoir des effets sur le taux de participation.

Et donc le fait que le gouvernement espagnol n’ait cessé de hausser le ton durant la journée de hier, et d’articuler des menaces, a peut-être eu un effet sur certains Catalans. Selon ABC, Rafael Català, ministre de la Justice, promet en effet des poursuites pénales car selon lui il était interdit d’ouvrir des édifices publics pour cette participation citoyenne, comme par exemple les écoles, dont les directeurs avaient été informés par lettre sur le sujet. Lors d’une conférence de presse improvisée, rapporte Ara.cat, Rafael Català dénonce un « simulacre inutile et stérile », dans lequel Artur Mas cherche à « dissimuler son échec personnel ».

Selon lui, le 9N aura été une « journée de propagande politique sans validité démocratique », et il investiguera afin d’actionner, les jours qui suivent, « toutes les actions légales » nécessaires. Il est vrai qu’un juge de la province de Barcelone, qui a reçu plus de 15 dénonciations contre la votation, avait refusé, peu avant le 9N, d’interdire les urnes, estimant qu’il s’agissait là d’une mesure disproportionnée, qui occasionnerait plus de désordre que d’ordre.

Oui, les Catalans ne savaient pas s’ils pouvaient vraiment voter avant de se rendre sur place, ce qui a pu en décourager certains. Oui, les Catalans ne savaient pas ce que cela pouvait leur coûter, et ce que cela leur coûtera, ce qui a pu en freiner d’autres.

Oui, tout cela a pu nuire au taux de participation, que l’on évalue toutefois à environ 35 %, un taux équivalent à celui de la votation, légale celle-ci, pour leur statut d’autonomie de 2006. Et oui, Mariano Rajoy, qui règne aujourd’hui sur l’Espagne depuis 2011, s’appuie sur une majorité absolue reposant sur 31 % des électeurs.

Oui, on aurait pu espérer plus que 2,3 millions de votants … mais si l’on tient compte des difficultés administratives, politiques, juridiques, pratiques auxquelles ils ont dû se confronter, on ne peut que saluer le civisme de ceux qui se sont déplacés.
 
Oui, cette consultation populaire ne possède pas toutes les garanties démocratiques qu’aurait assurées un véritable référendum, ce qui a pu avoir un effet sur le taux de participation.

Il est vrai qu’il y avait presque dix fois moins de lieux où voter que lors d’un vote normal. Il est certain que le fait que la poste, officine gouvernementale, n’ait pas transmis aux citoyens toute la documentation relative à la votation, a induit de nombreux Catalans dans l’erreur. Il est regrettable qu’il n’ait pas été possible de voter par courrier, surtout pour les Catalans résidant à l’étranger, dont certains, comme moi, ont du faire plus de six heures de voyage pour se rendre à un bureau de vote.

Hier, des Catalans mal informés ne se sont pas rendus au bon lieu pour voter, et donc se sont vus empêchés de faire entendre leur voix. Hier, des Catalans dont le DNI (numéro d’identification) était caduc, n’ont pas pu exprimer leur opinion. Hier, des Catalans malades, hospitalisés, invalides ou freinés dans leur mobilité, n’ont pu voter … même si à Milan, hier, une femme s’est rendue en ambulance au bureau de vote.

Tout cela a eu un impact évident sur le taux de participation, et l’honnêteté intellectuelle exige qu’on en tienne compte, lorsque l’on est tenté de déprécier l’effort fourni par la population catalane, dans un contexte plus qu’hostile et incertain.

De plus, les Catalans ont encore 15 jours pour voter, et les oublieux, les peu scrupuleux, les paresseux et les anxieux se décideront certainement à mettre en ordre leurs papiers, à se contraindre à se déplacer ou à oublier leurs craintes.

Dans le décompte final définitif, il s’agira encore de comptabiliser les votes des Catalans résidant à l’étranger, et on peut imaginer qu’ils ont été nombreux puisque hier à Milan il y avait à midi plus de 1h30 de queue, et qu’à Bruxelles ce temps d’attente était doublé, alors qu’à Londres il quadruplait.

Oui, cette participation citoyenne n’était pas un véritable référendum.

Par conséquent, il est regrettable que les Catalans n’aient pas eu droit à un véritable débat. Le fait qu’il y ait eu hier près de 400’000 personnes qui aient voté un « non » à l’indépendance est un succès. En effet, lorsqu’une question est posée, il est important que toutes les opinions s’expriment. Et le peuple catalan n’a pas eu droit à un débat. Il n’a pas eu droit à une véritable campagne d’information, qui aurait permis aux tenants du « oui » comme à ceux du « non » de prendre la parole, et de faire valoir leurs arguments. Et là se situe la véritable carence en matière de démocratie, et elle est bien plus grave que celle qui consiste, pour ceux-là mêmes qui ont empêché la tenue d’un véritable référendum, de fustiger le fait que ce ne soient pas des fonctionnaires qui ont tenu les bureaux de vote.

Et à tous ceux qui seraient tenté de dénaturer ce qui s’est passé hier, je ne peux que rappeler que la démocratie a vaincu : bien plus qu’un vote sur l’indépendance, il s’agissait hier pour les Catalans de faire valoir leur droit de sujet politique. Leur droit à l’expression de leur opinion politique. Leur droit au respect.

Hier, les Catalans ont gagné, quoi qu’en disent les esprits chagrins.

2,3 millions de citoyens ont manifesté hier, alors qu’ils étaient un peu moins de 2 millions lors de la dernière Diada : leur nombre ne cesse donc de croître.

Ces 2,3 millions de citoyens, ainsi que tous les autres, ont gagné le droit à être entendus formellement, que ce soit par le biais d’un référendum pacté avec l’Etat central, ou par la voie d’élections plébiscitaires si ce dernier refusait encore d’entendre raison.

Artur Mas sort renforcé de son bras-de-fer avec l’exécutif espagnol, et mieux armé pour négocier : le mal-être catalan, dans n’importe quelle autre démocratie, aurait d’ailleurs été depuis longtemps sérieusement pris en compte. Et cette clameur, qui s’amplifie au cours des années, ne se laissera pas enterrer sous des poursuites judiciaires, quelle que soit la forme qu’elles prennent et quelles que soient les personnes visées. Bien au contraire, si les Catalans doivent apprendre que les 42’000 personnes qui ont garanti la bonne tenue de la votation d’hier, ou les membres du gouvernement et du parlement qui se sont portés volontaires, ou les directeurs d’école qui ont ouvert les portes de leur établissement, ou les municipalités qui ont apporté leur soutien, ou qui que ce soit, est poursuivi demain par le gouvernement central, nul doute qu’il faut s’attendre à des manifestations de masse de la part d’une population qui a toutes les raisons d’être en colère face à la surdité, à l’entêtement et à la bêtise politique de l’exécutif espagnol.
N’importe quel Premier Ministre, dans la position de Mariano Rajoy qui, ne lui en déplaise, a reçu hier un véritable camouflet politique, aurait été contraint à la démission.

Et demain, ni l’Europe, ni les Nations Unies, ne pourront bien longtemps ignorer les Catalans, qui voient ainsi leur droit à l’autodétermination systématiquement bafoué et méprisé.

Les quelques 700 journalistes qui couvraient la consultation symbolique de hier l’ont déjà compris.

Stephane Riand

Blogueur pour Médiapart.

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