Édition du 23 avril 2024

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Politique d’austérité

À qui ou à quoi sert l’austérité ?

L’austérité est à la mode. Un peu partout dans le monde, les élites politique et économique n’en ont que pour elle. Au Québec, la voix pourtant sévère et pleine d’amertume de l’austérité résonne comme un sensuel chant de sirène dans le cœur du gouvernement Couillard. Il s’agit d’un mantra répété ad nauseam par le premier ministre et ses sbires. On peut affirmer sans équivoque que le déficit zéro est maintenant, selon le gouvernement libéral, le projet social majeur du Québec, plus encore que la sacro-sainte croissance économique. Cela dit, l’austérité n’est pas le propre du gouvernement actuel, elle est l’aboutissement de décennies d’un discours idéologique de droite portant sur la dette publique.

Tiré du site du journal Le Mouton noir.

Examinons de plus près ce discours qui affirme que la croissance ininterrompue de la dette publique québécoise est le signe d’une gestion malsaine des finances étatiques et d’un État social impossible à maintenir. Afin de retrouver l’oasis inespérée de l’équilibre budgétaire, il est impératif de sabrer les dépenses publiques, préférablement les dépenses sociales. Après un moment difficile à passer où tous et toutes se serreront la ceinture, la société québécoise, soulagée de ses boulets budgétaires, pourra enfin voguer vers la croissance économique et léguer à ses enfants un État sans dette.
Or, cette philosophie s’est dans les dernières années heurtée au mur très solide de la réalité. Depuis la crise de 2008, les gouvernements de nombreux pays (Grèce, Espagne, Japon, Italie, France, etc.) se sont aventurés dans la super austérité afin « d’assainir les finances publiques ».

Les résultats sont peu concluants : la dette publique a fortement augmenté, en plus de propulser certains pays dans une stagnation économique, voire dans une récession assez sévère. Pourquoi ? En des temps de récession où l’économie privée n’arrive plus à produire de la croissance, l’État, de par son importance économique, doit prendre le rôle de locomotive. Si au contraire il sabre vigoureusement les dépenses, l’État contribue fortement à ralentir l’économie dans son ensemble, ce qui réduit les revenus qu’il tire de l’imposition et mène à une hausse du déficit budgétaire. Ce cercle vicieux économique et social, que l’on nomme d’ores et déjà la « trappe à austérité », est fort connu des économistes. De nombreuses institutions pourtant assez conservatrices comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Organisation de coopération et de développement économique soulignent avec vigueur les dangers sociaux et économiques des coupes gouvernementales.

Comment se fait-il que le gouvernement Couillard ne tienne pas compte de ces mises en garde et qu’il persiste à jouer de la tronçonneuse plus ou moins au hasard dans tous les programmes gouvernementaux en vue de réaliser des économies parfois tout à fait ridicules ? Ne comprend-il pas qu’il risque de nous mener au piège dans lequel d’autres se démènent encore ? Les libéraux sont-ils incompétents et stupides ? En réalité, les libéraux ne sont ni stupides ni incompétents. Il appert simplement que le but officiel du déficit zéro et de l’austérité en cache un autre, bien plus important, celui d’une transformation majeure et rapide de l’État québécois et de la société québécoise, une transformation néolibérale.

Le but officiel du déficit zéro et de l’austérité en cache un autre, bien plus important, celui d’une transformation majeure et rapide de l’État québécois et de la société québécoise, une transformation néolibérale.

Le néolibéralisme, contrairement à certaines idées reçues, ne vise pas simplement à réduire l’État à peau de chagrin. Il vise plutôt un nouveau type d’État, un État néolibéral, dont le but principal est de renforcer les mécanismes de marché à l’intérieur de la société, partout où ils sont considérés comme absents ou trop faibles : la bureaucratie étatique, les organismes communautaires, le financement des arts et des lettres, etc. Il faut aussi que l’idéologie même du marché soit centrale dans la conception que les citoyens se font de la société et de l’État : le recours au marché et même le vocabulaire propre au marché doivent devenir un réflexe idéologique au sein de la population. Le citoyen qui reçoit des services se transforme en un utilisateur-payeur qui reçoit des marchandises.

Bien entendu, ce projet idéologique est contenu dans un projet de classe destiné à favoriser l’élite capitaliste actuelle et à renforcer le pouvoir qu’elle exerce sur la société québécoise. Dans un monde où l’État ainsi que la société se restructurent en fonction des principes de marché, il est aisé de constater que les maîtres dudit marché ne peuvent que voir leur domination progresser dans des domaines qui jusqu’à maintenant leur échappaient plus ou moins. Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir de nouvelles possibilités de profit pour le secteur privé, il s’agit plus largement de transmuter l’État social en une entité qui fonctionne selon des rapports sociaux de marché. Le gouvernement Couillard donne une telle importance à ce projet qu’il est même prêt à lui sacrifier l’équilibre budgétaire et la croissance économique qu’il prétend vouloir atteindre.

Comme certains économistes le font, on voit bien qu’il est inutile de reprocher à ce gouvernement d’imposer des mesures erronées qui ne mèneront pas à l’équilibre budgétaire. Couillard et Cie ne sont pas particulièrement intéressés par l’équilibre budgétaire et, en réalité, un déficit chronique et une stagnation économique leur donneront la justification nécessaire pour poursuivre leur réforme néolibérale. C’est à un ambitieux projet de réingénierie sociale que l’on a affaire, planifié par une élite qui veut façonner le Québec à l’image des marchés financiers et asseoir sa domination économique et sociale sur la société québécoise. Il est important de comprendre les grandes lignes de ce projet pour y résister.

Philippe Langlois

Collaborateur au site du Mouton noir.

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