Édition du 7 mai 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Mulcair a un projet, ce n’est pas le nôtre

Le débat concernant les élections fédérales est complexe de plusieurs manières. D’un point progressiste, la légitimité de cet État canadien dans sa forme actuelle ne peut être reconnue. Cet État est le résultat d’un système pourri construit de la conquête jusqu’à la création de la confédération en passant par les crises du vingtième siècle jusqu’à aujourd’hui. Nous ne nous reconnaissons pas dans cet État. À la fois conséquence et cause de cette situation inacceptable, le système politique inspiré du « modèle » anglo-américain est totalement anti-démocratique : il nie le droit de vote en fin de compte de la majorité de l’électorat. Ce n’est pas une situation unique dans notre monde capitaliste par ailleurs.

Que faire donc comme dirait l’autre ? Évidemment, il faut lutter pour résister à cet État et éventuellement en imaginer un autre. En attendant, on ne peut pas rester passifs. Il faut s’occuper des affaires de cet État pour au moins minimiser les coups qu’il porte aux mouvements populaires. Dans un commentaire précédent, j’ai suggéré que le danger principal, la menace en fait, venait de la possible réélection d’un gouvernement conservateur qui représente un nouvel animal politique combinant néolibéralisme exacerbé, néoconservatisme et autoritarisme. Contre ce scénario du « pire », il faut donc empêcher cela, ce qui veut dire en pratique voter pour les autres partis.

Alors vient alors une autre question : pour lequel de ces autres partis faut-il voter, quitte à se boucher le nez ? L’approche proposée par la FTQ me semble la plus réaliste. Ce qui compte, ce n’est pas tant de voter pour les autres que de voter contre Harper. C’est une position minimaliste, mais cela me semble plus adéquat. On votera donc, selon les comptés et les rapports de force en présence, pour le NPD, ou pour le Bloc, ou pour les Verts et même dans certains cas, pour le Parti libéral du Canada (PLC).

D’où une autre question alors : pourquoi ne pas voter pour le NPD ? C’est quand même ce parti qui a une certaine tradition avec le mouvement populaire et qui a porté pendant longtemps les idéaux de la social-démocratie (comme l’écrivait récemment Francine Pelletier). Sur cette question, je pense que le NPD « réellement existant » n’a pas grand-chose à voir avec le NPD passé. Il n’y a plus d’atomes crochus entre ce parti et par exemple, le mouvement syndical. Lorsqu’il était au gouvernement de Charest au début des années 2000, Mulcair s’affichait sans gêne dans l’optique de la droite canadienne et européenne. Depuis son intronisation à la tête du NPD, je n’ai pas vu de geste concret pour recréer des liens avec les mouvements populaires même si de temps en temps (mais pas tout le temps), Mulcair reprend les revendications venant de la base.

Sur des questions aussi fondamentales comme les traités de libre-échange, l’environnement et les politiques fiscales, la position de Mulcair est à peu de choses près la même que celle des partis qui ont occupé le centre-droit de l’échiquier politique canadien comme le PLC. En fin de compte, Mulcair entend « civiliser » le capitalisme sauvage (le néolibéralisme), ramieuter l’exploitation éhontée des ressources, ralentir le massacre des conditions de salaire et de travail en cours, mais dit-il et redit-il, sans rien changer, surtout pas la fiscalité à la base des écarts croissantes entre le 1 % et le 99%.

Sur la question québécoise, en dépit de la « déclaration de Sherbrooke » dont Mulcair parle au Québec sans en dire un mot dans le reste du Canada pour ne pas égratigner le sentiment profondément anti-québécois d’une partie importante de la population canadienne, le NPD -qui en douterait ?- est un parti fédéraliste pur et dur dans la tradition canadienne, ce qui l’a mené à endosser dans le passé les manœuvres fédérales pour centraliser le pouvoir et empêcher la population québécoise de faire reconnaître ses droits. Je pense que Mulcair s’il était mis devant le fait n’accepterait même pas une décentralisation approfondie comme le suggérait le projet dit du Lac Meech.

Sur des questions de politique internationale, je n’ai pas de doute que Mulcair s’il avait été au pouvoir dans les années précédentes aurait fait à peu près ce que Tony Blair a fait en Angleterre en s’alignant totalement sur la guerre sans fin de Bush fils. Ses positions extrêmes sur la Palestine, son silence assourdissant sur des questions chaudes comme la remontée du militarisme ou l’utilisation malsaine de la dette par les institutions financières internationales, en dit beaucoup plus que quelques déclarations charitables. En fait, voilà une comparaison qui me semble raisonnable : Mulcair est au NPD ce que Blair a été aux travaillistes, lequel a fossoyé la tradition social-démocrate pour embarquer de plein pied dans le projet de rescaper le capitalisme sous hégémonie américaine.

Autre caractéristique de ce tournant, Mulcair est en train de détruire ce qui reste de démocratique dans ce parti, en muselant ses parlementaires et en mettant de côté les orientations fondamentales votées lors des précédents congrès du parti. Il reste une équipe centralisée autour de Mulcair et de ses « spins » La députation est alors reléguée au rang de figurants plus ou moins sympathiques qui ne sont plus imputables à l’électorat, mais au bon vouloir du « cheuf ». Reste à voir ce que feront les quelques députés qui croient encore aux valeurs social-démocrates. Je me souviens en passant, lors de l’élection du chef en 2012, que des députés progressistes comme Alexandre Boulerice avaient fait campagne contre Mulcair et ce n’était pas un hasard. Est-ce que les Boulerice, Turmel, McQuaid, Chow et d’autres candidats qui pourraient être élus dans quelques semaines pourront faire un contrepoids ? Je serais surpris, mais je me suis souvent trompé dans le passé ! En attendant, permettez-moi d’être sceptique.

Pour conclure, si on pense avoir une modeste influence sur cette élection fédérale, il faut dire deux choses en même temps :

La priorité est d’empêcher Harper de passer. Avec Harper majoritaire, cela sera une catastrophe. Harper minoritaire, cela sera une partie remise, mais cet homme va tout faire pour détruire les mouvements populaires et établir une sorte de chape de plomb qui ne serait pas très loin des régimes d’exception qui ont sévi au siècle dernier.

N’ayons aucune illusion sur le NPD, ce n’est pas un parti progressiste. Mais n’ayons pas honte de voter « stratégique », ce qui est tout à fait important dans le contexte actuel. Il y a quelques années, nos camarades français avaient été pris dans un dilemme semblable, mais après y avoir pensé longuement, ils avaient appelé à voter pour Chirac contre Le Pen.

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