Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

À propos de la troisième voie proposée par Jonathan Durand Folco et Paul Cliche Québec solidaire mérite mieux que cela !

On le sait, ainsi qu’il en a été décidé au congrés de QS de mai 2017, Québec solidaire et Option nationale ont entamé des discussions de manière à parvenir à une possible fusion entre les deux organisations. Or, il n’y a nul secret en la matière : ce qui fait problème et qui est au cœur des négociations actuelles, c’est la question du mandat que devrait recevoir l’Assemblée constituante, car c’est là une pièce maîtresse, mais de manière différente, des programmes respectifs des deux partis. Doit-elle avoir le mandat –comme le veut Option nationale, de faire du Québec un pays en élaborant la constitution d’un pays indépendant ; ou alors sans présumer à l’avance de l’issue des débats, doit-elle, comme l’envisage Québec solidaire, disposer d’un mandat ouvert remettant dans les mains des constituants la décision de décider de quel type de constitution elle accouchera ?

Et ce qui complique le tout, c’est qu’à son congrès de 2016, QS a réitéré à 55% des voix une première position adoptée en 2009, voulant que l’on garde le mandat indéterminé et cela, parce que bon nombre de militants QS pensaient ainsi qu’on se donnerait de meilleurs moyens pour rallier les personnes indécises et non convaincues au projet d’indépendance. Par contre, de son côté Option nationale, a opté très clairement dans son programme pour « une Assemblée constituante démocratique citoyenne, indépendante et non partisane ((qui) NDRL) sera convoquée afin d’écrire une constitution du Québec indépendant ». Plus encore, il en fait un point clé de toute décision à venir, de toute fusion possible avec QS.

Une 3ième voie possible ?

C’est dans ce contexte et alors que les négociations vont bon train sur d’autres thématiques, qu’on peut comprendre la toute nouvelle proposition de Paul Cliche et Jonathan Durand Folco qui selon leur dire représenterait une 3ième voie permettant de satisfaire tout le monde et ainsi de pouvoir aller de l’avant dans le processus de fusion.

Il s’agirait en effet pour eux de reprendre à leur compte les préoccupations d’Option nationale, en acceptant le fait que l’Assemblée constituante puisse se voir confier le mandat de rédiger la constitution de l’État indépendant du Québec, et cela dans la mesure où la mise sur pied d’une telle assemblée constituerait une rupture de facto d’avec l’ordre fédéral canadien. Mais en même temps, ils tiendraient compte aussi des objections d’une majorité des militants de QS, en faisant entériner les travaux de l’Assemblée constituante, non pas par un vote, mais par 2 votes différents [1]1 : l’un portant sur la constitution elle-même (voulez-vous que l’État du Québec adopte cette constitution ?) ; l’autre sur la question de l’indépendance (voulez-vous que l’État du Québec soit indépendant ?). Cette double question permettrait ainsi de distinguer ce qu’il en est de l’aval qu’on accorderait à une constitution du Québec de celui qu’on donnerait à l’indépendance du Québec, tout en s’assurant qu’aucune option ne serait rejetée à l’avance et qu’ainsi personne ne trouve prétexte –à cause de l’orientation initiale donnée à la constituante— de vouloir la boycotter.

La proposition semble donc équilibrée (donnant aux uns tout autant qu’aux autres), et par conséquent conciliatrice, permettant plus que tout de satisfaire au sein de QS ceux et celles qui tenaient mordicus au mandat ouvert de l’Assemblée constituante, garantie dans leur perspective d’un véritable exercice démocratique et participatif susceptible de rallier les hésitants. Elle aurait donc la vertu de faciliter les discussions entre ON et QS et ainsi de conduire à une fusion réussie, indispensable étape d’une croissance de QS et de sa marche vers le gouvernement.

Néanmoins –au-delà même de son originalité— cette proposition pose plusieurs problèmes de taille qui méritent qu’on y réfléchisse de près.

En effet si cette proposition risque d’avoir des chances de rallier une majorité de gens de QS, elle ne sera pas sans conséquences sur le processus même de l’Assemblée constituante et de la marche du peuple du Québec vers l’indépendance, permettant sans doute de régler, à court terme et sans trop de peine, un problème au sein de QS, mais au prix d’en faire naître, à moyen ou long terme, un bien plus décisif puisque, dans les faits, cette proposition de « double vote » touche à la manière même de penser la transition vers l’indépendance du Québec.

Faire planer une sorte d’indétermination de principe

En effet la décision de proposer au terme de l’exercice constituant, 2 votes différents (l’un sur la constitution, l’autre sur l’indépendance) ne sera aucunement anodine. Elle aura pour effet assuré –en offrant a priori une porte de sortie possible aussi bien aux partisans d’une constitution provinciale que d’une constitution indépendantiste--- de désamorcer la portée immédiate les travaux des constituants, en en relativisant et amoindrissant leurs effets concrets, ou pire encore en semant la confusion ou l’ambiguïté à leur propos.

Surtout elle aura tendance à freiner la dynamique mobilisatrice et participative de l’Assemblée constituante, en reportant à un vote référendaire la seule question vraiment décisive en la matière, celle de l’indépendance. Une indépendance qui au-delà de tout ce que pourront en dire et en négocier les constituants pendant leur mandat, restera suspendue à l’alternative référendaire toujours offerte et par conséquent quelque part légitimée et encouragée : « constitution provinciale dans le cadre du fédéralisme canadien » versus « constitution indépendantiste en rupture avec le cadre fédéral ».

Loin d’aider à la clarification des enjeux et à la mobilisation grandissante de tous les possibles partisans d’une marche vers l’indépendance [2]2 ; loin de participer au renforcement et à l’élargissement du camp des indépendantistes, à l’enracinement collectif de la conviction indépendantiste (comme solution politique et stratégique aux problèmes vécus par le Québec), ce double vote aura pour conséquence de faire planer une sorte d’indétermination de principe sur tous les débats constituants. Une indétermination certes à court terme rassurante pour ceux et celles qui hésitent, mais qui n’aidera aucunement à renforcer l’élan et la détermination du camp des indépendantistes, à améliorer au sein de la société les rapports de force socio-politiques en leur faveur ; rapports de force si nécessaires pour rendre viable une marche réelle vers l’indépendance. Ce double vote apparaitra ainsi comme le symbole même des hésitations et ambiguïtés du gouvernement de QS vis-à-vis de la question de l’indépendance. Comme si après une 3ième tentative (dans le sillage de celles de 1980 et 1995), ce dernier serait prêt —avant même de commencer— à se contenter d’une seule constitution provinciale... dans le cadre du fédéralisme canadien...le tout... pour le cas où !

Un implacable champ de bataille politique

Il est vrai cependant que Paul Cliche et Jonathan Durand Folco ont cherché à nous présenter l’Assemblée constituante comme étant la meilleure façon de « relancer une large conversation nationale sur notre avenir collectif, tout en permettant de dépasser les débats parfois acrimonieux sur des questions partielles (laïcité, immigration, liberté d’expression, etc.) en les replaçant à l’intérieur d’une réflexion plus large orientée vers la construction d’un nouveau cadre politique ». Mais s’ils ont raison d’insister sur cette dimension participative du processus constituant, ils ne devraient pas pouvoir, vu leurs expériences militantes respectives, réduire l’Assemblée constituante à cette seule dimension « conviviale ». Parce que l’indépendance du Québec questionnera de plein fouet de puissants intérêts économiques et politiques, parce qu’elle tendra à désarticuler le fédéralisme canadien sous sa forme actuelle, elle ne pourra que soulever de fortes oppositions dont il s’agira, pour le gouvernement et les constituants, de conjurer coûte que coûte la dangerosité.

Plus qu’une aimable conversation collective, l’Assemblée constituante sera donc aussi et surtout un implacable champ de bataille politique. Et comment les partisans de l’indépendance pourront-ils y faire face avec succès ? Sinon en renforçant dès maintenant auprès de larges secteurs de la population, l’idée que c’est une indépendance conçue comme souveraineté en acte au travers d’un processus constituant qui leur permettra de retrouver un véritable contrôle sur leur destin, tout comme la force collective nécessaire pour mener à bien cette marche vers l’indépendance. Car seule une Assemblée constituante orientée autour de l’indépendance pourra, de par son caractère démocratique et participatif, leur donner les moyens de faire connaître leurs aspirations sur tous les aspects de leur vie sociale, économique, politique et culturelle. Mais plus encore, elle pourra aussi et en même temps leur offrir les moyens concrets de leur réalisation, en constituant les bases d’un pays souverain qui, en rupture « de facto » avec les logiques fédérales actuelles, sera pensé à l’aune des intérêts de l’immense majorité du peuple du Québec. Encore faut-il dès maintenant oser renforcer cette détermination, cette unité et force de conviction, en somme cette volonté démocratique de faire l’indépendance !

Un parti en mouvement

Québec solidaire mérite mieux que cela. Parce qu’il s’est toujours voulu un parti en mouvement, un parti processus, il a eu à cœur de débattre démocratiquement de son programme (ou de ses plateformes électorales), en cherchant chaque fois à les bonifier en fonction des exigences de la conjoncture politique immédiate. Et les négociations avec ON devraient pouvoir lui en fournir une nouvelle occasion. Ce serait une manière d’aller encore plus loin dans sa compréhension de l’indépendance et de la manière de la concrétiser. D’ailleurs la proposition de Jonathan Durand Folco et Paul Cliche a précisément cette vertu : celle de lancer largement le débat, de nous aider à réfléchir, de nous faire voir avec plus d’acuité quelques-uns des tenants et aboutissants de cette question. Puisse-t’elle non pas clore le débat, mais au contraire encourager le parti à l’ouvrir largement en son sein et à choisir la voie féconde d’un approfondissement de ses propres conceptions en la matière ! N’est-ce pas ainsi et seulement ainsi qu’on pourra tous ensemble se faire une tête à ce propos et être à la hauteur des défis que pose l’indépendance du Québec ?

Québec, le 4 septembre 2017
Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste


[1Voir l’exemple de la Catalogne en 2013/2014 : Deux questions sont adoptées en décembre 2013 : Voulez-vous que la Catalogne devienne un État ? En cas de réponse affirmative, voulez-vous que cet État soit indépendant ? (80% avec 40% de participation

[2En ce qui concerne la clarification des enjeux, la question de fond reste celle-ci : est-il possible, dans le cadre du fédéralisme canadien actuel, d’élaborer une constitution permettant la souveraineté pleine et entière (économique, sociale, politique, culturelle, etc.) du peuple québécois ? Or aujourd’hui, poser ainsi la question, c’est malheureusement être obligé d’y répondre par la négative !

En ce qui concerne la question de la mobilisation grandissante de tous les possibles partisans de l’indépendance, ce que les adeptes d’un mandat ouvert oublient, c’est que pour rallier les indécis, à propos d’une question aussi controversée que celle de l’indépendance, il faut disposer –au point de départ— d’un fort noyau de gens enthousiastes, entreprenants et audacieux, intimement décidés et convaincus de s’impliquer dans un tel projet d’émancipation collective. Au départ il faut donc être capable de faire connaître haut et fort l’entièreté de son projet, sans penser déjà à en diluer la substance, seule manière de disposer d’une solide base sociale d’appui à partir de laquelle il sera possible de se développer et de faire face en temps et lieux aux défis posés par la conjoncture (par exemple ceux d’un possible boycott de l’Assemblée constituante par ses plus farouches adversaires).

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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