Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Mouterde du 14 août

À propos du vote utile de Bernard Émond - Les véritables possibles de la scène électorale

Quand on a le cœur à gauche, il y a toujours a priori quelque chose de frustrant à assister au déroulement d’une campagne comme celle de cet été 2012 ; ne serait-ce que parce qu’elle se mène dans le cadre d’un scrutin uninominal à un tour tendant à reléguer aux oubliettes les partis moins importants.

Pourtant même si le contexte est difficile, il reste possible d’y faire des avancées prometteuses, en tout premier lieu pour Québec solidaire. À condition d’être capable de faire preuve d’audace, d’oser percer le consensus médiatique et de ne pas se rabattre, ainsi que le fait Bernard Emond dans le Devoir des 4 et 13 août, sur la seule logique conservatrice du « vote stratégique ».

Car il est trop facile de rappeler en pleine campagne électorale estivale que « le vote n’est qu’un moment de la lutte politique ». Et qu’il ne faut pas avoir d’autres espoirs, quand on est de gauche, que de faire élire un ou deux députés solidaires là où ce serait possible, et ailleurs de voter stratégique (en faveur du PQ « social-démocrate » (sic)) pour que ne passe pas le Parti libéral de Jean Charest. Comme si les dés étaient déjà joués et comme si l’intervention d’un cinéaste célèbre ne pesait pas à sa manière dans la balance !

Le PQ n’est pas un parti social-démocrate

D’ailleurs affirmer que le PQ est social-démocrate est tout à fait inexact : si ce parti a pu déclarer avoir dans le passé « un préjugé favorable aux travailleurs », il a depuis longtemps (surtout à partir de 1990) troqué ce discours pour un parti-pris clairement néolibéral, mâtiné il est vrai d’un volet social, au demeurant à forte géométrie variable quand il est au pouvoir. Aussi le Parti québécois est-il non pas un parti « social-démocrate », mais un parti « social libéral ». Avec tout ce que cela implique d’ambiguité permanente et de reniements lourds de conséquences ! Le déficit zéro de 1996 (mesure typiquement néolibérale), ce fut l’œuvre du PQ de Lucien Bouchard, tout comme l’idée d’un dégel des droits de scolarité en 1996 alors que Pauline Marois était ministre de l’éducation ; ou encore le quasi gel du salaire minimum en 2000 (une hausse de 10 cents en 2000) quand le coût de la vie avait fait un bond de 5,4%. L’on pourrait multiplier les exemples de ce genre, exemples que les quelques mesures plus sociales qu’il a prises (dont les garderies à 5 dollars ou le soutien à l’économie solidaire, etc.), sont loin de véritablement contrebalancer. Surtout si on y rajoute la mise en berne de ses idéaux souverainistes, repoussés depuis quelques années aux calendes grecques.

Les 3 vieux partis

C’est la raison pour laquelle, le Parti québécois a fini par rejoindre le clan des vieux partis amis de « l’establisment », c’est-à-dire de ces partis qui ,tout en faisant allégeance au néolibéralisme, ont fini par reprendre à leur compte les manières de faire traditionnelles de la politique héritée des pratiques coloniales britanniques : refus pratique du scrutin proportionnel, méfiance pour les processus participatifs et les mobilisations sociales, survalorisation du rôle du Chef (ou de la Chef), intériorisation de rapports hiérarchiques institutionnels, etc.

L’establisment économique et politique du Québec ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en lui accordant à lui, tout comme au Parti libéral et à la CAQ, une sorte de rente de situation médiatique qui lui permet de caracoler dans les sondages sans se sentir trop questionné par des partis plus à gauche. Du moment qu’il n’inquiète pas « l’establisment » et qu’il accepte le néolibéralisme !

Le stratagème semble même fonctionner à merveille. On ne comptera pour « vrais » que les 3 partis qui ont la faveur de « l’establisment », et on leur donnera la couverture médiatique correspondante. C’est d’ailleurs la base du lancement fulgurant du troisième « vieux » larron : la CAQ. Le reste c’est un jeu d’enfant : une bonne campagne préparatoire à leur propos dans les 2 principales chaînes de médias de la province (Desmarais et Péladeau) doublée d’un soutien bienveillant de Radio Canada, et hop on lance un sondage pour en vérifier « l’effet miroir » auprès de la population, que l’on commentera aussitôt en grande pompe. De quoi en renforcer en boucle l’effet premier ! Et tout le monde de faire « la une » sur les écarts appréhendés entre les 3, ou sur leurs bons mots et chicanes respectives, en marginalisant mine de rien complètement les autres, ceux qui justement n’ont pas la faveur de l’establisment et de leurs médias. Il ne restera plus ensuite, qu’à analyser le tout en expliquant doctement comment la faiblesse des petits partis ne leur permet pas de véritablement compter dans cette élection… malgré leurs bonnes idées, leur programme bien étayé, leur noble idéal, leur grand cœur, etc… Plus grossier que ça tu meurs !

Des comtés gagnables : conjuguer ses forces, plus que les diviser

Il y a cependant un moyen de contrer en partie cette logique, de la faire basculer en sens inverse. C’est celui d’appuyer résolument des candidats qui incarnent tout à la fois la rupture avec les vieux partis et la volonté de renforcer « dans les faits » les forces du changement. À y regarder de près, c’est là le fondement du succès possible de Québec Solidaire, car il y a pour ce parti en pleine croissance, plusieurs comtés réellement gagnables, et pas seulement à Montréal (notamment à Taschereau, mais pas seulement). C’est cette possibilité qui devrait et pourrait encourager bien des électeurs progressistes à voter pour lui. Encore faudrait-il oser l’unité, un peu à la manière dont Québec solidaire et Option nationale se sont entendus pour ne pas se nuire dans Gouin ? Pourquoi n’avoir pas élargi cet accord exemplaire à d’autres comtés ? Tous n’y trouveraient-ils pas un intérêt certain, en conjuguant ainsi leurs forces plutôt qu’en les divisant ? L’option de l’unité, n’est-ce pas la leçon que nous ont donnée les étudiants, ce printemps dernier ? N’est-ce pas ce qui permet de gagner ?

Québec solidaire peut gagner plus qu’un pourcentage honorable de votes de protestation, il peut aussi faire passer des candidats, futurs députés solidaires capables –en cas de gouvernement péquiste minoritaire—de le pousser à mettre en application toutes ses promesses progressistes. Il n’y a donc pas de déchirement à avoir à ce propos : voter pour Québec solidaire est donc en passe de devenir, dans plus d’une dizaine de comtés, un vote stratégique qui pèsera réellement. Qu’on se le dise !

Pierre Mouterde
Sociologue et philosophe essayiste pierremouterde@lestempspresents.com Site : http://www.lestempspresents.com/Les...

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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