Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

AUSTÉRITÉ : semer la confusion pour mieux démanteler et privatiser.

Personne ne nie qu’il est nécessaire de faire le point sur les finances publiques, ne serait-ce qu’en raison de la croissance phénoménale des coûts de santé, du choc démographique et du libre-échange.

Tout le monde reconnaît également qu’une mise à jour s’impose dans plusieurs institutions, programmes et structures publiques, que ce soit en développement économique, en santé, en éducation, en agriculture, en politiques familiales, sociales et culturelles, dans les instances municipales et régionales, dans l’action communautaire.

Tous sont d’accord aussi qu’une telle mise à jour pourrait et devrait permettre de réaliser des économies, mais surtout une utilisation plus productive des investissements qu’on y consacre.

On aurait pu mettre en marche ces réformes de façon collective, progressive et planifiée, en y impliquant la population, de façon à consolider et renforcer nos institutions et notre économie.

Semer la confusion.

On a plutôt choisi délibérément de semer la confusion et le désarroi en criant au feu sans raison, en lançant des plans de coupures et de réorganisations improvisées, partout à la fois, sur la base d’analyses simplistes, sans rapport avec le programme proposé lors de l’élection, sans consultation, à coups de déclarations arrogantes et provocatrices, de stratégies fuites-essais-erreurs-reculs, de façon à prendre tout le monde par surprise et à nous imposer, sous le couvert d’un redressement budgétaire, un modèle social basé sur le principe de l’utilisateur-payeur plutôt que sur l’accès universel aux services publics, sur l’intérêt privé plutôt que sur la solidarité sociale, sur un État minimal plutôt qu’un État responsable du développement et de la redistribution équitable de la richesse, selon les choix historiques du Québec.

Pour démanteler et privatiser sournoisement.

Pour les libéraux de tout acabit, le Québec est une anomalie au Canada et en Amérique, avec son approche collective et solidaire ; son État interventionniste ; un accès universel aux services de santé et d’éducation, aux services de garde, aux services juridiques, à l’assurance-automobile ; un respect élevé de l’égalité homme-femme, des droits de la minorité anglophone, des minorités ethniques et sexuelles, des nations autochtones (Convention de la Baie-James), du droit à la syndicalisation ; un régime public unique d’épargne collective (Caisse de Dépôts et de Placements), d’énergie électrique (Hydro-Québec), de vente des boissons alcooliques (SAQ) et des jeux (Loto-Québec) ; une place exceptionnelle à l’économie coopérative, sociale et solidaire et à la création culturelle, etc. Tous les défenseurs du privé, qui n’ont en bouche que les comparaisons biaisées avec l’Ontario et les États-Unis, lorgnent depuis longtemps sur ce trésor social des Québécois et attendent avec cupidité le moment de pouvoir mettre la main sur ce vaste champs d’opération public afin d’en tirer des profits privés. C’est ce que Gabriel Nadeau-Dubois appelle « la révolte des riches » dans son incontournable Tenir tête (http://www.luxediteur.com/gnd ).

Occulter la cause véritable du déficit de l’État.

La confusion est installée, au départ, dans l’explication de la cause du déficit. « Le Québec est dans le rouge et ne peut continuer à s’endetter : nous n’avons plus les moyens de nous payer ces services de luxe. »

Ce qui n’est pas une explication mais un constat. Pourquoi le déficit ? « Parce qu’on vit au-dessus de nos moyens ! »

Le gaspillage, qui existe malheureusement, n’explique pas tout, et les services collectifs sont un choix assumé par nos impôts plus élevés. En vérité, si l’État n’est plus en mesure de livrer les services qu’on a collectivement choisi de se donner, c’est essentiellement parce que, année après année, on a réduit ses revenus, en réduisant les impôts des riches et des compagnies, en laissant les banques et les spéculateurs siphonner tous les profits et les soustraire à l’impôt, en augmentant les dons aux grandes entreprises et diminuant leurs redevances : en un mot, nous produisons de la richesse mais cette richesse nous échappe...ou plutôt, se concentre dans les poches d’une minorité (1%). En 2007, Jean Charest a consacré les 900 millions de compensation que le Québec a reçu d’Ottawa pour le déséquilibre fiscal en baisses d’impôt. L’an dernier, en pleine récession, les banques canadiennes ont engrangé 30 milliards de profit. Et on ne compte même plus les milliards qui finissent dans les paradis fiscaux et la corruption. Nous avons les moyens, et nous avons le pouvoir d’augmenter ces moyens au besoin. Si nous sommes dans le rouge, c’est parce que nos élus sont au service de la finance et des riches.

L’écran des chiffres.

Quoi de mieux pour créer la confusion que de lancer des chiffres choisis à dessein. La Commission Robillard, écrit Josée Boileau dans Le Devoir du 21 novembre, « compte, elle ne pense pas » et elle coupe dans les dépenses. La réalité sociale et les choix de société sont réduits à des colonnes de chiffres de dépenses. Les revenus sont disparus du livre de comptabilité et ne font plus partie de l’équation. Les petits banquiers improvisés politiciens qui font la loi affichent leur arrogance et leur ignorance des réalités sociales et humaines. Les solutions sont simplistes, drastiques, despotiques : chacun doit faire sa part, chacun doit accepter des coupures dans son secteur sans rouspéter, les pauvres comme les riches. Et les emplois tombent par centaines : 1600 dans la fonction publique, sans parler de la santé, de l’éducation, des CLD, des agriculteurs, etc. On n’améliore pas, on détruit. On ne réforme pas, on sabre. On calcule. Et pendant ce temps, les revenus fondent encore davantage et le désarroi, bientôt la révolte, s’installe dans les communautés désorganisées. Tout le contraire d’un plan collectif de mise à jour et de relance.

Supprimer plutôt que réformer.

Couper dans les dépenses, pourquoi ? Pour repositionner l’État, réduire sa taille, réduire sa fonction de redistribution sociale, redonner l’exploitation de ses missions au privé.

Des exemples :

Taille de l’État : au lieu de réduire la taille de l’État en décentralisant et d’augmenter son niveau d’expertise, on coupe à l’aveugle 2% des effectifs dans chaque ministère, on bannit le recours aux sous-traitants et on centralise dans les bureaux des fonctionnaires à Québec.

  • Santé : au lieu de décentraliser la gestion et la dispensation des services, sur la base des Municipalités régionales ou des arrondissements urbains, pour les rapprocher des gens et y intégrer la participation des communautés, on abolit les administrations et les emplois locaux au profit de méga-centres régionaux et d’un contrôle absolu par les fonctionnaires du ministère ;

Éducation : au lieu de consolider les structures et la planification de l’éducation au niveau des Municipalités régionales et des arrondissements urbains, en y impliquant les instances municipales, on crée des méga-commissions scolaires régionales, peu représentatives, on augmente la bureaucratie ministérielle et on refuse le principe de la gratuité scolaire complète.

Politiques familiales : au lieu d’augmenter raisonnablement le tarif de base des garderies (et autres services familiaux), tout en conservant le principe d’universalité, on introduit la modulation et le principe utilisateur-payeur, ce qui ouvre directement sur la privatisation des services.

  • Structures territoriales : au lieu de créer de vrais gouvernements territoriaux, locaux et régionaux élus, imputables, dotés de pouvoirs et de ressources financières autonomes, capables de prendre leur milieu en charge et de sortir de la culture de dépendance où elles sont maintenues, on coupe les fonds aux municipalités et organismes de concertation et de développement tout en confiant aux élus de centaines de petites municipalités des responsabilités et des exigences qu’ils sont de plus en plus incapables d’honorer. De même, plutôt que de confier la gestion du Pacte rural aux élus municipaux et de modifier le mandat gouvernemental de Solidarité rurale, qui est effectivement trop peu représentative des milieux ruraux et des mouvements citoyens, on coupe les vivres au seul organisme de concertation rurale en lui disant qu’on n’a plus besoin de ses services, et on ne prévoit aucune instance de représentation territoriale alternative, comme par exemple une vraie chambre paritaire des régions (plutôt qu’une simple Table des régions, contrôlée par le ministre qui octroie les fonds).

Agriculture : au lieu de remplacer une assurance-revenu désuète - basée sur les volumes de production, qui profite principalement à une poignée de gros producteurs (15%), particulièrement les intégrateurs porcins et encourage la dépendance plutôt que l’innovation - par un régime de soutien universel plafonné et modulé selon les revenus, la taille, la localisation et les pratique agro-écologiques de la ferme, tel que proposé par les rapport Pronovost et St-Pierre ainsi que par l’Union paysanne, on abolit tout soutien aux agriculteurs, ce qui équivaut à une condamnation à mort pour un bon nombre d’entre eux, laissant le champs libre aux intégrateurs, aux fonds d’investissement et aux multinationales de l’agroalimentaire.

Économie : au lieu d’investir dans des projets structurants, comme l’éducation, les énergies vertes, les transports, l’aménagement, l’économie sociale, on élimine des emplois partout sans les remplacer et on déstructure l’économie.

Une opération de démantèlement qu’on doit combattre.

Sous le couvert du retour à l’équilibre budgétaire et à la faveur de la confusion qu’il entretient à ce sujet. ce gouvernement, visiblement au service du privé et des riches, est en train d’ouvrir la voie à une mainmise des intérêts privés sur ce que nous avons de plus précieux au Québec : notre État et notre solidarité sociale, uniques en Amérique, notre seul gage de survie comme peuple distinct. La confrontation est inévitable, et elle devra ouvrir la voie à une réaffirmation de la souveraineté du peuple et une reprise de contrôle de celui-ci sur les décisions collectives.

Roméo Bouchard

Roméo Bouchard

Coalition pour un Québec des Régions

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