Édition du 14 mai 2024

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Analyse politique

L'imposture multiculturaliste

Il vaut la peine de pousser un peu plus que je ne l’ai fait lors du dernier numéro l’analyse de la notion de multiculturalisme. Je vais m’en tenir par souci de clarté et d’aisance aux définitions communes et acceptées de ce terme. J’examinerai ensuite la notion d’interculturalisme, qui est très différente de celle de multiculturalisme. Ces deux notions sont incompatibles et surtout, celle de multiculturalisme s’avère un leurre. L’intercultruralisme correspond ,lui, à une certaine réalité sociale et culturelle tant au Québec qu’au Canada anglais, quoi qu’en pensent les partisans et partisanes du multiculturalisme. Commençons donc par le multiculturalisme.

Il ne promeut que la diversité culturelle, ce qui se traduit par la volonté de faire cohabiter des groupes d’origine "raciale" et ethnique divers. Il rassemble sur le plan idéologique un ensemble assez cohérent d’idées et d’idéaux centrés sur la valorisation de la diversité culturelle canadienne présumée. Par contre, ses tenants refusent de considérer les dangers d’une fragmentation sociale, la possibilité (sinon même la probabilité) de tensions communautaires et le défi de l’intégration des populations immigrées liés au multiculturalisme. De leur point de vue, le Canada tend à être une mosaïque culturelle. Si le Canada est une société multiculturelle comme le soutiennent les trudeauistes, à quelle société majoritaire se joindraient alors les immigrants et immigrantes ?

Le trudeauisme découle dans une large mesure de cette idéologie multiculturelle. Il constitue une doctrine fondée sur le renforcement marqué du gouvernement central (au nom de "l’unité nationale"), le multiculturalisme et sur un point de vue très individualiste des droits de la personne par opposition aux droits collectifs. Il voit le Canada comme une seule et même nation.

Pierre Elliott Trudeau s’est appuyé pour l’essentiel sur cette idéologie dans le renouvellement du régime fédéral de 1982. Non seulement ce régime sacralise la Charte des droits et libertés, mais il renforce jusqu’à un certain point le pouvoir des juges au détriment de celui des élus soi disant pour garantir la protection des droits individuels ; ce faisant, il mine la légitimité des droits collectifs, surtout celle du nationalisme québécois auquel Trudeau était viscéralement opposé. Comme si auparavant, les droits et libertés n’étaient pas déjà protégés par les lois tant provinciales que fédérales. Venant d’un homme qui avait fait emprisonner arbitrairement 500 personnes lors de la crise d’octobre 1970, c’est ironique...

Examinons maintenant la notion d’interculturalisme. Ses tenants et tenantes ne refusent pas la nationalisme qui leur semble aller de soi. Ils visent plutôt l’intégration des nouveaux venus à la société majoritaire. Ils veulent établir entre communautés dites ethniques et culturelles d’une part, et population majoritaire des relations d’échanges culturels réciproques. Les interculturalistes visent donc à concilier culture majoritaire et diversité culturelle.

Le gouvernement du Québec appuie l’Interculturalisme tout comme en pratique, les gouvernements provinciaux canadiens-anglais. Les communautés minoritaires n’ont guère le choix : que ce soit au Québec, en Ontario, en Saskatchewan ou ailleurs, si elles veulent s’intégrer à la société majoritaire, leurs membres doivent se mettre à l’anglais ou au français pour s’adapter à la longue aux moeurs dominantes dans les régions où elles ont choisi de s’établir.

Toutefois au Québec, surtout dans une partie de la région montréalaise, le même vieux problème se pose avec une acuité nouvelle : le recul du français. Certains immigrants flairent la bonne affaire et tentent de s’intégrer à la minorité anglophone ; la maîtrise de l’anglais leur ouvre aussi bien des portes ailleurs au Canada et aux États-Unis.

Cette réalité contredit de front les thèses multiculturalistes et valide plutôt la position interculturaliste. On ne conçoit pas de société formée uniquement d’individus ou encore de communautés provenant des quatre coins du monde sans une nation d’accueil avec sa langue, son histoire et ses traditions. Les immigrants et immigrantes y prennent forcément racine. Ils ont besoin pour ce faire d’un terreau culturel, si je puis m’exprimer ainsi.

La persistance du nationalisme québécois sous sa forme autonomiste ou souverainiste contredit les thèses du courant d’idées multiculturaliste. Une simple observation pour quiconque a déjà fait le tour du Canada permet de constater la réalité des deux nations. Évidemment, une majorité de Canadiens anglais aime à se reconnaître dans certains éléments du trudeauisme : le Canada, un beau grand pays multiculturel et accueillant mais cette attitude relève de l’aveuglement volontaire.

Si une majorité de Québécois et de Québécoises a voté non au référendum de mai 1980, ce n’est pas par adhésion aux thèses trudeauistes mais par crainte de la longue et cahoteuse période transition qui aurait suivi un oui majoritaire à l’option souverainiste.

Aucun gouvernement du Québec n’a signé l’entente constitutionnelle concoctée par le gouvernement Trudeau en 1981-1982 et signée dans son dos ("la nuit des longs couteaux") au cours de la soirée du 4 novembre 1981. Le gouvernement de Justin Trudeau aurait donc du se garder une petite gêne quand il a parlé du Canada comme d’un "État post-national" en décembre 2015 dans une entrevue accordée au New York Times Magazine...

Jean-François Delisle

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