Édition du 23 avril 2024

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Analyse politique

Trump : La voie/voix du hors-État

Dans une réflexion sur la loi du plus fort

Il peut s’avérer surprenant de constater à quel point la justice étasunienne semble être hypnotisée par les cas de déviance de l’ex-président, monsieur Donald Trump, qui pourtant cumule les mises en accusation pour des méfaits dont la culpabilité entraînerait normalement une sanction, en songeant surtout à l’attaque contre la démocratie et son symbole par le biais de son influence1.

Cette situation troublante mérite certes une attention et impose une réflexion qui doit aller au-delà d’une critique voulant que la justice utilise la règle du deux poids, deux mesures en fonction de la personne à l’endroit de qui des accusations pèsent. Car, il faut l’avouer, la logique veut qu’une personne qui a commis une faute reçoive une punition conséquente, bien sûr à condition d’avoir démontré hors de tout doute la faute en cause, ce qui engage forcément plusieurs nuances. Attardons-nous alors à l’une d’entre elles.

La loi du plus fort

À un certain moment de l’humanité, la hiérarchie humaine au sein d’un groupe ignorait les préceptes de la morale afin de suivre une loi fort simple : celle du plus fort. Nous pouvons présumer que la force physique et la ruse (ou force de l’esprit) régnaient donc en roi et maître. Or, la conscience et divers désirs contribuèrent à des modifications, voire à moderniser cette loi originelle de façon à garantir une meilleure cohésion de groupe. En instaurant une morale, il est alors devenu possible d’établir des règles ou des lois du vivre ensemble, supposant à la rigueur des obligations et des interdits à respecter, mais aussi des privilèges en tant que droits et libertés en vue d’un certain équilibre.

Cependant, à ces règles – subalternes – s’impose toujours la loi du plus fort qui échappe à ce registre ou plutôt réaffirme son hégémonie dans la mesure où elle ne fait pas la distinction entre un défenseur des lois et un hors-la-loi. Lorsque deux groupes se rencontrent, les plus forts d’entre eux – en puissance, en richesse ou en capital social et symbolique, non plus obligatoirement en termes de force physique – s’offrent un respect mutuel avant de s’affronter, s’il y a lieu. Plus souvent qu’autrement, des ententes tacites ou formelles assurent la coexistence des groupes sur des terrains spécifiques, voire même communs, jusqu’au moment où un déséquilibre survient et exige à l’un des plus forts de s’imposer.

Dans un contexte de loi, tout en sachant que la loi du plus fort a préséance, la coexistence d’hommes et de femmes qui respectent les lois et d’autres dits et dites hors-la-loi est assurée dans une forme de conclusion binaire dépassant la seule idée de la dichotomie du fort et du faible, puisque, tout compte fait, la vraie moralité qui découle de la loi du plus fort provient du besoin de trêve ou de compromis entre les plus forts eux-mêmes dans le but d’éviter leur anéantissement.

Des hors-États

En songeant au monde dans lequel nous évoluons, la notion d’État apparaît dans une connotation politique, juridique, géographique/territoriale, économique et sociale (incluant les communautés, les cultures et les religions) à travers laquelle les lois participent au maintien de son équilibre et mode de fonctionnement ; autrement dit, à l’ordre aspiré. Si à l’intérieur de ses frontières cette dynamique s’exerce, force est de considérer également quelques règles venant régir les relations avec d’autres États. Ces lois internationales lorsque brisées entraînent des sanctions contre le ou les États fautifs, mais le tout peut dégénérer en guerre dans un retour inéluctable à la loi du plus fort avec toute la splendeur de la barbarie qu’elle peut occasionner.

En revanche, il existe un pendant, voire l’envers de la médaille, qui suggère la présence d’un hors-État, toujours actif avec ses adeptes, à savoir une sorte de monde à la fois parallèle et interdépendant à celui de l’État, et ce, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières nationales. Or, cette réalité binaire s’exprime dans des extrêmes dont la zone médiane s’élargit en de multiples nuances, dans la mesure où le citoyen ou la citoyenne ordinaire peut aussi bien fréquenter l’un que l’autre, consommant les produits des deux mondes qui n’en forment qu’un seul. Néanmoins, la personne qui respecte les lois et celle qui se veut hors-la-loi connaissent la ligne ou cette frontière à franchir pour passer d’un côté à l’autre, à savoir cette zone intermédiaire remplie de permissions sous-entendues. Cette forme de limite assure un équilibre des instances (ou un ordre pour éviter trop de désordre), toujours dans une certaine mesure. Imaginons un instant la possibilité d’une équivoque par laquelle une limite ou frontière différente serait établie avec des vérités alternatives davantage appréciées par la population d’ensemble, forçant ainsi la main des plus forts à redéfinir leur entente.

Pour un autre registre

Ces précédentes réflexions nous amènent vers le registre employé par l’ex-président étasunien, monsieur Donald Trump, qui a compris le pouvoir d’une idée capable de se transformer en une idéologie grâce à laquelle une vision inédite du sens de l’existence devient réalisable, ce qui signifie également une autre façon de désigner la vérité. Chose certaine, les insatisfactions de la population étasunienne, voire plutôt d’une frange visiblement réfractaire au respect des lois, servent de mobile à l’apparition d’une voie de sortie vers le hors-État qui stimule d’ailleurs l’imaginaire dans une recherche de la liberté maximale, une valeur étasunienne fondamentale. Par conséquent, les attaques contre monsieur Donald Trump par les lois accentuent automatiquement un plus grand appui envers lui par ce mouvement qui le supporte, alors que ce dernier incarne le nouvel État espéré : le hors-État.

Par un étrange paradoxe, les États-Unis, fiers de leur État, ont engendré des êtres profitant de leurs valeurs et de leurs richesses, mais provoquant en même temps leur déséquilibre graduel vers le hors-État, dont un représentant continue d’animer une volonté dont plusieurs personnes et groupes se sentent interpellés. Pour rétablir l’ordre dans le désordre, alors que les lois ne suffisent plus, la solution consiste à un éventuel combat entre les plus forts de la nation.

Conclusion

Même au sein de notre civilisation, la loi ancestrale du plus fort continue de dominer et aide à comprendre plusieurs incohérences à nos systèmes jugés moralement bons. La justice étasunienne tergiverse sur le cas de monsieur Donald Trump, parce qu’elle le reconnaît comme un fort et qu’il incarne une voie comptant de nombreux et nombreuses adeptes. Par contre, le hors-État ne signifie pas l’absence de lois, mais plutôt une façon différente de les considérer, sinon de nouvelles ou semblables avec d’autres nuances. N’oublions toutefois pas que pour résoudre un problème, comme le dirait monsieur Albert Einstein, il importe d’utiliser des idées différentes de celles qui l’ont créé.

Guylain Bernier

Note 1 : Par définition, l’influence équivaut à dire « A – intentionnellement ou non – “fait voir” à B son intérêt là où il ne l’aurait pas placé dans cette relation. De sorte que B va, de lui-même, adopter une attitude ou un comportement appropriés (sic), c’est-à-dire, négativement, sans obligation […] » (Braud, 1985, p. 352). Ainsi, l’influence aurait un pouvoir de séduction, de manière à ce que l’individu influencé perçoive un avantage à la subir. Dans le coffre à outils de l’influence se trouvent donc la persuasion, la manipulation et l’autorité.

Référence

Braud, P. (1985). Du pouvoir général au pouvoir politique. Dans M. Grawitz & J. Leca (Dir.), Traité de sciences politique. La science politique, science sociale. L’ordre politique (Tome I) (pp. 335-394). Paris, France : Presses Universitaires de France.

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