Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique québécoise

Crise au P.Q. : ça bouge-t-il au Québec ?

Ou comment s’opposer à la montée de la droite

Ces temps-ci, les chroniqueurs politiques peuvent avoir de quoi se réjouir tant le Québec parait en pleine effervescence : au soir du 2 mai, vague orange NPD et effondrement électoral du Bloc Québécois et, maintenant, crise au sein du Parti québécois agrémentée du départ de députés respectés ainsi que création d’un nouveau regroupement souverainiste (NMQ) ; sans même parler de la Coalition pour l’avenir du Québec de François Legault qui, tout en n’étant pas encore un parti, caracole déjà dans les sondages.

On le voit, les événements marquants ne manquent pas. De quoi avoir l’impression qu’enfin ça bouge au Québec et qu’on peut donner libre cours à d’amples conjectures sur cette nouvelle conjoncture, surtout si on a le coeur à gauche et qu’on se trouve à Québec solidaire. Mais qu’en est-il vraiment ?

De nouvelles pistes d’intervention

Bien sûr, qui dit “changement de conjoncture” dit nécessairement “changement possible de mode d’intervention”, ou tout au moins ajustement de son intervention à ces nouveaux paramètres. D’où l’importance que Québec solidaire réfléchisse à cette nouvelle conjoncture, d’autant plus si se profilent des rumeurs d’élections anticipées !

Ainsi François Cyr, Pierre Beaudet et Philippe Boudreau cherchent-ils dans deux articles du Devoir (27-28 août, 31 août) à esquisser de nouvelles pistes d’action, encourageant d’une part le PQ à changer de posture, en étant moins nombriliste et plus ouvert aux positions de QS (Québec solidaire), et d’autre part les partisans de QS à se doter “d’une sorte de plateforme minimale et multipartite qui pourrait viser la réforme des institutions démocratiques, la remise à l’ordre du jour de la question nationale québécoise, l’assainissement des mécanismes d’octroi de contrats et le contrôle de nos ressources naturelles”. Manière de faciliter, en termes électoraux, le rapprochement entre les uns et les autres !

L’idée pourrait paraître à première vue fort attrayante, ne serait-ce que parce que partout on ressent la nécessité d’être ensemble –toutes forces confondues— pour faire face aujourd’hui à la montée très claire de la droite. D’autant plus qu’au Québec –on le sait d’expérience— aucun changement d’envergure ne peut se faire si l’on ne se donne pas les moyens d’aborder d’un même mouvement “question nationale” et “question sociale”, si par conséquent on ne pense pas régler les problèmes d’inégalité sociale en même temps que ceux de souveraineté politique.

Il y aurait donc, apparemment, tout avantage du côté de Québec solidaire à ajuster son intervention à cette nouvelle conjoncture et ainsi à s’ouvrir –électoralement parlant—à tous ces acteurs en mal de changement qu’on trouve en pleine réflexion dans la mouvance du PQ.

Mais encore faut-il savoir comment, et pour quoi faire, et surtout sur la base de quel rapport de force ?

Un contexte de montée de la droite

Car il ne faut pas se méprendre sur l’ampleur de ces changements : ils restent partiels et ne touchent pour l’instant qu’une couche de militants ou responsables, certes non négligeable, mais encore confinée à la périphérie d’une formation politique qui a par ailleurs les reins encore solides et dont le parti pris social-libéral est chaque fois plus affiché.

Il ne faut pas non plus oublier que ces changements qui s’effectuent dans le camp progressiste, surgissent dans un contexte plus général de montée de la droite. Preuves en sont bien entendu les politiques d’austérité du gouvernement Charest (voir son dernier budget) et celles ouvertement conservatrices du gouvernement Harper (dorénavant majoritaire) ; mais aussi ces récents sondages donnant au mouvement politique de François Legault, —même pas encore enregistré comme parti mais très clairement campé à droite— la deuxième place dans les sondages. Et comme l’indiquait Simon Tremblay-Pepin dans une récente étude (voir de ces récents articles du 9 août 2011 sur Presse-toi-à gauche), s’il y a bien eu, au Québec, une percée du NPD — formation social-démocrate par excellence— rien ne nous prouve pour autant qu’il s’agit de l’expression d’une nette montée des idées de gauche au Québec ; ni non plus que l’on puisse en conclure que l’effondrement du Bloc serait synonyme d’une baisse des idées favorables à la souveraineté. Comme s’il fallait soigneusement distinguer ce qui était de l’ordre des bouleversements de l’institutionnalité politique ou électorale, et des grands mouvements de fond traversant une société.

Il est vrai que nous vivons très certainement un changement de période politique, résultat tout à la fois de la mise en berne des modèles politiques critiques traditionnels et de la montée en force d’un nouveau mode de régulation économique particulièrement pernicieux : le néolibéralisme. Il est vrai aussi que ces changements s’expriment par la reconfiguration de la scène électorale québécoise, notamment par la montée de tiers-partis et l’existence d’une grande volatilité dans l’électorat. Mais en aucun cas ils ne placent pour l’instant les forces de gauche dans une position a priori très favorable à des bouleversements d’importance. À moins que de vastes mobilisations sociales –comme dans le cas des étudiants chiliens ou des indignés européens—permettent soudainement de changer la donne générale et d’offrir un nouvel éclairage aux propositions de la gauche.

Ne pas se contenter d’une seule stratégie électorale

D’où la nécessité de ne pas mettre la charrue avant les boeufs, et en tous cas de ne pas se contenter d’une stratégie pensée au seul niveau électoral (ou en termes purement institutionnels), en imaginant que les adversaires de naguère, du fait des difficultés patentes de leur formation politique, pourraient se muer, comme par enchantement, en de véritables indépendantistes anti-néolibéraux avec lesquels on pourrait passer des alliances électorales fécondes débouchant sur des dynamiques réelles de transformation sociale.

D’où aussi la nécessité de ne pas oublier que le succès de Québec solidaire –pensez aux interventions d’Amir Khadir ayant fait date !—provient surtout de sa capacité à dire clairement les choses et à oser rompre –dans les faits— avec les logiques néolibérales, tout en se faisant courageusement l’écho des frustrations qu’elles génèrent et sur lesquelles l’immense majorité de la classe politique a appris à se taire : au moment de la crise financière (en 2008), à propos de nos ressources minières ou encore vis-à-vis du fameux Colisée Péladeau/Labeaume.

Penser la rupture démocratique

En ce sens, quelque part au sud de l’Amérique, les étudiants chiliens nous rappellent peut-être aujourd’hui l’essentiel : ils sont en train –à propos du système éducatif chilien—de clairement placer un gouvernement néolibéral et héritier de la dictature (celui du Président Piñera) sur la défensive, en le forçant, non pas à injecter quelques subventions étatiques supplémentaires dans ce secteur en pleine crise, mais à envisager rien de moins que le retour à “une éducation gratuite et de qualité” dans laquelle serait exclu “tout profit”.

Comment ? En s’appuyant sur des mobilisations sociales gigantesques qu’ils ont appris à gérer démocratiquement, et en ayant gagné l’appui de secteurs grandissants de la population (80% de la population est aujourd’hui favorable aux demandes étudiantes) ; en somme en construisant avec audace les bases de ce qu’on pourrait appeler “une rupture démocratique”. N’est-ce pas –au-delà de toute tactique électorale et en ces temps de néolibéralisme triomphant— ce à quoi il nous faudrait aussi songer, ici, au Québec ? Sans cela toute stratégie d’alliance électorale sera tôt ou tard synonyme de cruelle impasse.

Pierre Mouterde

Sociologue essayiste

Site web et blog : http://web.me.com/pierremouterde/ma_page/accueil.html

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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