Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

De l’importance de la préservation de notre langue comme prévention à une culture québécoise de survivance… Osons donc le verbe prophétique !

Depuis que je suis arrivé à l’école où j’enseigne – en l’occurrence, depuis le mois de septembre 2010 -, mes élèves m’appellent « M. Dictionnaire ». Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils trouvent que je m’exprime comme un dictionnaire… c’est-à-dire bien. Avec de beaux mots.

« Mais qu’en est-il des autres enseignants(tes) ? », pensai-je. Semble-t-il qu’ils s’expriment « ordinairement » : mot employé par nul autre que mes élèves. Alors j’ai interrogé les élèves pour savoir ce que signifie pour eux « ordinairement ». Leur définition : « comme tout le monde ». « Suis-je élitiste ? », songeai-je. Pourtant, je ne considère pas m’exprimer avec une verve prophétique telle que le faisaient Jésus, Mahomet, Bouddha, Abraham, etc. Mais bon, tant mieux si mon vocabulaire est adéquat, voire « extraordinaire », selon les élèves… (à suivre)

La question de la langue est un enjeu épineux au Québec, mais selon moi fondamental, car il représente littéralement la force centrifuge de notre culture québécoise. En effet, notre langue est catégoriquement le centre même à partir duquel se diffuse notre culture, notre patrimoine. Or elle agit en tant que « produit générateur » de notre encyclopédie culturelle nationale – en l’occurrence, la nation québécoise -, faisant donc office de « staple » : nom donné, au début du 20e siècle, par des historiens canadiens (Innis, Mackintosh) reconnaissant le rôle majeur joué par une chronologie de ressources naturelles exploitées (morue, fourrure, bois d’œuvre, blé) en Amérique du Nord depuis le 16e siècle, dans des coordonnées spatio-temporelles définies. Le staple est d’abord et avant tout une théorie économique du développement territorial et sociétal – « inavouément » issue du matérialisme historique cher à Marx, probablement pour ne pas subir l’entreprise de discrédit du capitalisme libéral -, mais elle peut selon moi servir de grille d’analyse « collimatrice » dans la question de la culture, de son héritage constitutif, et de ses préalables immanents pour l’accession à sa pérennité.

Ainsi, je considère que la langue est au développement de notre culture ce que la fourrure a été au développement de notre économie – sans laquelle nous n’aurions pu atteindre un tel niveau de développement. Elle est donc essentielle, inhérente et nécessaire. Sans notre langue française, notre culture n’est malheureusement plus, car notre histoire nationale ainsi que notre Art national sont francophones. Supprimer plus de 400 ans de français, c’est dissoudre le système racinaire de notre histoire, de nos origines, voire de notre philologie québécoise. Certes, il ne faut pas non plus faire abstraction de la présence de l’anglais dans notre culture, mais il ne faut pas pour autant faire la promotion d’un « bulldozage » intensif de nos fondations nationales, donc culturelles. Délaisser l’importance de notre langue au profit d’une autre langue, c’est saigner notre culture jusqu’à l’hémorragie générale. Notre langue française est le squelette de notre corps national et de notre singularité culturelle. Alors pourquoi vouloir fracturer notre propre ossature ? Il est cardinal de comprendre cet enjeu et cette menace nous conviant tout droit à la « voie d’extinction » - si bien sûr elle est indifférée !

C’est en faisant primer la préservation de notre langue dans les appareils d’éducation nationale que nous arriverons à éradiquer la contamination de cette lingua franca anglaise au service de l’infrastructure économique libérale globalisante. De ce fait, même si cette promotion doit être soutenue par la force et/ou par la résilience - telle que peut l’être par exemple le véhicule de la loi 101… aller même jusqu’à l’imposer dans nos cégeps québécois ! -, c’est notre devoir citoyen d’y collaborer. La superstructure éducationnelle est à la base même de la solidification et de la perpétuation du noyau de notre culture : la langue.

Enfin, il incombe d’oser hisser les élèves/étudiants sur la cime d’un langage raffiné plutôt que de s’abaisser à leur « ado-dialecte » de plus en plus anglicisé. Il importe donc de faire l’éloge de la richesse de notre langue. Il est donc nécessaire d’apprendre aux élèves que l’élargissement de leur vocabulaire leur permettra de réfléchir efficacement, car plus leur vocabulaire sera riche, plus leur pensée sera profonde, acérée, et plus ils seront conscients, heureux… Osons donc l’irradiation du verbe prophétique fidèle à la richesse de notre langue !

Jean-François Richer

Enseignant en univers social au secondaire

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