Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débats

Élections fédérales 2015 : sortir de l’impasse (2e partie)

Revenons d’abord sur les observations faites dans le premier texte i. Une stratégie pancanadienne pour la gauche québécoise indépendantiste devrait s’articuler autour de quelques constatations de base :
Le danger d’un autre mandat conservateur (surtout majoritaire) est minime.
Le scénario le plus probable pour octobre 2015 est l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire avec la balance du pouvoir au NPD. Une majorité libérale est envisageable.
La remontée du Bloc québécois est peu probable et n’affecterait pas beaucoup le portrait d’ensemble de toute façon.

La gauche sociale et politique québécoise, tant dans les mouvements qu’à QS, ne se reconnaît pleinement dans aucun des partis politiques fédéraux actuels.
Que faire alors ? On pourrait toujours rêver à un nouveau parti pancanadien rejetant le colonialisme tant au sein du Canada qu’ailleurs dans le monde, un parti qui serait un allié indéfectible à la fois de la lutte des Premières nations pour leur autodétermination et des aspirations du peuple québécois pour son émancipation. Pour venir à bout du projet commun à toute la classe dirigeante d’un Canada puissance pétrolière, financière et militaire, impérialiste et arrogante, une grande coalition des peuples et des mouvements est nécessaire.

Un pavé dans la mare

Mais 12 mois ne donnent pas le temps d’avancer dans cette voie jusqu’à la fondation d’un nouveau parti. Le Forum social des peuples était une étape importante. Espérons qu’il aura lancé une dynamique de coordination et de convergence des luttes qui va durer. En attendant, une autre tactique qui pourrait porter fruit et qui est déjà à notre portée consisterait à présenter des candidatures indépendantes dans certaines circonscriptions bien choisies, avec l’appui de divers partenaires de la gauche et des mouvements. De nouvelles organisations locales émergent depuis quelques années dans différentes villes canadiennes en opposition aux politiques d’austérité et à l’impérialisme canadienii. Certains de ces groupes envisagent une action sur le terrain électorale que nous pourrions encourager en prenant des initiatives à Montréal, Québec et ailleurs.

Imaginons une militante du mouvement contre les oléoducs qui se présenterait contre Trudeau dans Papineau, une autre du mouvement de solidarité avec la Palestine dans Outremont contre Mulcair, un syndicaliste de Calgary contre Harper, etc. Ces personnes pourraient, chacune à leur façon et avec l’appui de réseau locaux à géométrie variable, constituer autant d’empêcheurs de tourner en rond, autant de pavés jetés dans la mare stagnante de la politique canadienne. En relayant les revendications, les critiques et les projets des secteurs les plus combatifs de l’opposition extra-parlementaire, ces petites campagnes liées par des liens de complicité mais pas forcément par une plateforme commune complète, permettraient à la rue de faire son entrée dans les urnes et de faire comprendre à tous les partis que la routine habituelle ne suffira plus, qu’il y a des gens qui en ont assez de la vieille politique nationaliste canadienne.

En guise d’inspiration, souvenons-nous de la campagne de Michel Chartrand contre Lucien Bouchard dans Saguenay en 1998 ou de celle de Paul Cliche dans Mercier en 2001. Ces résultats modestes (14% et 24% respectivement) peuvent paraître bien minces. Mais sans ces premières avancées, on n’aurait difficilement pu fonder l’Union des forces progressistes en 2002 et Québec solidaire en 2006, et faire élire trois députés en 2014. Il faut commencer quelque part !

Pour ce faire, il faut rompre à la fois avec l’électoralisme et avec son jumeau le mouvementisme. L’électoralisme social-libéral du NPD s’accommode sans problème avec la « neutralité » des mouvements sociaux sur le terrain électoral. En même temps, la bureaucratie des mouvements sociaux vit très bien avec l’absence de responsabilité politique pour elle-même, qui permet de justifier le défaitisme et l’absence d’une stratégie de combat. Des candidatures indépendantes seraient pertinentes et utiles à partir du moment où elles permettent de rompre avec cette division stérile afin de permettre à la mobilisation de la rue et à celle des urnes de se féconder réciproquement.

Ces campagnes modestes seraient aussi des occasions de rassembler des personnes et des groupes qui ne travaillent pas toujours ensemble autour d’un objectif simple. Bref, ce serait un pas important vers une nouvelle pratique politique. On pourrait s’inspirer de l’expérience récente de Podemos en Espagne, comme le suggère Durant Folco dans un texte fort intéressant.iii Le choix des candidates et des candidats ainsi que la plateforme pourraient être le résultat d’un processus de démocratie participative ouvert et interactif tirant avantage des possibilités du Web 2.0.

Préparer l’avenir sans dénigrer ce qui existe

Bien entendu, ces éventuelles candidatures indépendantes ne régleraient pas la question de comment les indépendantistes de gauche devraient voter dans les autres circonscriptions. Sur ce terrain, on doit accepter que des objectifs stratégiques partiels et à court terme prennent le dessus sur la perspective de transformation globale qui est la nôtre.

Face à la probabilité d’un gouvernement Trudeau et à la possibilité d’un sursis pour Harper, il demeure que le NPD offre la meilleure alternative pour un gouvernement fédéral progressiste qui pourrait être un allié pour les mouvements sociaux sur certaines questions (droits syndicaux, service postal, soutien aux organisations de défense de droits…). Nous pouvons comprendre que bien des gens de gauche continuent de lui accorder leur appui malgré le ralliement des dirigeants du parti au social-libéralisme, soit à la version « de gauche » d’une politique d’austérité, comme on l’a observé récemment en Nouvelle-Écosse, et dans les campagnes électorales en Colombie-Britannique et en Ontario. Nous pouvons inviter ces personnes à voter NPD dans leur circonscription tout en appuyant les candidatures indépendantes ailleurs.

Nous pouvons comprendre aussi pourquoi l’élection de Mario Beaulieu comme chef du Bloc québécois rend ce parti attirant pour la frange de gauche du mouvement indépendantiste. Il apparait par contre que cette victoire surprise des « pressés » était un accident de parcours pour l’establishment souverainiste et qu’un tel scénario ne se répétera pas au Parti québécois. Malgré tout, un vote indépendantiste clair lors des prochaines élections fédérales serait un pas en avant. Même à 15% ou 20% des voix, ce serait au-delà des appuis combinés de Québec solidaire et d’Option nationale aux élections d’avril dernier (le PQ ne comptant plus pour grand-chose dans cette équation). À ces personnes nous pouvons dire que les conditions d’une victoire indépendantiste dépendent de notre capacité à mobiliser la population autour d’un projet politique démocratique, progressiste, écologiste et internationaliste, et de la solidité de nos alliances avec les Premières nations et la gauche du reste du Canada. Les candidatures indépendantes méritent donc aussi leur appui.

En conclusion, au lieu de paniquer en exagérant la menace que représente une réélection des Conservateurs, restons calmes et trouvons de nouvelles manières de rassembler l’opposition aux politiques du présent gouvernement, dont plusieurs ne changerons pas sous un régime libéral ou même du NPD. Ainsi, nous aurons un impact plus important sur le contenu de la campagne électorale elle-même et pourrons préparer la suite des choses, tant pour le combat des urnes que pour celui de la rue.

Rassemblons toutes les personnes qui se reconnaissent dans cette perspective à long terme, au-delà des divergences tactiques du moment. Dans tous les cas de figure pour ce qui est des résultats de l’élection de 2015, le ralliement de forces sociales diverses autour de candidatures enracinées dans les mouvements et portant les idées radicales dont l’humanité a besoin nous donnerait un élan dans la bonne direction.

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