Édition du 30 avril 2024

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Politique québécoise

Gentilly-2 : on se calme, on regarde le film et on observe ce qui nous entoure

Réponse au texte de Jean-François Cliche de La Presse, Gentilly-2 : on se calme et on se documente un peu, OK ?, publié le 5 septembre 2012 dans le blogue Sciences dessus dessous.

Voir la chronique "Cinéma" de Presse-toi à gauche pour une présentation du documentaire.

Moi aussi, j’ai failli m’étouffer avec mon café ce matin en vous lisant. Ça fait beaucoup de bons breuvages répandus. Premièrement, vous commentez un film que vous n’avez pas vu sur la base d’un compte-rendu de presse. Au chapitre de la rigueur, on repassera (en passant, j’ai moi-même vu le film en question « Gentilly or not to be »). Un simple coup de fil aux producteurs vous aurait certainement permis d’en obtenir une copie.

Si vous aviez vu le film, vous auriez constaté que la santé publique donne son interprétation de l’étude en question. Et que le film n’est pas un pamphlet, comme vous le condamnez à l’avance. À mon sens, il donne même une trop large place aux pros nucléaires. Mais, c’est vrai, vous ne l’avez pas vu.

Vous avez cependant obtenu l’étude de la Direction de la santé publique. Mais votre façon de diluer les résultats en amalgamant les 3 périodes étudiées pour n’en faire qu’une seule de 15 ans m’apparaît pour le moins douteuse sur le plan de la méthode. La centrale Gentilly vieillit. Elle rejette des radionucléides dans l’environnement depuis maintenant trente ans. Les cancers ont des périodes d’incubation longues. Le fait que, dans les 5 dernières années étudiées, il y ait 27 % de plus de cas de cancers observés chez les moins de 20 ans est significatif sur le plan statistique. On ne peut absolument pas se permettre d’amalgames comme vous le faites. En tout respect, c’est votre critique qui est molle.

Elle me rappelle la façon de tenir des statistiques que font certains opérateurs de barrage, en indiquant les moyennes de débit réservé écologique sur une longue période plutôt que pendant les périodes d’étiage. Or, il ne suffit que d’une journée sans eau dans une rivière pour anéantir une population de poissons, et ce, même si la moyenne mensuelle de débit réservé est excellente.

Dans le cas qui nous préoccupe, si la statistique ne vous plaît pas, vous n’avez qu’à la diluer sur une plus longue période et le tour est joué. Nous attendons avec impatience et appréhension la prochaine étude, qui devrait couvrir la période de 2005 à 2009. Nous sommes en 2012. Ne trouvez-vous pas curieux qu’elle ne soit toujours pas publiée ? Tout comme nous avons trouvé curieux que la présente étude (2000-2004) n’ait été rendue publique (et plutôt en catimini) qu’en avril 2011 ? Paranoïa de militant direz-vous…

Votre critique de l’étude allemande (KiKK 2008) fait elle aussi preuve d’une mauvaise foi évidente. En quoi une étude faite dans un autre pays que l’Allemagne, avec des centrales de conception différente, des densités de population différentes peut-elle, du simple fait qu’elle n’ait pas trouvé de résultats significatifs, invalider la méta-analyse allemande ?

Vous aimez jeter des hyperliens. En voilà un (http://www.environnement.ens.fr/IMG/pdf/Vivre_pres_d_une_centrale.pdf), d’une source non militante (l’École normale supérieure) — rassurez-vous —, qui contredit vos dires en ce qui concerne l’étude allemande et la situation en France. En voici un extrait qui cite l’étude de l’INSERM (2002-2007) en France « Il ressort donc un excès de cas dans la zone des 5 km autour des sites sur cette période. Ce résultat est retrouvé, quel que soit le protocole d’étude. Il apparaît dans toutes les tranches d’âge considérées. L’excès observé ne dépend pas de la puissance des centrales ou de leur situation (bord de mer ou rivière). L’excès observé n’est pas associé à une centrale en particulier (persiste après exclusion tour à tour de chacune des centrales). »

Passons rapidement sur votre coup de griffes à un collègue réputé (Louis-Gilles Francoeur, du Devoir) parlant de manque de rigueur « indéfendable » des journalistes… tout en n’en citant qu’un seul et encore, sans le nommer.

Là où le jupon dépasse et la science prend vraiment le dessous, c’est lorsque, du haut de je ne sais quoi, vous émettez vos doutes sur la présence d’un « puissant lobby nucléaire » en ajoutant « au Québec !?! Vraiment ? » [sic]. Je ne sais pas où vous étiez lorsque Pierre Duhaime défendait du même souffle la prison de SNC-Lavalin en Lybie et la reconstruction de Gentilly 2. Quand SNC-Lavalin a acheté la majeure partie des actifs d’Énergie atomique du Canada pour une bouchée de pain. En ne se cachant pas que la reconstruction de G-2 lui ferait une belle vitrine ? SNC-Lavalin ? Faire du lobby ? Quelle idée saugrenue selon vous ! Je vous réfère au discours de Duhaime, le 19 janvier 2012 devant le cercle finance et placement (http://www.snclavalin.com/pdf/speeches7.pdf).

L’ensemble des fournisseurs nucléaires sous le parapluie des chambres de commerce a fait une campagne intense avant et pendant la dernière campagne électorale. Avec un certain succès, car François Legault semble avoir trouvé la lumière à peine 4 jours avant l’élection en qualifiant l’idée de ne pas reconstruire G-2 « d’irresponsable », et ce, sans chiffres en mains et sans évaluation indépendante.

En terminant, j’aimerais vous citer les propos de l’astrophysicien Hubert Reeves, un « militant pamphlétaire » bien connu, à propos de l’énergie nucléaire. Hubert Reeves considère que la recherche du profit et la sécurité nucléaire ne vont pas ensemble et que le nucléaire est une technologie pour les anges. « Le nucléaire, c’est trop dangereux pour les humains, c’est comme laisser les enfants jouer avec les allumettes. » (http://www.leprogres.fr/france-monde/2011/04/08/le-nucleaire-c-est-trop-dangereux-pour-les-humains). Ah oui, allez donc voir le film quand même…

L’auteur est directeur de Nature Québec

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