Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Il y a 15 ans : le Sommet des Amériques

Nous republions le rapport de la Ligue des droits et libertées, section Québec sur le Sommet des Amériques tenu à Québec en 2001. Certains médias, ceux de Québecor en particulier (voir ici) (et ici) beurrent pas mal épais. Même le maire de Québec s’y mets. Et pour une fois, on ne regarde pas à la dépense. Ces médias sont en campagne pour créer un climat de peur et justifier le recours à la répression sévère du mouvement anti-G7. Dans ce contexte, rappeler aux lectrices et lecteurs l’ampleur de la répression et des entraves aux libertés qui furent commises à cette occasion, l’utilisation d’agents provocateurs comme lors du Sommet du G20 à Toronto en 2010 ou de l’APEC à Vancouver en 1997 devrait mettre la puce à l’oreille sur les tenants et aboutissants du recours à la violence lors de ces rencontres au sommet des puissants de ce monde. Les forces policières sont toujours à l’origine des violence.

Violations des droits et libertés au Sommet des Amériques, Québec avril 2001

Téléchargez le rapport complet du Comité de surveillance des libertés civiles.

Considérant l’ampleur des manifestations prévues à Québec en 2001 et les événements survenus lors de précédents Sommets, comme celui de l’APEC à Vancouver en 1997, ou celui de l’OMC à Seattle en 1999, la LDL décidait, en juin 2000, de créer le Comité de surveillance des libertés civiles. Ce comité avait comme mandat de surveiller l’action des autorités sur l’exercice des libertés civiles. Il avait aussi comme mandat d’informer la population sur ces enjeux de droits et interpeller les pouvoirs publics et les organismes concernés par ces questions. Le Comité indiquait sa volonté d’avoir des équipes d’observateurs sur le terrain pendant le Sommet.

Le lendemain de cette annonce, dans une déclaration publique, le ministre de la Sécurité publique (Serge Ménard, PQ) disait accueillir positivement l’initiative de la Ligue des droits et libertés et vouloir prendre les mesures pour faciliter sa réalisation.

Le Comité de surveillance était formé de près d’une quarantaine de personnes dont certaines bien connues publiquement. Plus du tiers des membres avaient déjà participé à des missions internationales d’observation des droits, dont tous les responsables d’équipe. Plusieurs membres de ce comité étaient avocats. La fonction première du Comité de surveillance était définie ainsi : observer et enregistrer les incidents, les gestes, les actions qui pourraient constituer des violations ou atteintes aux libertés civiles en vue d’en témoigner de façon crédible sur la place publique et auprès des autorités politiques. De façon corollaire, le comité voulait exercer, par la simple présence de ses membres observateurs, une action dissuasive pour prévenir les violations des libertés civiles.

Par équipes de deux à trois personnes, les membres du Comité de surveillance ont mené leurs activités d’observation du jeudi 19 avril au dimanche 22 avril 2001, inclusivement. L’ensemble de leurs rapports d’observation ont été colligés de façon à en dresser une synthèse qui trace un portrait de la situation telle qu’elle a évolué sous leurs yeux, durant chacune des journées, dans des secteurs stratégiques de la ville où se sont tenues les manifestations les plus significatives.

4. Éléments d’analyse

Les manifestants

D’après l’ensemble de nos observations, la très grande majorité des manifestants qui ont participé aux manifestations qui se sont tenues autour du périmètre et dans les secteurs avoisinants, étaient pacifiques. Ils étaient venus exprimer leur opposition au projet de la ZLEA, auprès du mur qui symbolisait à leurs yeux, le caractère non-démocratique du processus de négociation en cours. Ils l’ont fait, certes de façon bruyante et dérangeante, mais pacifiquement.

De nombreuses personnes et groupes, qui ont participé à la Marche des Peuples du samedi 21 avril, sont aussi venus manifester autour du périmètre, le vendredi, le samedi ou le dimanche. Il faut souligner qu’un bon nombre de curieux et spectateurs, résidents ou non des quartiers environnants, se trouvaient également parmi les manifestants.

Les manifestants ont soutenu de leurs cris et acclamations le renversement
d’une section de la clôture du périmètre, le vendredi après-midi, au coin de René-Lévesque et Claire-Fontaine. Ce geste, de façon évidente, avait essentiellement une portée symbolique positive pour eux puisque seul un petit groupe s’est avancé de quelques mètres à l’intérieur du périmètre et a confronté la police. Il n’y a pas eu demouvement véritable de la part des manifestants pacifiques pour tenter de pénétrer dans le périmètre, ni à ce moment, ni après, lors de l’ouverture d’autres brèches dans la clôture, que ce soit sur d’Aiguillon, Saint-Jean ou des Glacis.

À divers moments, des groupes de manifestants ont fait des « sit-in » ou diverses activités ou actions non-violentes. Dans certains cas, les actions visaient à créer des zones-tampons pacifiques entre la police et la masse des manifestants. À de nombreuses reprises, des groupes de manifestants ont exprimé leur réprobation face à des gestes de violence, notamment à l’endroit de ceux qui lançaient des projectiles aux policiers ou qui s’en prenaient à des journalistes et aux cars de reportage. Des manifestants sont même intervenus activement pour faire cesser des gestes de violence ou des actes de vandalisme.

Il faut d’ailleurs souligner qu’il y a eu peu d’actes de vandalisme, si l’on excepte les bris de vitrines sur les rues Charest et de la Couronne survenus tard dans la nuit de samedi à dimanche et les attaques signalées contre des cars de reportage et des véhicules policiers commis par de petits groupes isolés. Dans son bilan du Sommet, le maire de Québec s’est exprimé dans le même sens. Le Faubourg Saint-Jean Baptiste est le secteur qui a vu circuler sans doute le plus grand nombre de manifestants. D’ailleurs l’Association des commerçants du Faubourg Saint-Jean-Baptiste a, pour sa part, fait état publiquement du bon comportement des manifestants qui n’avaient rien brisé, se livrant tout au plus à l’inscription de graffitis, principalement sur les panneaux de contre-plaqué recouvrant les vitrines de plusieurs commerces. Nos observateurs ont également noté la présence, auprès du périmètre, d’une minorité très agissante de tenants de l’action directe violente. Certains regroupés et organisés, ont mené leur action de façon apparemment coordonnée. Ils ont joué un rôle important dans le tir de projectiles, parfois dangereux, vers les policiers, ainsi que dans les quelques attaques survenues contre les cars de reportage des médias. Il y avait aussi un certain nombre d’autres personnes, qui ont tiré des projectiles. Selon toute vraisemblance, elles ont agit de façon plus spontanée et dispersée surtout en fin de soirée.

Selon la police, les personnes ayant fait usage de violence ne représentaient tout au plus que 2% des manifestants.

Les forces de l’ordre

Les forces de l’ordre disposaient par ailleurs, d’un effectif de 6 000 policiers
et agents dont la grande majorité avait à sa disposition un des meilleurs équipements de protection qui soit, ainsi qu’une panoplie d’instruments de répression. Cela est quasi sans précédent au Canada.

Une semaine avant le Sommet, des responsables des forces policières ont passé en revue, dans les médias, l’éventail des moyens dont ils allaient disposer. Ils ont expliqué comment chacun de ces moyens devait se situer dans ce qu’ils ont désigné le « continuum de force ». (Le Soleil,14 avril 2001). Ils ont aussi présenté des informations partielles sur ces instruments, notamment sur l’Arwen 37 à balles de plastique.

Selon les déclarations de l’État-major et du ministre de la Sécurité publique du Québec, cette force avait été très bien préparée, entraînée, éduquée au respect des droits et étroitement encadrée. Elle pouvait compter sur les ressources de trois services de renseignements (SCRS, GRC, SQ). De plus, les porte-parole de la police avaient déclaré que tous les groupes susceptibles d’utiliser la violence avaient été infiltrés avant le Sommet. Par ailleurs, le ministre Ménard avait indiqué que les policiers avaient été entraînés à identifier rapidement, parmi la foule, les manifestants usant de méthodes violentes afin d’effectuer « des arrestations bien ciblées ». (Communiqué de presse, 30 mars 2001).

Intervention disproportionnée et niveau de force abusive

Au tout début des manifestations autour du périmètre, soit le vendredi après-midi, au moment même où la clôture est tombée, à l’intersection de René-Lévesque et Claire-Fontaine, nos observations nous amènent à évaluer que la police a généralement fait usage d’un niveau de force proportionnelle aux attaques, étant limitée à la protection immédiate du périmètre. Toutefois, après que la sécurité à l’intérieur du périmètre fut à nouveau assurée et que les manifestants l’eurent quitté, on a noté le recours à une utilisation disproportionnée et abusive de gaz, canon à eau et balles de plastique.

Dès le départ samedi, la police s’est montrée plus répressive. Elle a eu recours systématiquement à des volées continues de grenades lacrymogènes. Les gaz ont souvent été lancés à l’horizontale, contre des groupes de manifestants, à 20 mètres du périmètre comme à 300 mètres. Les policiers ont aussi tiré au hasard de plus en plus de balles de plastique, à la fois contre des manifestants lançant des projectiles et contre des manifestants tout à fait pacifiques. Ils ont utilisé régulièrement les canons à eau et, à l’occasion, une variété d’autres instruments de répression : fusils à gaz, poivre de Cayenne, etc.

Rien ne justifiait ce type d’intervention contre l’ensemble des manifestants.
Leur nombre s’était certes accru, mais la très grande majorité demeurait pacifique. La petite minorité de lanceurs de projectiles n’avait pas augmenté de façon notable. En aucun moment la sécurité du périmètre n’a été menacée et ce, malgré l’ouverture de quelques brèches.

Cette répression excessive s’est accentuée à la fin de la journée de samedi, pour atteindre son point culminant au moment où les forces policières décidaient de sortir du périmètre et de refouler les manifestants vers le bas de la Côte d’Abraham et dans les rues avoisinantes. Elles ont alors eu recours, de façon plus marquée, à des balles de plastique et à une très grande quantité de gaz lacrymogènes.

Durant la soirée de samedi, tout le quartier Saint-Baptiste a été abondamment gazé. Des centaines de balles de plastique ont été tirées, parfois à des centaines de mètres du périmètre. Cela s’est fait sans égard aux manifestants pacifiques et sans égard aux résidents du quartier, dont plusieurs ont été blessés, parfois sérieusement. En outre, en refoulant les manifestants dans la Basse-Ville, puis en les chargeant ensuite pour les disperser, la police a fait en sorte qu’un autre secteur de la ville soit à son tour abondamment gazé, en plein milieu de la nuit, et ce, sans aucun avertissement. On peut même aisément avancer l’idée que cette action policière a en quelque sorte précipité les quelques actes de vandalisme

Utilisation des gaz

Les grenades de gaz lacrymogènes ont très souvent été tirées de façon arbitraire et injustifiée, à un rythme dépassant par moment l’entendement. Selon les autorités policières, le nombre de grenades qui ont été utilisées s’élève à 5 148. Si l’on considère qu’elles ont été tirées sur une période d’activités totale de 26 heures, dont les deux tiers le samedi, cela donne une bonne idée de la fréquence des tirs.

La police a tiré des grenades de gaz de façon répétée, contre des manifestants pacifiques faisant des « sit-in » ou d’autres activités pacifiques, contre des manifestants qui obéissaient à un ordre de se disperser ou contre des groupes constitués surtout de spectateurs, et à des endroits éloignés du périmètre comme à l’intersection René-Lévesque et Cartier. Il y a eu des tirs fréquents à l’horizontale plutôt qu’à la verticale ; comme c’est la règle habituellement. Plusieurs personnes ont été blessées par ces tirs directs.

Les résidents des quartiers environnants, en particulier celui de Saint-Jean-Baptiste, et une partie des quartiers Montcalm et Saint-Roch, ont subi de fortes concentrations de gaz pendant une période assez longue. Cela en a obligé plusieurs à fuir leur demeure ou à subir divers malaises et problèmes de santé. Ni avant le Sommet, ni pendant, la police n’a clairement prévenu les résidents de l’utilisation des gaz lacrymogènes. Aucune information n’a non plus été diffusée au préalable, sur les effets nocifs et peut-être cancérigènes de ces gaz. Cela avait pourtant fait l’objet de diverses études, répertoriées entre autres dans le Rapport sur les technologies de contrôle des foules du groupe de Travail du Parlement européen. Il est à noter que plusieurs manifestants et résidents ont, dans les jours qui ont suivi le Sommet, fait état de divers problèmes de santé, suite à leur exposition à ces gaz.

Recours aux balles de plastique

Les balles de plastique, tirées par les Arwen 37 sont particulièrement dangereuses, voire potentiellement meurtrières, notamment lorsque cette arme est utilisée dans une foule. Avant le Sommet des Amériques, les porte-parole de la police avaient déclaré que cette arme serait la « dernière étape avant l’utilisation de l’arme mortelle », ne devant pas être utilisée pour le contrôle de foule, mais uniquement « contre des individus représentant une menace grave pour les policiers ».

Le nombre de 903 balles de plastiques montre à lui seul que cette arme dangereuse n’a pas été utilisée contre les individus représentant une menace grave pour les policiers. Elle a été utilisée contre des manifestants lançant des projectiles, contre des manifestants pacifiques qui se trouvaient aux environs de ceux-ci, contre des manifestants qui cherchaient à accrocher des banderoles ou des pancartes à la clôture du périmètre. Elle a été utilisée indistinctement samedi le 21 avril, surtout en fin de journée, pour disperser et intimider les manifestants.

De nombreuses personnes, dont des résidents du quartier Saint-Jean Baptiste, ont été prises pour cibles. Plusieurs ont été atteintes et on dénombre plusieurs blessés. Selon les équipes médicales en fonction ce soir-là et les témoignages que nous avons recueillis, leur nombre est supérieur à celui donné officiellement par la police. À ce sujet, il nous est apparu pour le moins étrange que le samedi, les porte-parole de la force policière aient été en mesure de donner des chiffres concernant le nombre de blessés chez les manifestants et les policiers, Le lendemain, ils se sont dit incapables de chiffrer le nombre de manifestants blessés, mais ils ont été tout de même en mesure de réviser à la baisse le nombre de policiers blessés ou incommodés, qu’ils avaient publié la veille.

Nos observations et certains témoignages recueillis permettentd’accréditer l’idée que certains policiers visaient délibérément la tête ou les parties génitales. Cette donnée est d’ailleurs à mettre en parallèle avec l’information communiquée par les responsables de la police et le ministre Ménard, voulant que tous les policiers, autorisés à utiliser les Arwen 37, étaient des tireurs d’élites et des instructeurs de tirs des divers corps policiers.

Les forces policières ont contrevenu de manière flagrante et massive aux
règles qu’elles s’étaient elles-mêmes publiquement fixées quant à l’usage cette arme. De surcroît, elles ne pouvaient ignorer les conséquences d’une utilisation abusive de cette arme. Les études abondent à ce sujet. D’ailleurs, c’est ce qui a amené le Parlement européen à adopter, dès 1982, une résolution interdisant leur utilisation sur son territoire, sauf pour des circonstances exceptionnelles. De même, en Colombie-Britannique, suite à l’enquête sur l’action policière lors des émeutes de la Coupe Stanley en 1994, la Commission de police recommandait que l’utilisation de l’Arwen 37 à balles de plastique, pour le contrôle des foules, soit reconsidérée et ne soit utilisée que par le SWAT, lors de la prise d’otages ou de situations similaires.

Au Québec, le rapport du Coroner suite à la mort de Philippe Ferraro, rappelait les règles d’utilisation recommandées par le fabricant et qui avaient été adoptées à Vancouver : être situé à une distance minimale de 20 mètres de la cible et ne jamais tirer à la tête ou au cou. Il s’agit là de règles pratiquement impossibles à appliquer dans le cadre d’une manifestation, même dans le cas où la police en ferait un usage parcimonieux, ce qui, à 63 l’évidence, n’a pas été le cas à Québec. C’est d’ailleurs pour ces motifs que le Comité contre la torture des Nations unies a réclamé à plusieurs reprises l’interdiction pure et simple de cette arme pour le contrôle des foules. Ce comité notait également que cette arme a souvent pour effet de provoquer une escalade de confrontation, au lieu de calmer les esprits.

Il apparaît clairement de nos observations que les responsables de la police ont autorisé l’utilisation de la force à des moments inappropriés, à des niveaux disproportionnés et abusifs et sans discrimination des cibles. Ils ont approuvé l’utilisation massive des gaz lacrymogènes, des balles de plastique et des canons à eau notamment, contre des manifestants pacifiques, contre des personnes qui n’avaient pas reçu d’ordre de se disperser ou qui étaient en train d’obéir à ces ordres et contre des personnes qui n’étaient même pas engagées dans des manifestations. Pour la police, la nécessité d’utiliser un certain niveau de force ne saurait justifier l’utilisation de tous les niveaux de force. De façon répétée, les tactiques choisies par la police n’étaient pas proportionnelles à la menace.

Devant cet état de fait, le pouvoir politique, est tout d’abord resté silencieux. Par la suite, il l’a tout simplement avalisé et cautionné. Le ministre de la Sécurité publique a même parlé de « nouveau standard international ».

Cas spécifiques de brutalité policières et autres cas d’abus

À ces abus généralisés, il faut ajouter un certain nombre de cas spécifiques de brutalité policière, ayant été directement observés par des membres du Comité de surveillance ou ayant fait l’objet de témoignages concordants.

Parmi la longue liste qui a été répertoriée, rappelons à cet effet, le cas du
jeune homme étendu par terre, couché en chien de fusil et immobile, à qui
un policier administre une décharge électrique avec un « stuntgun ». On peut
ajouter celui d’un manifestant saisi par la police, puis, jeté par terre, immobilisé par trois policiers, dont un lui donne un coup de pied dans les côtes alors qu’il est immobilisé et déjà menotté. Il y a aussi ce policier qui a lancé un nuage de gaz lacrymogène directement au visage d’un manifestant, alors qu’il était à moins d’un mètre de lui et ne faisait aucun geste menaçant à son endroit. Il y a également le cas de la jeune fille, faisant partie d’une « brigade de la paix » et qui est violemment projetée, face contre terre, par un policier, au point que ses lunettes l’ont blessée autour des yeux, et ce, parce qu’elle a demandé le motif de son arrestation.. Il y a ce jeune homme blessé par balle de plastique aux parties génitales, alors que ses amis ont vu distinctement, quelques secondes auparavant, le point rouge du laser utilisé la nuit, comme mire, par l’Arwen 37.

Par ailleurs, il est difficile d’avoir un tableau d’ensemble des arrestations. Nos observateurs étaient présents lors d’un certain nombre d’entre elles, mais il leur était difficile de connaître les motifs de ces arrestations, afin de les mettre en relation avec ce qui venait d’être directement observé. D’autre part, un grand nombre d’arrestations sont survenues tard dans la nuit, de vendredi à samedi et, surtout, de samedi à dimanche, alors que nos observateurs n’étaient plus en fonction.

Nous avons toutefois recueilli un bon nombre de témoignages faisant état de nombreuses arrestations apparemment injustifiées. Par exemple, les quelque trente arrestations survenues le dimanche matin, à « l’Îlot Fleuri », sous l’autoroute Dufferin de personnes qui y avaient dormi. Après avoir dansé autour d’un feu de joie pendant plusieurs heures, la police les a arrêtées. Ces personnes ont été accusées d’attroupement illégal. Selon les témoignages recueillis, aucun désordre ou risque de désordre tumultueux ne prévalait.

Des personnes ont aussi témoigné avoir été arrêtées alors qu’elles sortaient d’un restaurant ou en d’autres circonstances similaires. Certaines arrestations ont été effectuées par des policiers en civil dans de véritables opérations d’enlèvement dont la légalité demeure douteuse. Une telle technique d’arrestation soulève de nombreuses inquiétudes. D’autres nous ont rapportés avoir été arrêtées alors qu’elles obéissaient à un ordre de dispersion donné par la police. Plusieurs personnes ont également témoigné avoir été arrêtées, puis détenues pendant plusieurs heures, dans des autobus ou wagonnettes puis relâchées sans accusation, dans certains cas à proximité de la prison d’Orsainville.

Centre de détention et processus judiciaire

Ajoutons, à la suite du rapport d’observation à Orsainville, qu’à lui seul, le traitement des personnes arrêtées dans la section « poste de police » de la prison d’Orsainville constitue un véritable désastre du point de vue du respect des droits : le droit à la dignité, le droit d’être traité avec humanité, le droit à l’avocat et les autres garanties judiciaires ont été systématiquement violés. Comme l’a mentionné un manifestant qui y a été détenu, « la Charte des droits s’arrêtait aux portes du pénitencier » (Le Devoir, 27 avril 2001).

Comment expliquer de tels abus, si ce n’est que les forces policières responsables de la section poste de police à Orsainville ont cherché à humilier voire terroriser les personnes qui s’y sont trouvées ? Nous sommes enclins à accréditer une telle hypothèse, compte tenu que le ministre de la Sécurité publique du Québec a soutenu, à maintes reprises, que la réquisition de la prison d’Orsainville pour la détention des personnes arrêtées lors du Sommet des Amériques avait été prévue afin de s’assurer que ces personnes soient traitées « correctement et humainement ».

Finalement, il faut également noter que le caractère public du processus
judiciaire a été compromis lors des comparutions des personnes arrêtées. Les personnes qui se sont présentées au Palais de justice de Québec, le samedi 21 avril, pour assister aux comparutions par vidéo-conférences, se sont vues refuser l’accès par les gardiens enservice à ce moment, avant même qu’on ait vérifié auprès d’elles leur volonté de satisfaire à l’exigence de s’identifier. Certaines de ces personnes ont pu entrer finalement dans la salle d’audience après qu’un avocat eut soumis qu’il s’agissait d’étudiantes en droit.

Conclusion et recommandations

Une réparation juste et convenable

Tous les instruments internationaux et nationaux de protection des droits fondamentaux prévoient que les personnes dont les droits et libertés ont été violés ont droit à une réparation à une réparation juste et convenable. Ainsi,
en vertu de l’article 49 de la Charte québécoise, Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice
moral ou matériel qui en résulte ». L’article 24 (1) de la Charte canadienne stipule pour sa part que :« Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». Finalement, l’article 2, al. 3 du Pacte est à l’effet que : « Les États partie au présent Pacte s’engagent à garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.

Les violations aux droits fondamentaux des personnes arrêtées et détenues ont été si massives et systématiques qu’elles doivent donner lieu à une réparation juste et convenable, c’est-à-dire proportionnelle à l’ampleur des violations et des préjudices subis. Cette réparation doit refléter l’importance des droits en jeu et compenser pour les préjudices subis.

La violation du droit à la liberté d’expression de la population canadienne et
de celle des manifestants doit aussi être compensée de même que le droit à
la santé et à la sécurité de la personne.

Eu égard à l’ampleur de la violation des droits fondamentaux et eu égard aux circonstances décrites dans le présent rapport, non seulement des réparations s’imposent, mais elles doivent prendre diverses formes :

1.Abandon des procédures pour toutes les personnes inculpées ou accusées ;

2.Destruction des fichiers de toutes les personnes arrêtées qu’elles aient fait ou non l’objet de poursuites ;

3.Reconnaissance publique par les autorités concernées de la violation des droits fondamentaux, comme ce fut le cas à la suite des événements survenus à la Prison pour femmes de Kingston)4 ;

4.Dédommagement pour les préjudices matériels et moraux subis par l’ensemble de la population, par les résidents de la Ville de Québec, par les manifestants et par les personnes blessées, arrêtées ou détenues5.

Demande d’enquête à la Commission interaméricaine des droits de l’Homme

La nécessité d’une enquête publique indépendante sur les abus et violations des droits et libertés découlant de l’intervention policière lors du Sommet des Amériques s’impose. Cette enquête devra permettre de faire la lumière sur chacun des éléments constitutifs qui ont conduit à cette situation, dont la planification des mesures de sécurité pour le Sommet, ainsi que sur la responsabilité respective des autorités policières et des autorités politiques tant québécoises que canadiennes.

Une simple enquête administrative, comme celle demandée par le ministre de la Sécurité publique du Québec, apparaît largement insuffisante compte tenu de l’ampleur des violations commises et de la nature même de ces violations. D’emblée, il est permis d’affirmer que la GRC et les autorités fédérales n’accepteront jamais de se soumettre à une telle démarche. De plus, l’enquête qui doit être menée, doit garantir le droit de comparaître et assurer l’allocation des ressources financières nécessaires à une représentation effective à toutes les parties intéressées, dont, les résidents de Québec, les manifestants, les personnes arrêtées, les organisations de défense des droits, etc.

Dans le contexte, il semble judicieux de demander à la Commission interaméricaine des droits de l’homme de mener cette enquête, puisque celle-ci a pour mandat la défense et la promotion des droits humains dans le cadre du système interaméricain. De plus, la Commission interaméricaine est un organisme crédible et indépendant qui pourrait garantir à toutes les parties intéressées le droit de comparution lors de l’enquête. Soulignons à cet égard, qu’il y a à peine un an, elle a réalisé une enquête fort probante sur la situation des droits des demandeurs d’asile dans le système canadien de détermination du statut de réfugié.

Les conclusions de l’enquête pourraient également avoir un impact important sur les sommets à venir qui seront organisés dans le cadre du processus d’intégration continentale.

Interdiction immédiate de l’usage des balles de plastique comme
technique de contrôle de foule

En ce qui concerne le recours aux balles de plastique et autres armes
similaires, il n’y a nul besoin d’attendre les résultats d’une enquête publi
que pour demander dès maintenant l’interdiction formelle de leur utilisation, dans le cadre d’actions de contrôle des foules. Les nombreuses études sur la très grande dangerosité de cette arme dans ce contexte, les interdictions ou demandes d’interdiction déjà adoptées par diverses instances nationales ou internationales indiquent clairement qu’il n’y a pas lieu de tergiverser à ce sujet. Le Solliciteur général du Canada et le ministre de la Sécurité publique du Québec devraient prendre action à sujet dans les meilleurs délais.

Demande d’information publique sur l’ensemble des armes utilisées pendant le Sommet

Le Solliciteur général du Canada, le ministre de la Sécurité publique du Québec ainsi que les ministres québécois et canadien, chargés du dossier de la santé, devraient rendre publique toute l’information relative aux composantes chimiques de ces gaz et à leurs effets. Ils devraient le faire dans l’intérêt des résidents de Québec et des manifestants qui ont été soumis à de fortes concentrations de gaz lacrymogènes et autres gaz potentiellement dangereux pour la santé, Il y a encore beaucoup d’inquiétude chez les personnes ayant été soumises à ces gaz et de nombreux témoignages faisant état de problèmes de santé sérieux et persistants. Puisque la GRC affirme ne pas disposer d’information à ce sujet et que fabricant des gaz utilisés à Québec refuse d’en dévoiler la composition, il est de la responsabilité des autorités politiques responsables de la supervision de la police d’informer les populations concernées.

Arrêt de la course aux armements

Une vaste panoplie d’instruments de répression a été utilisée par la police à
Québec : gaz lacrymogènes, fusils à gaz, poivre de Cayenne, canons à eau, Arwen 37 à balles de plastique, « stuntgun », « noise gun », etc. Divers témoignages laissent entendre que d’autres armes, jusqu’ici non identifiées, ont également été utilisées. Non seulement il nous apparaît clair qu’il faut marquer un temps d’arrêt dans cette « course aux armements », mais nous estimons que l’ensemble des personnes qui ont été soumises à l’effet de ces armes, de même que la population en général, ont le droit de connaître ces diverses armes, leur composition chimique le cas échéant, leur degré de dangerosité, les conditions dans lesquels les autorités entendent les utiliser, ainsi que leurs effets possibles sur la santé des gens. Il est de la responsabilité des forces policières et des autorités politiques, de dévoiler l’inventaire de ces armes ainsi que l’ensemble de l’information s’y rapportant.

Pour télécharger le rapport complet.

Notes

4- Déclaration du Solliciteur général sur le Rapport de la Commission Arbour, Ottawa, 1er avril 1996, p. 2 : « aux femmes dont les droits ont été violés au cours des événements du 26 avril 1994 et de l’isolement préventif prolongé qui a suivi, je tiens, au nom du gouvernement du Canada, à transmettre ses plus sincères excuses pour tout ce qu’elles ont dû endurer ».

5- Pour ce qui est des personnes arrêtées et/ou détenues, le précédent établi lors de la Crise d’octobre 1970pourrait être mis à profit.

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