Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Contre l’austérité

Je ne suis plus indigné

En 2011, le mouvement des Indignés a ranimé ma flamme de militant. Avec eux, je me suis offusqué face aux conséquences inhumaines des politiques néolibérales. Porté par cette indignation, lors du Printemps Érable je me suis joint à un mouvement de quelques centaines de professeurs qui appuyaient activement les revendications étudiantes. Par la suite, mon indignation s’est manifestée de multiples façons... À l’aube d’une nouvelle ronde de négociations entre les syndicats de travailleurs du secteur public et le gouvernement, je fais le point : Qu’en est-il de mon indignation ? Où en suis-je par rapport aux politiques néolibérales ? Jusqu’où ira mon appui à mon syndicat ? Qu’en sera-t-il de ma participation aux différents moyens de pression ? Enfin, que peut-on attendre de tout ce processus ?

Premier constat, je ne suis plus indigné. Ce sentiment s’est tari. Face à l’obstination et à l’aveuglement de ceux qui mettent en pratique des politiques néolibérales, je pense avoir épuisé mon capital d’indignation. Devant l’appauvrissement de la société québécoise, devant l’accroissement de l’écart entre le 1% le plus riche et le reste de la population, devant l’endettement endémique, devant la propagande creuse, devant le recul de nos droits et libertés, devant la violence répressive, l’indignation s’est métamorphosée en révolte.  

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À la fin des années 70 et au début des années 80, la CSN adoptait une approche moins dialectique, plus conciliante à l’égard des boss. En diminuant les tensions, en pacifiant les luttes, on espérait permettre des milieux de travail moins tendus et des progrès qu’un syndicalisme de combat n’avait pu obtenir.
Si de nombreux gains ont été réalisés dans les différents milieux de travail, d’une façon globale je fais trois constats :

  Depuis le début de ma carrière, il y a plus de vingt ans, la charge de travail a augmenté peu à peu et les conditions de travail se sont détériorées ;
  Mon droit de grève a perdu toute signification ;
  Ma participation à l’enrichissement collectif recule.
 
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À peu près à la même époque, les partis politiques ont commencé à se convertir à l’idéologie du néolibéralisme (ou le néo-conservatisme, si vous préférez). Cette système de représentation se drape d’un certain pragmatisme et procède régulièrement à de grandes coupes dans les services publics au nom d’une rigueur budgétaire. Une des caractéristique de cette idéologie est de faire croire qu’elle n’en est pas une. Et pourtant ! L’histoire des négociations dans le secteur public depuis le milieu des années 80 en fournit de nombreux exemples : les décrets, les limitations du droit de grève et les nombreux épisodes de compressions témoignent d’un dispositif déterminé par une logique impitoyable.

Devant la perspective d’une ronde de négociations décevante, beaucoup ressentent de la peur qui donne lieu à un sentiment d’impuissance. Il est important de se rappeler que cette peur et ce sentiment d’impuissance ont été semés en nous par cette idéologie pernicieuse. Les dispositifs néolibéraux ont été conçus très précisément pour nous inquiéter. Les tentacules de la bête néolibérale affectent même nos perceptions et notre façon de penser nos luttes. Autrement dit, cette machine puissante veut nous laisser croire que nous, travailleurs, nous n’y pouvons rien. Par divers procédés menaçants, on atomise les individus et on s’assure de leur bonne résignation. 

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Ayant intériorisé ce sentiment d’impuissance, de nombreux camarades nous invitent à penser à des moyens de pressions originaux et pacifiques. On parle de zèle, de tenue vestimentaire fantaisiste, de casseroles, de lettres de protestation, etc. On veut influencer positivement l’opinion publique, on ne veut pas prendre les étudiants (la population) en otage, on ne veut pas se tirer dans le pied, etc. Faudra-t-il donc avoir recours à tous ces moyens de pressions ? Vraisemblablement. Nos assemblées syndicales refuseront d’esquiver une ou l’autre des étapes du processus. Mais que peut-on en attendre ? De tels moyens de pression seraient peut-être suffisants si on ne faisait face à une idéologie impitoyable qui fait semblant de ne pas en être une. Hélas, la propagande néolibérale a produit son effet ! Lorsqu’on réfléchit à des moyens de pression de ce genre, souvent, c’est pour trouver une voie d’évitement à la grève parce qu’on y a déjà renoncé au moins implicitement. On s’est résigné à admettre une certaine rhétorique antigrève. Comment gagner une bataille lorsqu’on se résigne d’entrée de jeu ? Que peut bien être un rapport de forces lorsqu’on renonce à l’usage de la force avant même le début du processus ?

Je ne remets pas en question l’efficacité des moyens de pressions « légers ». Dans certaines situations ils sont tout-à-fait appropriés. Mais dans le cadre d’une bataille contre une idéologie qui cherche à mettre à mal les services publics à tout prix, je doute qu’ils engendrent des effets spectaculaires. Au mieux, les boss verront nos moyens de pression « légers » comme le signe de notre mobilisation et de notre détermination. Pourtant, ils ne reculeront pas. Pour faire échec à l’idéologie néolibérale et à ses dispositifs une force et une solidarité exemplaires seront nécessaires. La force d’une grève, généralisée, sociale, qui dira au gouvernement notre opposition à son projet socioéconomique barbare et notre résolution à obtenir satisfaction dans nos revendications.

Autrement dit, nous sommes actuellement prisonniers du système de négociation du secteur public. Nous cherchons à ne pas prendre les autres en otages sans nous rendre compte que nous le sommes nous-mêmes ! Pour espérer faire des gains appréciables, nous devons tout d’abord abandonner cette attitude résignée vers laquelle la mécanique néolibérale nous entraîne. Nous devons reconnaître cette idéologie là où elle se cache, la critiquer et la dénoncer. Il nous appartient de nous libérer de cette forme de servitude volontaire en refusant de nous laisser entraîner dans les méandres de sa logique stérile. 
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Je ne suis plus indigné. Mais je ne suis pas résigné. Bien au contraire. Plus que jamais on doit s’engager dans la lutte contre la barbarie institutionnalisée. Cela dit, il ne faut pas se compter d’histoire, cette fois-ci, la lutte sera ardue. On se retrousse les manches ?
 
Martin Godon,
Département de philosophie,
Cégep du Vieux-Montréal.
 
 
 
Pour en savoir plus…

…à propos du néolibéralisme : http://www.toupie.org/Dictionnaire/Neoliberalisme.htm
…à propos de la distribution de la richesse à l’ère du néolibéralisme : http://www.broadbentinstitute.ca/sites/default/files/documents/distribution-richesse-fr-final.pdf
ainsi que : http://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2014/08/Reprise-Enrichissement-WEB.pdf
 …à propos des coupures dans les services publics : http://www.nonauxhausses.org/wp-content/uploads/DocmentCampagne-10-milliards_WEBseptembre2014.pdf
…à propos de l’état de nos conditions de travail, un texte de 2008 : http://www.fneeq.qc.ca/fr/cegep/Textes_telecharges/ComiteParitaireProfENSMars2008_Vers_finale.pdf

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