Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

L’État canadien, acteur et victime dans la nouvelle guerre froide

Depuis déjà quelques années, les États-Unis ont entrepris une vaste réorganisation de leurs stratégies pour faire face à l’« adversaire principal » qui est maintenant la Chine. Le centre de gravité géopolitique est devenu le vaste territoire de l’Asie-Pacifique. Les États-Unis y disposent d’importantes bases militaires, notamment au Japon, en Corée du Sud, aux Philippines, qui constituent autour de la Chine un gigantesque anneau de fer. Pour l’administration, le Pentagone et la CIA, il faut bloquer tout de suite l’avancement de la Chine, car d’ici 30 ans, elle aura atteint le seuil de parité sur le plan militaire. Il y a donc selon les stratèges américains une « fenêtre » d’opportunités, avant qu’il ne soit trop tard.

Le redéploiement militaire n’est qu’une partie du nouveau « grand jeu ». Il est nécessaire pour les États-Unis de freiner les efforts de Beijing pour s’introduire dans le domaine réservé de la haute technologie, de l’intelligence artificielle et du spatial, domaines où la Chine a fait de grands pas, tout en restant le centre économique le plus dynamique du monde.

Les ambitions américaines sont cependant minées par plusieurs contradictions reflétant la fragilité, voire le déclin de leur empire. Compte tenu des échecs retentissants des États-Unis au Moyen-Orient et en Afghanistan, on sent à Washington les hésitations de se lancer dans une nouvelle aventure. Fanfaronner y compris avec des manœuvres militaires au large de la Mer de Chine est une chose, développer une stratégie pour réellement affaiblir la Chine est une autre chose. Opérationnaliser la guerre via des relais locaux, comme cela a été fait en Afghanistan ou en Irak, n’est pas facile, même s’il est possible d’utiliser les fissures dans le dispositif politico-militaire chinois (notamment Taiwan, le Tibet, le Xinxiang). En fin de compte, la puissance de la Chine appuyée par un Parti/État solide et expérimenté réussit, du moins jusqu’à date, à contrôler les tensions.

Par ailleurs sur le plan économique, les États-Unis ne disposent pas d’une réelle stratégie pour contenir les ambitions chinoises. Les sanctions commerciales et technologiques ne peuvent pas être utilisées sans nuire à l’économie américaine elle-même, profondément imbriquée avec la Chine. D’autre part, la progression fulgurante de la Chine sur la scène mondiale via les investissements considérables en Asie, en Afrique et en Amérique latine, de même que le méga projet de la nouvelle « route de la soie », font en sorte que la Chine est déjà la deuxième superpuissance.

Devant tout ce tumulte, l’État canadien a peu de moyens. Son traditionnel rôle d’allié-subalterne est fragilisé.

Les États-Unis n’ont plus vraiment besoin d’un « honnête courtier » agissant selon les aléas du moment en un relais parfois utile pour les États-Unis. D’autre part, la subordination économique a atteint un tel niveau (dans le sillon de l’Accord de libre-échange) que le Canada n’a même plus cette « autonomie relative » dont Trudeau (papa) avait rêvé.

C’est dans ce contexte qu’on peut mieux comprendre l’affaire Huawei. La détention à Vancouver pendant trois ans de Meng Wanzhou, la responsable financière de la gigantesque entreprise, a été programmée par les États-Unis invoquant leur « droit » de pénaliser leur adversaire chinois, surtout dans un domaine aussi sensible que l’informatique de haut niveau. Des responsables canadiens impliqués dans la politique extérieure ont tenté de dénouer cette histoire, mais ils ont été censurés par le gouvernement Trudeau. Le tout s ‘est soldé la semaine passée entre Washington et Beijing dans un deal plutôt obscur, ce qui s’est immédiatement traduit par la fin des procédures canadiennes. Il est devenu très clair pour l’une et l’autre des deux superpuissances que le Canada ne devait ni ne pouvait jouer dans la cour des grands.

Au total, la place du Canada sur l’échiquier mondial est en chute rapide, et ce n’est pas principalement à cause de l’ineptie du gouvernement Trudeau (cela serait la même chose, ou pire encore, avec un gouvernement conservateur). En Europe, en Amérique latine, en Asie et même aux Nations-Unies, le Canada n’est plus dans la course.

Pour le moment, cette situation n’est pas encore critique. Pour reprendre la formulation de Denys Arcand, c’est le « confort et l’indifférence ». La bourgeoisie canadienne et Québec Inc. continuent leur business as usual totalement imbriqués dans le circuit capitaliste nord-américain et globalement coincés dans un rôle de fournisseur de matières premières. À moyen et long terme cependant, cette situation est périlleuse.

Tout cela se traduit par une crise politique larvée à travers une gouvernance fragilisée et des gouvernements canadiens minoritaires qui pourraient le rester assez longtemps, incapables de réinventer un projet hégémonique.

L’État canadien dès son origine a été érigé sur des fondations fragiles, face aux menaces centrifuges de toutes parts, aux revendications québécoises et aux conflits latents avec les peuples autochtones. Dans une large mesure, cette gouvernance bric-à-brac tenait le coup dans l’ancienne polarisation est-ouest. Mais aujourd’hui, les conditions ont changé.

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