Édition du 30 avril 2024

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Revue Relations

Nouveau numéro de la revue Relations

L’Inde, terre de luttes et d’espoirs

Véritable sous-continent, l’Inde est avec son 1,2 milliard d’habitants le 2e pays le plus populeux du monde – mais selon toute vraisemblance, elle détrônera la Chine au 1er rang dans moins d’une décennie. L’Uttar Pradesh, l’un des 35 États de la fédération indienne, à lui seul, compte une population de 200 millions d’habitants, ce qui le placerait au 5e rang mondial s’il était une nation. En plus des deux langues nationales, l’hindi et l’anglais, l’Inde a 21 langues officielles (divisées principalement en trois groupes linguistiques : indo-aryen, dravidien et tibéto-birman), qui varient selon les États. C’est sans compter les milliers de dialectes qu’on y parle.

Cette extraordinaire diversité s’exprime aussi dans le domaine religieux. En plus d’une forte majorité hindoue (80 %), elle-même divisée en une multitude de sectes, l’Inde possède aussi une importante minorité historique musulmane (entre 160 et 170 millions de personnes), qui en fait le 3e pays musulman dans le monde après l’Indonésie et le Pakistan. Viennent ensuite les sikhs (concentrés au Pendjab) et les chrétiens, tous deux constituant 2 % de la population et, en nombre moindre, les bouddhistes, les zoroastriens, les juifs et autres adeptes des quelque 1700 religions recensées en Inde.

Par sa richesse culturelle, spirituelle et religieuse millénaire, l’Inde a depuis longtemps fasciné l’Occident. Mais à l’ère de la globalisation, ce qui attire le plus souvent les regards des médias, c’est sa croissance économique exceptionnelle, mesurée à l’aune du PIB, qui la fait émerger comme une puissance mondiale de plus en plus incontournable. Ce n’est pas de cette « Inde qui brille », marquée du blanc-seing des institutions financières internationales, dont parle ce dossier, sinon en arrière-plan. Mais de l’Inde des déshérités, des opprimés, des dépossédés, celle des 900 millions d’Indiens et d’Indiennes vivant avec moins de 2 $ par jour (dont 600 millions avec moins de 1,25 $ par jour), selon la Banque asiatique de développement. Cette Inde sacrifiée sur l’autel d’un développement ne visant que l’enrichissement boulimique d’une infime élite.

Le « miracle » indien est le plus souvent un mirage. Dans les campagnes, où vit 70 % de la population, mais aussi dans les villes, même si elles hébergent la grande partie de la classe moyenne (10 % de la population). Aux côtés de la trentaine de villes indiennes de plus d’un million d’habitants (dont 3 de plus de 10 millions : Mumbai, Kolkata et Delhi), on compte une vingtaine de bidonvilles de plus de 200 000 habitants ; le plus imposant, Dharavi, à la périphérie de Mumbai, en entasse un million. Voilà les destinations privilégiées de l’exode rural.

Ce sont là les fruits empoisonnés du virage néolibéral qu’a négocié l’Inde dans les années 1990, sous les directives du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Le gouvernement n’a pas seulement tourné le dos à l’État social, mais il a précarisé l’agriculture paysanne au profit de l’agriculture intensive, axée sur l’exportation et les OGM, une véritable catastrophe pour une population à grande majorité rurale. Aux faillites massives d’agriculteurs se sont ajoutés des problèmes comme la déforestation, l’expropriation de terres agricoles (environ 2 millions d’hectares entre 1990 et 2008), le déplacement massif et forcé de populations, sans parler des problèmes liés à l’eau, cruciaux dans un pays qui abrite le cinquième de la population mondiale mais à peine 4 % des réserves d’eau douce. Notons en particulier la contamination des eaux de surface et le tarissement des nappes phréatiques – notamment au Pendjab, considéré comme le grenier de l’Inde.

Le fossé abyssal qui se creuse entre les riches et les pauvres alimente une véritable poudrière sociale. En plus des multitudes de mouvements sociaux résistant à la dépossession et à l’exploitation, on assiste à la radicalisation des luttes de type guérilla dans les régions montagneuses, riches en forêts et en minerais. On observe aussi l’instrumentalisation des tensions interethniques et religieuses qui s’exprime par la multiplication d’émeutes et la disparition des zones de mixité, notamment entre hindous et musulmans – ces derniers se réfugiant dans des ghettos. Le fait qu’un parti ultranationaliste, alliant idéologie néolibérale et fondamentalisme hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP), ait raflé la majorité des sièges au Parlement lors des élections de mai dernier, n’a rien pour rassurer. Ni le fait que son chef, le populiste et très controversé Narendra Modi – accusé d’incitation à l’émeute contre des populations musulmanes –, se retrouve premier ministre de l’Inde, d’ailleurs. Tout le monde s’attendait à cette victoire, devant la grogne populaire que suscitait le Congrès national indien, principale composante de la coalition précédemment au pouvoir et devenu le symbole de la corruption systémique de l’État indien. Mais la plupart se consolaient en pensant que le BJP serait minoritaire et allait devoir s’allier à d’autres partis pour gouverner, ce qui ne sera pas le cas. Cette victoire consacre ainsi la fuite en avant dans les recettes néolibérales qui sont une des importantes sources des problèmes brûlants de l’Inde d’aujourd’hui. Il n’est donc pas étonnant qu’on en vienne à exacerber politiquement le sentiment ethnique et religieux afin de détourner de la sphère politique la révolte des pauvres, de plus en plus laissés à eux-mêmes.

Le riche héritage culturel et spirituel de l’Inde, ainsi que sa longue tradition de luttes sociales et politiques non violentes, nous font cependant garder un regard confiant sur ce géant pris dans la tourmente. Les convulsions sociales dont ce pays est le théâtre sont à n’en pas douter le prélude à de nouvelles naissances, comme l’Inde l’a démontré tout au long de son histoire. Le courage quotidien, la force tranquille, la joie de vivre et la fréquentation familière avec le divin dont le peuple indien est le témoin admirable couvent mille promesses d’humanité. Elles sont déjà en germe, notamment dans le projet de réforme agraire et foncière en vue de faire justice aux millions de paysans sans terre, dans la démocratie villageoise participative et dans l’agriculture biologique et la protection de la biodiversité qui font rager les Monsanto de ce monde.

Notes

Ce texte est tiré du nouveau dossier de la revue Relations intitulé « L’Inde, terre de luttes et d’espoirs » (no 773, août 2014) présentement en kiosque. Presse-toi à gauche poursuit une collaboration avec la revue Relations de façon à élargir les débats qui y sont présentés et les partager à son lectorat. Nous accueillons cette fois un texte de son rédacteur en chef, Jean-Claude Ravet, qui ouvre le dossier.

Le site de Relations : www.revuerelations.qc.ca

Jean-Claude Ravet

Auteur de la revue Relations.

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