Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Quelques réflexions sur le bilan Solidaire de la campagne électorale

L’électoraliste « bonne gouvernance » a fait le jeu du PCQ et du PQ

« ...l’importance capitale qu’aura eue la pandémie sur celle-ci, et ce à plusieurs niveaux. [...] Il faut tout de même se questionner sur ce qui a permis l’émergence aussi rapide de ce parti de droite [PCQ] »

Malgré sa mauvaise campagne, la CAQ a pu quelque peu accroître son score électoral, mais de beaucoup son nombre de députés par la magie le système de vote unilatéral à un tour, grâce à son bilan pandémique jugé positif par la majorité francophone. Québec solidaire (QS) n’a pas su, d’un, critiquer sa gestion « sauver l’économie » aux dépens de la population à commencer par les « travailleuses essentielles » dont une forte proportion de personnes racisées, une des pires performances parmi les provinces canadiennes ; de deux, lui opposer une stratégie dite covid zéro mobilisant population et lieux d’hébergement et faire cesser toute activité non essentielle, ce qui était la stratégie la plus efficace jusqu’à la généralisation de la vaccination, puis imposer le maintien du masque dans les lieux publics fermés, et l’obligation de la ventilation des bâtiments.

Le PCQ a su au contraire, avec sa thématique réactionnaire de la « liberté » et grâce à toute une série de manifestations anti-vax où il était partie prenante jusqu’au paroxysme du « convoi de la liberté » se démarquer clairement de la politique covid de la CAQ. Pour contrer à gauche la politique « sauver l’économie » de la CAQ, QS aurait pu incarner le pôle solidarité afin de neutraliser le pôle droitiste « liberté ». Le PCQ, en prolongeant sa lancée par une rhétorique anti-taxe et anti-gouvernement, en a récolté les fruits électoraux avec une progression des votes nettement supérieure à celle de la CAQ, et évidemment de QS qui recule, malgré que le PCQ eut été la principale victime du système uninominal à un tour ne récoltant aucun député avec 13% du vote.

« Il est également à souligner que beaucoup de nos propositions sont apparues comme étant très complexes. [...] ...des mesures de notre plan pourraient créer des crises sociales du genre « gilets jaunes ». Le bonus-malus sur l’achat de véhicules polluants a été utilisé comme épouvantail... [...] Notre proposition d’impôt sur les grandes fortunes est probablement celle qui a retenu le plus d’attention et qui a été au cœur de la critique de nos adversaires. »

« [U]n système de bonus-malus régionalisé » est en effet inutilement complexe surtout quand il est destiné à une population des banlieues et des régions dépourvues de transport en commun fréquent, rapide, abordable et confortable. Une réaction « gilets jaunes » aurait pu en découler. Cette faille de la plateforme provient du refus de Québec solidaire de choisir stratégiquement, vis-à-vis la question clef du transport qui structure l’aménagement urbain, entre auto privée et transport en commun pour plutôt promouvoir l’auto électrique par les bonus-malus contre l’auto à essence avec un supplément de transport en commun et de transport actif.

La réduction des GES de 65% et non de 55% d’ici 2030, soit l’objectif du GIEC en tenant compte des principes de Rio (responsabilité historique et capacité de payer) exige de donner la priorité à la sobriété et à l’efficacité énergétique. Comme le véhicule privé et la maison unifamiliale et en rangée, et leur corollaire d’étalement urbain, sont la source de la consommation de masse, de l’endettement des ménages et de l’idéologie du chacun pour soi de la propriété privée, Vision 2030 aurait dû avoir le courage politique d’interdire l’usage des premiers d’ici 2030 et la construction des secondes dès maintenant.

Le terrain aurait été dégagé pour leur substituer une vision d’aménagement du territoire de zones urbaines densifiées assises sur des bâtiments écoénergétiques y compris la réhabilitation des anciens, dont une majorité de logements sociaux y compris le rachat de logements privés et rénovés, avec des services de proximité et des zones vertes dont l’agriculture urbaine. L’ensemble serait relié par du transport actif et collectif gratuit (avec un complément d’autopartage), et par des circuits courts à des zones d’agrobiologie végétarienne afin de maximiser la reforestation et l’accès à la nature.

Ainsi naîtrait une société axée sur la reproduction sociale, dont le « prendre soin » écoféministe et autochtone est le cœur. La production matérielle, au cœur de la plus-value capitaliste, en plus d’être minimisée par la disparition de la consommation de masse serait battue en brèche par l’interdiction de l’obsolescence planifiée et une obligation pour les entreprises d’efficacité énergétique et de production circulaire. Dans sa rencontre avec le Premier ministre pour bonifier le plan tout électrique de la CAQ, le porte-parole de QS était loin du compte. Il a tout simplement proposé une électrification plus rapide des véhicules, de la climatisation et de l’industrie... en plus de maintenir au niveau prépandémique le transport collectif sans autre bonification pourtant mise en vedette dans Vision 2030 et lors de la campagne électorale.

En découle une obligation de contribution fiscale à la hauteur. La proposition Solidaire tant décriée était un minimum auquel on aurait dû ajouter l’imposition de 100% des surprofits de la pandémie et ceux dus à la hausse des prix. QS réclamait une hausse progressive pour le 5% d’individus ayant cumulé au moins un million $ moins leurs dettes et par ceux gagnant plus de 100 000 $ l’an. Il aurait fallu ajouter l’obligation de déclarer les sommes détenues dans les paradis fiscaux faute d’être saisies lors de leurs « découvertes ». Les grandes entreprises auraient vu hausser l’impôt sur leurs profits à ce qu’il était en l’an 2000 et rétablir l’impôt sur le capital. Pour prendre soin correctement des gens et de la terre-mère, en fait pour éviter la catastrophe civilisationnelle de la terre-étuve, c’est la moindre des choses que les plus riches paient la part qui était la leur dans les années 1980. Ça va faire leurs pleurnichages et celles des petits millionnaires commentateurs des grands médias à leur solde !

« Plusieurs ont fait remarquer le peu de place qu’a pris l’indépendance dans notre campagne. »

C’est là un euphémisme ! La campagne Solidaire a jeté aux poubelles la vision stratégique du parti. La raison la plus immédiate en est le recentrage électoraliste, dût-il être de centre gauche, soit se présenter non pas comme le parti de l’alternative mais comme celui de la bonne gouvernance. Lors de l’élection de 2018 rien n’y parut étant donné l’abandon de l’indépendance par le PQ de Lisée et l’alibi Option nationale qui venait de fusionner avec QS. Cette fois-ci, le désespéré PQ de Plamondon a occupé tout le terrain souverainiste à nos dépens et par notre faute avec en prime la bêtise de notre candidate de la circonscription Camille-Laurin qu’il a fallu débarquer pour vol de dépliants laissant ainsi toute la place au chef du PQ qui a pu s’y faire élire contre le seul député de la CAQ qui a perdu son siège.

La cause fondamentale est cependant ailleurs. L’ensemble de la plateforme électorale de centre-gauche n’a nullement besoin de l’indépendance pour se réaliser. Un « bon » gouvernement provincial y suffirait... si l’on ignore les rapports de forces socio-économiques. Tout juste cependant car on pourrait plaider que la somme toute modeste réforme fiscale Solidaire, quoi qu’en dise la direction du parti, aurait pu entraîner une fuite des capitaux qui n’aurait rencontré aucun obstacle dans le marché commun canadien et dans la zone libre- échangisme de l’ACEUM. Par contre, la mise en branle d’un plan Vision 2030 qui instaure une société antimatérialiste, donc anticapitaliste, de prendre soin, seule capable d’arrêter la spirale mortifère de la catastrophe climatique et de celle de la biodiversité requiert impérativement la rupture avec l’axe fédéral-finance-hydrocarbure Ottawa-Toronto-Calgary et son méprisant et politiquement paralysant Québec bashing. En découle la nécessité du contrôle populaire de l’épargne nationale.

« Le professionnalisme et la discipline de nos équipes électorales locales et nationales ont été soulignés par de nombreux observateurs de la politique québécoise. [...] ...des gens ont souligné le caractère cérébral de notre campagne... [...] ...réfléchir ensemble aux moyens de dialogue entre les campagnes locales et la campagne nationale. »

Cette campagne a été un triomphe de la machine électorale verticaliste. La machine n’a plus rien à apprendre des partis traditionnels, bien au contraire. Toute trace de faire la politique autrement est disparue. On en constate le piteux résultat. Avant même le départ de la campagne, la députée au style le plus iconoclaste avait déclaré forfait... sans qu’on en creuse les raisons autres qu’invoquer les éternelles motifs personnels. La candidate qu’elle appuyait pour la remplacer a été écartée par la direction en faveur d’un candidat très qualifié qui l’a emporté puis est devenu député dans ce comté bastion du parti. Conséquence : une femme de moins, un homme de plus.

Une autre candidate a perdu son comté, la/le seul/e et une première dans l’histoire du parti. Elle a été le fer de lance pour dénoncer la pollution hors norme de la fonderie Horne de Glencore. Ça s’imposait... mais il fallait tenir compte de l’effet sur les travailleurs qui risquaient leurs emplois en cas de fermeture. Nenni. Le parti a laissé tomber et la députée, qui faisait face à un ralliement des Libéraux vers la CAQ, et le syndicat et les travailleurs en refusant de garantir des emplois de remplacement soit par l’expropriation de la fonderie remise au niveau soit, par exemple, par leur recyclage dans la réhabilitation écoénergétique des bâtiments de l’Abitibi ou la construction de logements sociaux écoénergétiques. Une autre femme de perdue.

À Montréal, c’est kif-kif pour la nouvelle députation de Verdun et Maurice-Richard. Ce qui résulte à la fin en un fort éloignement de la parité, de 5/5 de 2018 à 7/4 de 2022. Si le parti gagne la partielle du comté St-Henri-Ste-Anne ce printemps — pour le plus grand soulagement de la direction du parti qui se verra pardonner sa piètre campagne électorale — en résultera une représentation homme qui serait le double de celle des femmes. Pourquoi diable, le parti n’a-t-il pas lancé un cri d’alarme aux membres du comté pour les inviter à choisir une femme. Bien sûr, l’ancien candidat bien qualifié voulait se réessayer. Encore une fois, les femmes prennent le bord. Le peuple québécois a l’habitude de cette réalité. À Ottawa, il prend souvent le bord. Soit dit en passant, il n’est pas encore trop tard pour bien faire, quitte à faire amende honorable et en espérant la compréhension du candidat qui n’est certainement pas un carriériste.

Le pluralisme politique aussi a pris le bord. S’annonçaient dans des circonscriptions gagnables de Montréal des candidatures qui ne correspondaient pas au profil type centre-gauche de l’aile parlementaire. En particulier dans Verdun, finalement gagné, où se présentait une remarquée candidate socialiste provenant d’un collectif du parti, mais aussi dans Maurice-Richard, dans Viau, dans Camille-Laurin où des candidatures plus à gauche ou plus écologiste style XR auraient dérangé le ronron du vénérable parlement. La porte-parole du parti a immédiatement pointé du doigt des concurrent-e-s avec le bon profil, dont la présidente du parti dans Verdun où elle n’habitait pas, pour lesquel-le-s se sont empressés de voter les membres à carte pour qui le parti s’incarne dans ses porte-parole. Mal leur en pris dans Camille-Laurin !

Marc Bonhomme, 21 janvier 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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