Édition du 30 avril 2024

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Politique québécoise

L’essentiel d’une intervention de Jean Sexton sur la problématique du placement syndical dans l’industrie de la construction.

Nous reprenons ci-dessous l’essentiel d’une intervention de Jean Sexton sur la problématique du placement syndical dans l’industrie de la construction faite lors d’une entrevue radiophonique donnée à Radio X Abitibi. Jean Sexton est professeur associé au Département de relations industrielles de l’Université Laval à Québec.

La FTQ construction et le Conseil provincial des Métiers de la Construction (CPMC), ont une réticence prononcée à égard du comité de transition. Le comité de transition a été passé après la commission parlementaire qui a analysé article par article le projet de loi 33. Selon la loi 33, les bureaux d’embauche syndicale sont prohibés. Tout retombe sur le dos de la Commission de la Construction du Québec (CCQ). Si madame Thériault a prévu un comité de transition, c’est qu’elle voit au moins deux choses : a) il y a un problème au niveau du placement (des bureaux d’embauche). Ce sont les employeurs qui appellent les différentes sections locales, les syndicats de métier, surtout dans des situations d’urgence, b) la Commission de la construction du Québec a réalisé qu’elle ne serait pas capable de faire le travail. La CCQ a depuis des années un taux de référence de 3 à 5% alors que les bureaux d’embauche des syndicats de métier ont un taux de référence de 15%. C’est donc dire que les embauches dans la construction au Québec se font dans un contexte double. Premièrement, ce sont les employeurs qui courent après les travailleurs actuellement, parce qu’il y a un contexte de pénurie de main d’oeuvre un peu partout. Deuxièmement, la CCQ n’est pas capable de fournir parce que lorsqu’un employeur appelle à la CCQ, il faut qu’un travailleur s’y soit inscrit. Et dans la pratique passée, la CCQ envoyait à l’employeur une liste de candidats possibles à l’entrepreneur et ce dernier devait appeler pour avoir du monde parmi ces gens-là. C’était en gros une liste de 5 à 12 personnes, dépendant des demandes. Et là-dedans, il y avait des gens décédés ou qui travaillaient en dehors de la province, ou qui ne travaillaient pas ou qui travaillaient déjà pour un autre employeur. Et cela rendait le fardeau de l’entrepreneur particulièrement difficile parce que c’était l’entrepreneur qui devait courir après le travailleur dont il avait besoin. Et tout cela impose des délais. Et qui dit délais dit augmentation de coûts.

Si tu n’as pas les bonnes données de fond sur les employés recherchés, il y a des problèmes... Exemple : un employeur appelle pour avoir 5 menuisiers. Dans la réglementation sur la formation professionnelle sur les métiers, il n’y a pas de spécialités de prévues pour les spécialités de menuisier alors que l’on sait qu’il y a des menuisiers de finition, des menuisiers de forme, qu’on appelle charpentiers et des menuisiers d’escaliers. L’employeur lui, demande un menuisier. Et les gars, quand ils remplissent les formules prévus à cette fin, ils cochent toutes les cases pour avoir une chance d’avoir une job. C’est aussi simple que ça. Et multipliez cela par 160 000 travailleurs.

Les syndicats, eux, connaissent leur monde. Je ne dis pas que c’est un système qui est sans péchés mortels. C’est clair. Mais je n’en connais pas beaucoup de systèmes parfaits. On aurait dû conserver ce système de placement et l’assainir. Il y a déjà eu un encadrement des bureaux de placement syndicaux. C’est le règlement sur le placement des travailleurs de la construction qui a été adopté en 1977 sous Pierre-Marc Johnson qui contenait un code d’éthique et qui est entré en vigueur le premier juillet 1978. Cela a fonctionné pendant un certain temps, mais cela n’a pas été policé du tout. Et le règlement n’a pas été mis en pratique réellement. De sorte que les gens ont continué à faire ce qu’il faisait. Il y en a certains, évidemment, dans certains syndicats, pas dans tous les syndicats, qui peuvent faire des exagérations, qui peuvent exiger plus de travailleurs que l’employeur en demande. Il y a toute sorte de possibilités.

La FTQ-construction et le Conseil Provincial des Métiers de la construction ramassent à eux deux 70 % de la main-d’oeuvre, et ce sont des gens de métier, alors que les 30 % des travailleurs appartenant aux autres syndicats (16% CSD, 10 % CSN et 5 % pour le Syndicat de la Côte Nord) ne sont pas organisés par métier. Ils n’ont donc pas la même pénétration en termes de réponse rapide à un employeur. Ce sont des syndicats régionaux qui regroupent tous les métiers dans un même syndicat régional.

Les gens (FTQ-construction et CPMC) étaient prêts à se remettre à une forme d’encadrement quelconque, mais Madame Thériault ... Regardez le titre du projet de loi : Projet de loi visant l’élimination du placement syndical.

Le CPMC ne veut pas embarquer là-dedans (application de la loi 33 et participation à un comité de transition). Ils sont prêts à aller jusqu’à la Cour suprême. Arnold Guérin, président de la FTQ- construction, ne veut pas embarquer là-dedans lui non plus.

Ce qui m’inquiète, c’est ce qui va arriver sur les chantiers. La clé de l’efficacité, c’est quand un entrepreneur appelle et qu’il dit : veux-tu m’envoyer d’urgence, par exemple, si Ultramar appelle et qu’il y a un “crash shut down” et qu’ils ont besoin de 300 tuyauteurs le lendemain matin, les gars vont être capable, même en allant chercher des gars sur les chantiers, de les envoyer là vu que c’est une urgence. S’il y a des intermédiaires, essaie de trouver le monde. Ce sont des spécialités qui sont tellement pointues. Cela va contre l’opinion publique, mais ils sont efficaces.

Il faut faire une distinction entre les métiers mécaniques et les métiers généraux. C’est rare de voir les peintres entrer les premiers sur un chantier. Il faut donc comprendre que les premiers qui entrent sur un chantier, ce sont les excavateurs, la dynamite, les boutefeux et ainsi de suite, les ferrailleurs, les gens de ciment... L’électricien ne rentre pas tout de suite. Pour cela (la structure) doit déjà être montée et fermée. Si un métier n’a pas fait ou a mal fait sa job, le chantier arrête. Un métier arrête et la chaîne logistique de la construction stoppe. Elle vient de casser. C’est cette organisation de chantier là qui est millénaire. On a la même réalité avec les fournisseurs. Si un fournisseur ne rentre pas ses tiges un matin... (C’est paralysé).

Les travailleurs de la construction au Québec sont reconnus comme les plus productifs au monde. L’OCDE l’a reconnu. Et ce projet de loi (loi 33 maintenant) vient enlever aux travailleurs, pour passer cela à la CCQ et bureaucratiser encore plus les choses, les deux fonds de formation qui permettent une formation. Pendant que les gars sont en chômage, ils peuvent se former. C’est le fleuron de l’industrie québécoise de la construction.

Il ne faut pas mêler les poires et les pommes. L’embauche et le placement comme tout le monde l’appellent, c’est une chose. Puis, il y a un autre dossier qui s’appelle l’intimidation. Ça, c’est un dossier criminel, pénal. Il y a une commission d’enquête qui est en train d’être mise sur pied. Il y a la juge Charbonneau. Cela va prendre deux ou trois ans avant de passer à travers le dossier criminel : discrimination, intimidation, corruption, collusion... Ça, c’est une chose. Mais le placement au quotidien. Quand un entrepreneur appelle au bureau d’embauche, c’est pour demain matin.

Le problème, c’est que tout le monde pense que la dans construction ce sont tous des bandits. Il y en a. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas. Il y a l’infiltration de Hell Angels, il y a l’infiltration de la mafia. Il y en a comme dans d’autres industries comme le débardage, le camionnage, la restauration... Ils vont avoir des surprises, pour autant que le projet de loi (loi 33) est concerné. C’est vrai que l’embauche n’est pas toujours faite selon la morale chrétienne, mais cela dépend des locaux. Il ne faut pas généraliser. Cela s’est fait trop vite. On a annoncé cela au mois d’avril, on a fait un groupe de travail qui a sorti un rapport qui n’est pas très bien fait loin de là (le rapport Gauthier) et madame Thériault s’est engagée dès le dépôt du rapport à appliquer toutes les recommandations. Non seulement elle a tenu parole, mais elle est allée plus loin que les recommandations, notamment sur le placement. Le rapport Gauthier proposait un encadrement, mais là, il n’y en a plus parce qu’ils (les bureaux de placement syndicaux) n’ont plus le droit d’exister à moins d’avoir un permis du bureau du ministère du Travail pour des circonstances particulières. Et ils doivent proposer des travailleurs à la CCQ. Plus il y a d’ intermédiaires (des intervenants) dans un dossier, quand les délais sont d’une importance primordiale, plus, je pense qu’on peut avoir des problèmes. Même les associations d’entrepreneurs sont excessivement inquiètes. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont créé un comité de transition eut égard à l’embauche.


(Retranscription et synthèse : Bernard Rioux pour Presse-toi à gauche ! - source de l’entregistrement audio : site de la FTQ construction)

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