Édition du 7 mai 2024

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Politique québécoise

L'initiative de François Legault et la recomposition de la scène politique au Québec

La Coalition de François Legault peut s’effondrer, tourner court et conduire son inspirateur à retourner à vaquer à ses propres affaires. Mais elle a le potentiel de recomposer la scène politique électorale et de redéfinir sérieusement les équilibres entre les différents partis politiques au Québec. Quelles sont les conséquences possibles de son existence, de son discours et de ses initiatives dans la prochaine année ?

L’essentiel du programme de la Coalition pour l’avenir du Québec ?

Le profil programmatique de la Coalition de François Legault a été clairement dessiné dans son manifeste. Ce manifeste esquisse les axes essentiels définissant les exigences de la classe dominante, d’ici et d’ailleurs, face à ses rapports avec le mouvement syndical, les mouvements sociaux et l’ensemble des citoyens : remettre en question l’universalité et la gratuité des services sociaux ; soutenir la privatisation des services tant en santé qu’en éducation ; affaiblir la présence du mouvement syndical dans le secteur public en détruisant les ententes nationales qui ont permis le maintien d’acquis importants pour les travailleuses et travailleurs du secteur ; rétablir l’équilibre budgétaire par la réduction des dépenses sociales et la généralisation de la tarification.

La coalition de François Legault exercera des pressions favorisant le glissement à droite du PQ sur le terrain social

Depuis quelques années, le Parti québécois a connu un glissement considérable vers la droite. Il s’est éloigné de plus en plus clairement du mouvement syndical. Durant le dernier Front commun du secteur public, il s’est refusé à tout soutien aux revendications des organisations syndicales. En faisant une priorité de la lutte au déficit, tout en défendant la perspective d’une fiscalité concurrentielle pour les entreprises, le Parti québécois a fait, parfois avec plus de véhémences que le gouvernement Charest, la lutte au déficit par les coupures dans les dépenses de programme. Si le PQ de Pauline Marois a repris à son compte l’essentiel du discours néolibéral, il n’en reste pas moins, que pour des secteurs de la droite nationaliste, ce parti est encore trop sensible aux pressions citoyennes. Sa défense du moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste, ses hésitations sur la hausse des frais de scolarité, son adoption de la nationalisation de l’industrie éolienne (vite rejetée par la direction Boisclair il est vrai), en font un parti inconséquent face aux tâches découlant des intérêts bien compris de l’oligarchie.

Le durcissement patronal contre le mouvement syndical, les attaques généralisées contre le secteur public et les organisations syndicales dans l’ensemble des pays occidentaux rendent nécessaire la rupture avec les politiques de compromis et d’accommodement aux pressions des mouvements syndicaux et citoyens.

Une Coalition bâtie sur la délégitimation de la perspective d’indépendance du Québec

Il en est également de même sur le terrain national. Pour François Legault, la souveraineté est un objectif impossible. Elle n’a rien à voir avec les « vrais problèmes » du Québec. Manifestement pour François Legault, l’indépendance est maintenant une diversion face aux enjeux véritables. Mais, en rejetant aussi ouvertement la souveraineté du Québec, la Coalition pour l’avenir du Québec va diminuer considérablement son pouvoir d’attraction sur l’aile la plus modérée du Parti québécois. Cette dernière pouvait accepter de reporter indéfiniment la concrétisation de la lutte pour la souveraineté pourvu que cette dernière reste l’horizon de leur action. De plus, le choix de la Coalition risque d’accentuer le défaitisme et la résignation sur les possibilités et la pertinence pour le Québec de mener la lutte pour l’indépendance. C’est sur ce défaitisme que peut fleurir un possibilisme qui verrait dans la lutte pour le rapatriement de certains pouvoirs bien précis, la seule voit réaliste de la défense des intérêts du Québec. Si l’ADQ et la Coalition initiée par Legault trouvent là un vaste terrain d’entente, les adeptes des alliances entre le PQ et l’ADQ autour d’enjeux spécifiques, risquent d’y voir la route d’un éventuel déblocage. En fait, l’apparition de la Coalition pour l’avenir du Québec facilitera l’ancrage du PQ à droite, pour toute une période, tant sur le terrain social que sur le terrain national.

Vers le renforcement de la cohésion organisationnelle d’une droite autonomiste

En abandonnant la perspective de souveraineté, François Legault levait un obstacle essentiel à une fusion éventuelle avec l’ADQ. En commandant un sondage sur les résultats électoraux possibles d’une telle fusion, il nous confirmait que cette possibilité est pour lui une option très sérieuse. D’autant plus, qu’un fondateur de l’ADQ, Jean Allaire voit dans cette fusion, une voie royale pour donner une seconde vie à un parti à bout de souffle. La formation d’un nouveau parti de droite, mieux ancré dans la bourgeoisie réelle, pouvant cibler l’affaiblissement et la désorganisation des mouvements sociaux comme des objectifs légitimes répond à des orientations déjà largement exprimées par certains secteurs de la classe dominante

Une bouée de sauvetage pour le Parti libéral du Québec

Pour Jean Charest, la transformation de la Coalition pour l’avenir du Québec en parti politique (et son éventuelle fusion avec l’ADQ) pourrait lui permettre d’espérer la division des nationalistes. Le PLQ resterait le seul parti fédéraliste conséquent. Si discrédité soit-il, Charest sait bien que peu de fédéralistes connus sont prêts à rallier un parti dirigé par un ex-ministre péquiste et que le soutien au fédéralisme demeure très stable dans certains secteurs de la population, particulièrement la communauté anglophone.

Que cette coalition permette au PLQ de se tirer plus facilement la mauvaise situation dans laquelle il s’est embourbé ne serait qu’une autre retombée néfaste de cette Coalition. Et, elle apparaît comme un autre fer au feu, mis en place par certains secteurs nationalistes de la classe entrepreneuriale. Il n’est pas étonnant que les grands médias aient moussé le projet en publiant des sondages lui annonçant des succès inespérés.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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