Édition du 14 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Livres et revues

Le capitalisme en 10 leçons

Le progrès social s’est traduit par une déconnexion croissante entre le revenu et l’acte de travail
Par • Mis en ligne le 10 mars 2012
Source : http://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2012/02/21/le-progres-social-sest-traduit-par-une-deconnexion-croissante-entre-le-revenu-et-lacte-de-travail/

Contre « la pré­ten­tion de la science éco­no­mique à vou­loir ré­duire ce qui est un mode d’organisation so­ciale à un en­semble de lois aussi in­con­tour­nables que celles de la phy­sique » , Mi­chel Husson nous rap­pelle que « Le ca­pital se dé­finit comme un rap­port so­cial fondé sur la pro­priété des moyens de pro­duc­tion »

Pour ana­lyser de ma­nière cri­tique le ca­pi­ta­lisme contem­po­rain « Il faut donc réussir à rendre compte à la fois des in­va­riants du ca­pi­ta­lisme et de la di­ver­sité de ses formes concrètes ». Il im­porte donc de pré­senter les dif­fé­rentes pé­riodes qui se sont suc­cé­dées, non de ma­nière li­néaires, mais en lien avec les contra­dic­tions in­ternes du sys­tème et les luttes (de classe) qui se sont dé­rou­lées. « A né­gliger la di­ver­sité des ins­ti­tu­tions et des ar­ran­ge­ments so­ciaux, on verse ra­pi­de­ment dans l’économicisme qui consiste à tout ra­mener à des dé­ter­mi­na­tions éco­no­miques. Ré­ci­pro­que­ment, la fo­ca­li­sa­tion sur les spé­ci­fi­cités peut faire ou­blier les ten­dances com­munes et sur­es­timer la mal­léa­bi­lité du ca­pi­ta­lisme ». Ce qui permet à l’auteur de sou­li­gner que la crise ac­tuelle « est au fond la crise des so­lu­tions ap­por­tées à la crise pré­cé­dente ».

Le fil di­rec­teur de l’ouvrage « est que le ca­pi­ta­lisme est entré dans une ère de ‘ren­de­ments dé­crois­sants’ », qu’il est de « moins en moins ca­pable d’intégrer la sa­tis­fac­tion des be­soins hu­mains à sa propre lo­gique » et qu’à l’inverse « la mar­chan­di­sa­tion du monde conduit à l’éviction de cer­tains be­soins es­sen­tiels ».

Je ne sau­rais ici pré­senter la to­ta­lité de l’ouvrage. Je me conten­te­rais d’indiquer quelques pistes en es­sayant le plus pos­sible de laisser la pa­role à Mi­chel Husson. Bien évi­de­ment, mes choix, sub­jec­tifs, ne sau­raient en­gager l’auteur.

Plan du livre :

« 1. De quoi le ca­pi­ta­lisme est-il le nom ? » L’auteur montre que « l’introduction du ca­pi­ta­lisme re­pré­sente une vé­ri­table rup­ture par rap­port aux mé­ca­nismes so­ciaux an­té­rieurs ». Il dé­crit les condi­tions préa­lables né­ces­saires dont la mise à dis­po­si­tion de main-d’œuvre « libre ». Mi­chel Husson re­prend la grille de lec­ture de Po­me­ranz « la ré­vo­lu­tion in­dus­trielle naît d’une com­bi­naison assez aléa­toire de contraintes géo­lo­giques, de res­sources ex­té­rieures, de mise à dis­po­ni­bi­lité d’une force de tra­vail et de pro­grès tech­no­lo­giques. Cette al­chimie très par­ti­cu­lière permet de com­prendre pour­quoi l’essor du ca­pi­ta­lisme n’a rien de pré­dé­ter­miné. »

« 2. D’où vient le profit ? ». L’auteur in­ter­roge les ver­sions néo­clas­siques et leurs pré­ten­tions à of­frir une vi­sion co­hé­rente du ca­pi­ta­lisme « au­tour de deux no­tions clés : qu’est ce le profit ? Com­ment se réa­lise ‘l’allocation des res­sources rares entre les fins al­ter­na­tives’ sous le ca­pi­ta­lisme ? ». Il sou­ligne « la mi­sère de la ‘science’ éco­no­mique do­mi­nante. » C’est le cha­pitre le plus ardu du livre. Pour celles et ceux qui vou­draient ap­pro­fondir, je si­gnale l’introduction (http://hussonet.free.fr/boukaweb.pdf) de l’auteur à la ré­édi­tion du livre de Ni­colas Bou­kha­rine : L’économie po­li­tique du ren­tier ( Syl­lepse 2010) Ob­jec­ti­vité so­ciale. Mi­chel Husson in­siste sur le ca­rac­tère très par­ti­cu­lier de la mar­chan­dise « force de travail ».

« 3. Pour­quoi les riches sont-ils plus riches ? » ou va­ria­tions sur la pro­duc­ti­vité du tra­vail, les sur­plus, l’accumulation de ri­chesses, le par­tage entre profit et sa­laires, les in­éga­lités, les pres­sions ou luttes so­ciales. Deux phé­no­mènes peuvent être mis en re­la­tion « Le pre­mier est que les in­éga­lités ont eu ten­dance à se ré­duire sur longue pé­riode » et « la courbe s’inverse avec le tour­nant li­béral des an­nées 1980 et une nou­velle ten­dance au creu­se­ment des in­éga­lités s’instaure ». Il ne fau­drait ce­pen­dant croire à une ré­duc­tion « na­tu­relle » des in­éga­lités, gé­nérée spon­ta­né­ment par le fonc­tion­ne­ment du sys­tème. « Il faut plutôt y voir l’effet des luttes so­ciales, des évo­lu­tions dans la struc­ture de la force de tra­vail, et aussi des po­li­tiques pu­bliques ». L’auteur sou­ligne que « l’intervention de l’État n’a pas di­minué en tant qu’agent actif de la struc­tu­ra­tion de la so­ciété » et ter­mine cette partie par « l’égalité est la condi­tion ab­solue du bien-être so­cial et de la vé­ri­table li­berté, dé­finie comme ‘le sen­ti­ment de ne pas être mé­prisé et traité en in­fé­rieur’. »

« 4. De quoi avons-nous (vrai­ment) be­soin ? » L’auteur pré­sente « la dis­tinc­tion clas­sique entre va­leur d’échange et va­leur d’usage » et nous rap­pelle contre les lec­tures hâ­tives, éco­no­mi­cistes ou mal-intentionnées « Or les va­leurs d’usage im­portent, même dans le champ du mar­xisme, parce que le bou­clage concret des schémas de re­pro­duc­tion sup­pose une cor­res­pon­dance entre ce qui est pro­duit et ce qui est consommé ». Mi­chel Husson sou­ligne à la fois que « les biens et ser­vices mar­chands in­di­vi­dua­li­sables oc­cupent une place dé­crois­sante dans la consom­ma­tion » et que « la de­mande so­ciale est de moins en moins conforme aux exi­gences de ren­ta­bi­lité » ou pour le dire ma­nière per­cu­tante « Mais tous les be­soins ne sont pas égaux de­vant le ca­pi­ta­lisme et il va donc tout faire pour les mo­deler en fonc­tion de ses exi­gences propres ». L’auteur dé­ve­loppe re­mar­qua­ble­ment au­tour de la no­tion de be­soins. D’un coté, pour la ren­ta­bi­lité, il fau­drait que les be­soins s’adaptent à la pro­duc­tion, c’est d’ailleurs le rôle des ma­tra­quages pu­bli­ci­taires, que les individu-e-s pro­duc­teurs s’effacent de­vant des êtres consommatrices/consommateurs. D’autre part, contre celles et ceux qui vou­draient dicter les be­soins es­sen­tiels, au nom de la sou­te­na­bi­lité du dé­ve­lop­pe­ment par exemple, Mi­chel Husson op­pose « il s’agit de créer les bases ma­té­rielles qui per­mettent d’effectuer d’autres choix, à la fois dans les condi­tions de vie et dans la maî­trise des grands choix so­ciaux ». Contrai­re­ment à une lé­gende, le marché et la dé­mo­cratie ne font pas bon mé­nage. Et l’auteur d’ajouter « Dans une so­ciété ra­tion­nelle, le be­soin ne se­rait plus seule­ment une condi­tion vide de contenu ga­ran­tis­sant la va­leur » et « La dé­mo­cratie est donc la condi­tion même de fonc­tion­ne­ment d’une telle or­ga­ni­sa­tion so­ciale, et cette concep­tion conduit à poser au­tre­ment l’articulation entre plan et marché » d’où « l’importance dé­ci­sive des règles ins­ti­tu­tion­nelles et du pro­cessus d’échanges et de confron­ta­tion ».

« 5. Qu’est ce qui n’est pas une mar­chan­dise ? » Pour le ca­pi­ta­lisme tout peut ou (re)devenir mar­chan­dise. A l’inverse des pro­cessus de dé­mar­chan­di­sa­tion qui ont « ac­com­pa­gnés » le pro­grès so­cial, le ca­pi­ta­lisme néo­li­béral est aussi un tour­nant vers la (re)marchandisation de toute chose. Le titre de cette note est issue de ce cha­pitre. La mar­chan­di­sa­tion du tra­vail, de la force de tra­vail tient une place par­ti­cu­lière dans le sys­tème ca­pi­ta­liste et dans sa phase néo­li­bé­rale. Ainsi « La flexi­bi­lité pourrait-être très bien dé­finie comme la sup­pres­sion de tous les dis­po­si­tifs qui font que, jus­te­ment, la force de tra­vail n’est pas une mar­chan­dise comme une autre ». Flexi­bi­lité, in­di­vi­dua­li­sa­tion des sa­laires et des autres condi­tions sa­la­riales, dé­ve­lop­pe­ment de l’externalisation et de la sous-traitance, il s’agit pour les gou­ver­nants de re­mettre en cause « les liens contrac­tuels hé­rités du passé, en fai­sant des sa­la­riés la va­riable d’ajustement ». Nous as­sis­tons aussi aujourd’hui à une mar­chan­di­sa­tion de la connais­sance (bre­vets, pro­priété in­tel­lec­tuelle, etc) au nom d’un marché plus ef­fi­cace, moins coû­teux, une trans­for­ma­tion de la vie en vie-marchande, sous une dé­li­rante pré­sen­ta­tion d’un tout comp­table. Contre cette construc­tion idéo­lo­gique, l’auteur sou­ligne « l’incommensurabilité d’un cer­tain nombre de droits so­ciaux ». Il faut lire avec at­ten­tion les pages sur les biens pu­blics, les biens in­tra­gé­né­ra­tion­nels et in­ter­gé­né­ra­tion­nels et s’interroger « quels élé­ments la so­ciété est-elle prête à laisser au libre jeu du marché ? ». La sa­tis­fac­tion des be­soins est une ra­tio­na­lité su­pé­rieure au « calcul éco­no­mique ».

« 6. Le ca­pi­ta­lisme peut-il se mettre au vert ? » Mi­chel Husson ana­lyse les pro­blèmes de l’énergie, de la tran­si­tion éner­gé­tique, les éco­taxes et « la contra­dic­tion entre l’objectif de profit maximum et celui de ré­duc­tion des dé­penses d’énergie », sans nier un pos­sible « ver­dis­se­ment » du sys­tème. En com­plé­ment pos­sible : Contre­Temps N°12, qua­trième tri­mestre 2011 (Edi­tions Syl­lepse, Paris 2011) In­ter­con­nexion des crises so­ciale et éco­lo­gique glo­bales gé­né­rées par la dy­na­mique du ca­pital et Da­niel Ta­nuro : L’impossible ca­pi­ta­lisme vert (Les em­pê­cheurs de penser en rond / La Dé­cou­verte, Paris 2010) Crise his­to­rique de la re­la­tion de l’humanité et son en­vi­ron­ne­ment.

« 7. Où mène la mon­dia­li­sa­tion ? » L’agencement de l’économie mon­diale est bou­le­versée par la place gran­dis­sante de cer­tains pays dits émer­gents « cer­tains pays, conçus au dé­part comme ré­ser­voirs de main-d’œuvre bon marché, connaissent une forte crois­sance de leurs ex­por­ta­tions, inondent les mar­chés des pays dé­ve­loppés et ‘re­montent les fi­lières’, au­tre­ment dit se mettent à pro­duire des biens de haute tech­no­logie ».Ce­pen­dant si le Pro­duit In­té­rieur Brut (PIB) mon­dial peut se ven­tiler en deux parts égales, entre pays dits avancés et les autres, il ne fau­drait pas ou­blier que les pre­miers ne re­pré­sentent que le sep­tième de la po­pu­la­tion mon­diale. Les PIB moyens par habitant-e-s sont donc très dif­fé­rents et cachent des dif­fé­ren­tia­tions im­por­tantes entre les très riches et les autres, entre sous-régions et entre femmes et hommes. La mon­dia­li­sa­tion ac­tuelle est par­tiel­le­ment d’une autre com­plexité que l’internationalisation an­té­rieure, entre autres par la mon­dia­li­sa­tion pro­duc­tive. « Concrè­te­ment, les mar­chan­dises sont do­ré­na­vant pro­duites à cheval sur plu­sieurs pays, et ce phé­no­mène va au-delà d’une simple aug­men­ta­tion des cou­rants d’échange. Ce n’est pas seule­ment le marché qui de­vient mon­dial, mais ce sont les lieux de pro­duc­tion qui se dé­ploient et se re­struc­turent à une échelle pla­né­taire. Les dif­fé­rents stades de la fa­bri­ca­tion d’un pro­duit sont ré­partis entre plu­sieurs pays : on parle alors de ‘dé­com­po­si­tion in­ter­na­tio­nale des pro­cessus pro­duc­tifs’ ou de ‘chaînes de va­leur glo­bale’ ». Cette mon­dia­li­sa­tion de la pro­duc­tion est portée par l’investissement in­ter­na­tional, les fa­meux in­ves­tis­se­ments di­rects étran­gers (IDE) dont il faut néan­moins sou­li­gner qu’ils res­tent ma­jo­ri­tai­re­ment orientés vers les pays….développés. Mi­chel Husson ana­lyse la nou­velle car­to­gra­phie du monde, dont les re­la­tions Chine/États-Unis. Il montre que la struc­tu­ra­tion éco­no­mique mon­diale est de plus en plus dis­socié de la car­to­gra­phie des États et ex­plique les mé­ca­nismes de « l’institutionnalisation de l’absence de règles à tra­vers la créa­tion de l’OMC (Or­ga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce) ». Si je suis l’auteur dans « La mon­dia­li­sa­tion réel­le­ment exis­tante in­tro­duit ainsi une dif­fé­rence im­por­tante avec les formes clas­siques de l’impérialisme », je pense néan­moins que les dé­bats de­vraient s’approfondir sur les contrac­tions dans cette nou­velle confi­gu­ra­tion. Pour le dire fran­che­ment le duo Chine/États-Unis pour­rait se dé­nouer et le lea­der­ship mon­dial être dis­puté, y com­pris sous une forme clas­sique de guerre. Mais la puis­sance éco­no­mique de la Chine n’est aujourd’hui que très po­ten­tielle et l’impérialisme amé­ri­cain dis­pose de la seule puis­sance mi­li­taire réel­le­ment existante.

« 8. A quoi sert l’Europe li­bé­rale ? » Il n’y a pas de ca­pital eu­ro­péen. Aujourd’hui do­minent, hors de tout cadre dé­mo­cra­tique, des po­li­tiques de pri­va­ti­sa­tion des ser­vices pu­blics, de la mise concur­rence (et donc de la pri­mauté du moins-disant) des sys­tèmes so­ciaux. Il s’agit donc bien d’un « mo­dèle éco­no­mique tronqué » où « L’euro réel­le­ment exis­tant n’est donc rien d’autre qu’un outil de po­lice éco­no­mique ». L’auteur ajoute ju­di­cieu­se­ment « Le marché unique n’est pas le dé­bouché prin­cipal, mais la base ar­rière d’une visée plus large ». De nom­breux ar­gu­ments utiles pour re­fuser le rôle pro­fon­dé­ment an­ti­so­cial et ré­ac­tion­naire des traités, dont le projet en cours vi­sant « à consti­tu­tion­na­liser une ter­rible ré­gres­sion so­ciale comme moyen d’assainir les fi­nances pu­bliques… »,

« 9. Qu’est ce qu’une crise ? » Mi­chel Husson pré­sente et ana­lyses les trois sortes de crises aux­quelles le ca­pi­ta­lisme est confronté : les crises pé­rio­diques, les crises de ré­gu­la­tion et la crise sys­té­mique. Il met en re­la­tion les évo­lu­tion de la pro­duc­ti­vité, les in­ter­ven­tions de l’État « so­cial », l’augmentation des si mal-nommés pré­lè­ve­ments obli­ga­toires, l’inflation, la durée du temps de tra­vail, pour conclure une nou­velle fois sur « l’écart se creuse ainsi entre la de­mande so­ciale et l’offre ren­table ». Pour ap­pro­fondir, un ou­vrage plus an­cien de l’auteur Un pur ca­pi­ta­lisme (Édi­tions Page deux, Lau­sanne 2008) La crise est cer­taine, mais la ca­tas­trophe ne l’est pas.

« 10. Pour­quoi on va dans le mur ». Si les dé­rives de la fi­nance ont bien une di­men­sion dé­men­tielle, il ne faut pas ou­blier que « la fi­nance n’est pas ex­crois­sance : elle est au contraire un rouage es­sen­tiel du ca­pi­ta­lisme dans sa ver­sion néo­li­bé­rale ». L’auteur ex­plique la ge­nèse de cette fi­nan­cia­ri­sa­tion dont le rôle des pou­voirs pu­blics, des États. Après la ré­ces­sion de 1974/1975 « Il y a eu un mé­lange très ef­fi­cace de po­li­tiques dé­li­bé­rées de la part des gou­ver­ne­ments et d’une of­fen­sive pa­tro­nale contre les sa­laires ». L’auteur dé­crit la mise place des condi­tions fa­vo­rables à l’essor de la fi­nance : « des me­sures de dé­ré­gle­men­ta­tion font tomber les obs­tacles et on fa­brique éven­tuel­le­ment de toutes pièces des mar­chés fi­nan­ciers ». Puis il ana­lyse la « na­ture » des titres financiers, droit de ti­rage sur la ri­chesse pro­duite ou à pro­duire, et nous rap­pelle que « La fi­nance ne crée donc pas de va­leur, même si elle agit sur sa ré­par­ti­tion ». D’un coté, baisse de la part des sa­laires, stag­na­tion du taux d’accumulation et de l’autre aug­men­ta­tion de la part des di­vi­dendes. En re­gard de la fa­meuse « norme » de 15% de ren­ta­bi­lité des fonds propres exigée par les ac­tion­naires, l’auteur sou­ligne « une éco­nomie qui croît au mieux de 3% par an ne peut of­frir du­ra­ble­ment un tel ren­de­ment à ses ac­tion­naires ». L’auteur ter­mine ce cha­pitre sur quatre grandes contra­dic­tions : « Di­lemme de la ré­par­ti­tion : ré­ta­blis­se­ment de la ren­ta­bi­lité ou em­plois ? », « Di­lemme de la mon­dia­li­sa­tion : ré­sorp­tion des dés­équi­libres ou crois­sance mon­diale ? », « Di­lemme bud­gé­taire : ré­sorp­tion des dé­fi­cits ou dé­penses so­ciales ? » et « Di­lemme eu­ro­péen : chacun pour soi ou co­or­di­na­tion ? »

Ga­geons que les ré­ponses de­vront être po­li­tiques, dé­mo­cra­ti­que­ment éla­bo­rées ; qu’elles s ’ap­puie­ront sur un audit de la dette et l’annulation de sa partie odieuse et illé­gi­time, que la baisse ra­di­cale du temps de tra­vail sera au centre de la construc­tion d’une al­ter­na­tive ma­jo­ri­taire à ce sys­tème. Contre le chacun-e pour soi et la guerre entre tou-te-s et tou-te-s, l’invention d’une so­ciété qui sa­tis­fasse plei­ne­ment les be­soins hu­mains, les be­soins de toutes et tous.

Quelques ci­ta­tions complémentaires :

« La grande prouesse de l’économie do­mi­nante, c’est d’entretenir une confu­sion per­ma­nente entre le ca­pital comme en­semble de moyens de pro­duc­tion et le ca­pital comme rap­port so­cial. »

« Les be­soins, leur mode d’expression et leur pos­si­bi­lité de sa­tis­fac­tion sont mo­delés par les condi­tions d’existence »

« Le mode de consom­ma­tion peut aussi être consi­déré comme un mode de com­pen­sa­tion de be­soins in­sa­tis­faits »

« Les confé­rences de ci­toyens sont une ex­pé­rience pas­sion­nante du point de vue de la prise de dé­ci­sion col­lec­tive. Le prin­cipe consiste à réunir un groupe de ci­toyens qui ne sont pas eux-mêmes des ex­perts, mais qui ont à leur dis­po­si­tion de spé­cia­listes qui les ini­tient au do­maine. Après ces pre­miers échanges, le groupe de ci­toyens in­ter­pelle de nou­veaux ex­perts ou dé­ci­deurs qu’ils ont eux-mêmes choisis, puis dé­li­bèrent et éla­borent leurs re­com­man­da­tions. »

« A l’encontre de la vi­sion ‘pa­ra­si­taire’, il faut au contraire in­sister sur la fonc­tion­na­lité de la fi­nance : elle fait partie in­té­grante du ca­pi­ta­lisme contem­po­rain et son poids crois­sant est en soi un in­dice de dys­fonc­tion­ne­ments chro­niques du ca­pi­ta­lisme réel­le­ment exis­tant » et « la fi­nance n’est pas un pa­ra­site sur un corps sain, mais le moyen de ‘bou­cler’ la re­pro­duc­tion du ca­pi­ta­lisme néo­li­béral ».

En conclu­sion, Mi­chel Husson sou­ligne, contre une cer­taine lec­ture sclé­rosée ce ré­cla­mant du mar­xisme : « Le ca­pi­ta­lisme n’est pas pour au­tant un fruit mûr et ne s’effondrera pas malgré sa perte d’efficacité. L’idée même d’une ‘crise fi­nale’ est in­trin­sè­que­ment ab­surde, parce que le ca­pi­ta­lisme n’est pas seule­ment un mo­dèle éco­no­mique, mais un en­semble de rap­ports so­ciaux ; et ceux-ci ne peuvent être remis en cause que par l’initiative de forces so­ciales dé­ci­dées à les dé­passer. »


Le livre est très ju­di­cieu­se­ment illustré par de des­sins cor­ro­sifs de Charb.

Ce­pen­dant deux de ces des­sins me semblent plus que pro­blé­ma­tiques. L’un page 169, le com­mer­çant chez qui le per­son­nage va acheter le pain est ré­duit à sa qua­li­fi­ca­tion ba­nale d’arabe. Charb pense-t-il que cette ca­rac­té­ris­tique puisse être prin­ci­pale pour ce commerçant ?

Le dessin page 193 montre un ado­ra­teur du marché fai­sant sa prière « Il n’y a de marché que le marché et l’Europe est son pro­phète ». Par le texte et par le geste il s’agit ici d’un renvoi in­dé­niable à l’Islam. Charb semble donc avoir in­tégré une hy­po­thé­tique dan­ge­ro­sité de l’Islam !

Dans les an­nées trente, celles et ceux qui étaient ainsi montré-e-s du doigt, causes de tous les maux réels et in­ventés, étaient les « Juifs », aujourd’hui sont dé­si­gnés les « Arabes », sans ou­blier dans toute l’Europe, hier et aujourd’hui, la stig­ma­ti­sa­tion des « Rroms ». In­sup­por­table est cette ra­cia­li­sa­tion, ce ra­cisme « banal », « ordinaire ».

Pour ceux qui pro­fessent ou re­pro­duisent ces in­sup­por­tables « ba­na­lités » une (in)conscience de leurs significations/impacts mais pour celles et ceux qui les su­bissent : une mise en cause per­ma­nente de leur intégrité.

Et un troi­sième dessin, page 119, peut-être ca­rac­té­risé comme un vé­ri­table dé­ra­page. Un pa­tron néo­li­béral en train de dy­na­miter les 35 heures, c’est en effet du ter­ro­risme so­cial. Mais quand cet homme dit « Li­bé­ra­lisme Akbar ! » cela confirme, qu’aux yeux du des­si­na­teur, le lien entre arabe/islam et ter­ro­risme fait sens, comme nous le chantent les médias.

Que pense Charb de cette odieuse assimilation ?.

Un livre clair. Grâce à la qua­lité des pré­sen­ta­tions, la très grande ma­jo­rité des cha­pitres est ac­ces­sible aux débutant-e-s en « éco­nomie ». Une vé­ri­table ex­per­tise au ser­vice des ques­tion­ne­ments et de l’émancipation. Bi­blio­gra­phie et liens : http://hussonet.free.fr/capibib.

Les so­lu­tions po­li­tiques évo­quées pour en finir avec la conju­gaison d’une crise his­to­rique du sys­tème ca­pi­ta­lisme et d’une crise glo­bale de notre re­la­tion à l’environnement sont au­tant de pistes, qu’il nous faut ex­plorer, pour éla­borer des ré­ponses col­lec­tives et démocratiques.

Contre les vi­sions occidentales-centrées, il est bon de rap­peler avec l’auteur (source nationsonline.org) :

« Si le monde était un village…

Si l’on ra­me­nait la po­pu­la­tion mon­diale à un vil­lage de 100 ha­bi­tants, il res­sem­ble­rait à ceci :

 81 vi­vraient dans un pays en dé­ve­lop­pe­ment avec un re­venu moyen de 3 580 dol­lars, les 19 autres vi­vraient dans un pays dé­ve­loppé avec un re­venu moyen de 22 060 dollars ;

 il y au­raient 61 Asia­tiques, 12 Eu­ro­péens, 13 Afri­cains, 9 Sud-Américains et 5 Nord-Américains ;

 75 se­raient non blancs, tandis que 25 se­raient blancs ;

 48 vi­vraient avec moins de 2 dollar par jour, et 20 vi­vraient avec moins de 1 dollar ;

 8 n’auraient pas accès à des ins­tal­la­tions sa­ni­taires élémentaires ;

 50 se­raient citadins ;

 25 se­raient sans lo­ge­ment ou vi­vraient dans des lo­ge­ments insalubres ;

 17 au­raient moins de 18 ans ;

 16 n’auraient pas accès à l’eau potable ;

 16 se­raient illettrés ;

 14 souf­fri­raient de malnutrition ;

 8 au­raient accès à In­ternet à la maison ;

 4,5 se­raient ci­toyens des États-Unis ;

 1 se­rait in­fecté par le VIH/sida ;

 1 seul se­rait di­plômé de en­sei­gne­ment supérieur. »

Une dé­cli­naison genrée se­rait plus que la bienvenue.

« Dans quel monde bar­bare vivons-nous, qui ne réussit pas à ga­rantir ces droits élé­men­taires à l’ensemble des ha­bi­tants de la pla­nète ? »

Mi­chel Husson ( http://hussonet.free.fr/@bibi.htm ) : Le ca­pi­ta­lisme en 10 leçons

Petit cours illustré d’économie hétérodoxe

Des­sins de Charb

Zones, Paris 2012, 254 pages, 16 euros

Di­dier Epsztajn

Sur le même thème : Livres et revues

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...