Édition du 30 avril 2024

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Politique québécoise

Les nouveaux compteurs intelligents d’Hydro-Québec : sur quel pied danser ?

Hydro-Québec prend prétexte du fait que 50 % de son parc de compteurs a atteint sa fin de vie utile pour procéder à l’installation d’ici 2017 de 3,8 millions de compteurs nouvelle génération.

Ceux-ci rendent possible la lecture à distance par le biais de l’infrastructure de mesurage avancé. Le coût du projet a été évalué à près d’un milliard de dollars, le principal bénéficiaire étant la compagnie suisse Landis + Gyr. Une manœuvre qui aura pour effet d’augmenter considérablement l’exposition aux ondes électromagnétiques, celles des compteurs venant s’ajouter aux ondes wifi et autres issues des technologies de téléphonie cellulaire.

Avant de pouvoir aller de l’avant sur l’ensemble de son réseau, la nouvelle technologie d’Hydro-Québec doit cependant faire l’objet d’audiences devant la Régie de l’énergie en février prochain. En attendant, des projets pilote ont été mis en place, dont un dans le quartier Villeray à Montréal. De quoi soulever l’inquiétude de plusieurs citoyens. Un regroupement a d’ailleurs été mis sur pied pour s’opposer à la décision de la société d’État, le groupe Villeray Refuse (1).

À l’instar de regroupements nationaux comme la Coalition contre la pollution électromagnétique (2) ou le collectif Sauvons nos enfants des micro-ondes (3), les membres de Villeray Refuse ne sont pas convaincus de l’innocuité de la nouvelle technologie. Contrairement à la méthode actuelle par laquelle des employés d’Hydro-Québec viennent relever manuellement les données des compteurs, la nouvelle technologie repose sur des compteurs « intelligents ». Émettant des radiofréquences en permanence, les compteurs font partie d’un système dit maillé, par lequel chaque compteur enregistre la consommation d’énergie du client et la transmet ensuite à un autre compteur, qui lui la transmet à un autre compteur, ainsi de suite jusqu’à ce que la donnée arrive à un routeur, qui lui transmet les informations à un autre routeur ou directement au collecteur, qui fait ensuite transiter les données vers le frontal d’acquisition. Par la suite, de nous dire Hydro-Québec, « les données seront acheminées vers le système de gestion des données de mesurage. Ce grand entrepôt de données fera le lien avec le système de facturation d’Hydro-Québec qui sert à émettre les factures de nos clients. »

C’est l’émission de radiofréquences en continu qui inquiète le plus les groupes de citoyens. Surtout qu’en milieu urbain très densifié les compteurs se retrouvent fréquemment dans les espaces habités, que ce soit la cuisine ou la chambre à coucher. Hydro-Québec a beau minimiser les risques associés à une exposition continue à ces radiofréquences, les doutes subsistent. Surtout qu’il n’existe actuellement aucun consensus parmi les experts sur les taux acceptables d’exposition aux radiofréquences. Par contre, de plus en plus d’études viennent nous mettre en garde quant aux risques reliés à une exposition prolongée aux ondes électromagnétiques. Et la façon dont est mené le débat par l’industrie n’est pas sans rappeler celui lié aux méfaits de la cigarette il y a quelques décennies, comme nous le faisait remarquer la porte-parole de Villeray Refuse, Marie-Michelle Poisson. On constate ainsi que certains des auteurs des études cautionnant la prolifération de telles ondes ont des ramifications jusqu’aux industries qui en font la promotion (4).

Le doute est tel que Santé Canada a du lui aussi en prendre acte, l’organisme fédéral recommandant maintenant que l’on restreigne l’utilisation des téléphones cellulaires et que l’on essaie d’éviter de les porter à notre oreille. Malgré cette prise de position, les normes de Santé Canada en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques sont beaucoup plus laxistes que celles du Parlement européen, par exemple, qui cherche à appliquer le principe de précaution.

C’est que l’on commence de plus en plus à constater le développement chez certaines personnes de symptômes invalidants tels maux de tête, problèmes de sommeil, arythmie cardiaque, que l’on semble associer de plus en plus à l’exposition aux radiofréquences. Ces personnes souffrent de ce que l’on appelle le syndrome d’hypersensibilité électromagnétique, qui n’est cependant toujours pas reconnu au pays (5).

Hydro-Québec se défend en mentionnant que l’exposition aux radiofréquences de ses nouveaux compteurs sera restreinte à quelques secondes par jour. Cette affirmation a pourtant été contredite dans un rapport de Stéphane Bélainsky (6), spécialiste de l’hygiène électromagnétique à domicile. Hydro-Québec ne prendra peut-être des relevés de données que 5 à 6 fois par jour, les compteurs n’en émettront pas moins des radiofréquences en permanence.

Les impacts redoutés sur la santé de ces compteurs ne seront cependant pas pris en compte par le mandat de la Régie de l’énergie, lui qui se penchera surtout sur les aspects économiques du dossier. Malgré un coût d’installation avoisinant le milliard de dollars et la mise au rebut de nombreux compteurs toujours fonctionnels, la société d’État affirme que l’opération lui permettra malgré tout d’économiser quelques 300 millions de dollars et d’offrir un meilleur service à sa clientèle. Des économies réalisées entre autres par l’abolition des quelques 726 postes de releveurs, dont on nous assure que la plupart seront réaffectés à d’autres tâches, sans compter les 30 % qui iront à la retraite.

Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que les nouveaux compteurs électriques permettant la lecture à distance risquent d’entraîner une hausse des tarifs pour les clients d’Hydro-Québec. C’est du moins ce que soutient l’un de ses syndicats, ce que n’a pas exclut la direction d’Hydro-Québec, s’en remettant de son côté à ce qui sera évalué dans le cadre des audiences devant la Régie de l’énergie.

Un autre aspect économique qui est éludé est celui relié à la facture potentielle en matière de santé publique. Car si l’on estime que la prolifération des ondes électromagnétiques issues des compteurs risquent de nuire à la santé de certaines personnes, ce sont autant de frais de santé qui devront être épongés par la collectivité.

Mais en définitive, ce qui ressort de ce dossier est le manque de transparence frappant de la part d’Hydro-Québec et l’aspect peu démocratique de sa démarche. Dans le quartier Villeray par exemple, qui fait l’objet d’un projet pilote, plusieurs citoyens ont été mis devant le fait accompli et se sont retrouvés du jour au lendemain avec ces nouveaux compteurs dans leur domicile. Marie-Michelle Poisson du collectif Villeray Refuse tient d’ailleurs à rappeler qu’il est possible de refuser à ce que de tels compteurs soient installés chez soi – du moins jusqu’à ce qu’aient lieu les audiences de la Régie de l’énergie.

Et c’est aussi devant les nombreux doutes que soulève la question des ondes électromagnétiques qu’a été lancée une pétition demandant un moratoire sur l’installation des compteurs de nouvelle génération d’Hydro-Québec. On peut signer celle-ci jusqu’au 2 février prochain.


(1) http://villerayrefuse.wordpress.com/.
(2) http://www.cqlpe.ca/.
(3) http://www.dangersemo.com/site_semo/WEB_SEMO_page_1.html.
(4) Voir entre autre le documentaire Mauvaises Ondes : http://videos.next-up.org/France3/Hors_Serie_Mauvaises_Ondes/16_05_2011.html.
(5) L’éditeur de la revue La maison du 21e siècle, André Fauteux, est l’un de ceux qui militent ardemment afin de faire reconnaître ce syndrome.
(6) http://internet.regie-energie.qc.ca/Depot/Projets/111/Documents/R-3770-2011-C-S%C3%89-AQLPA-0020-PREUVE-RAPPEXP-2011_10_28.pdf.

David Murray

Journaliste citoyen et animateur radio à CISM

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