Édition du 21 mai 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet du 17 août

Moi et l’autre

Chaque société a ses vieux démons, ses perversités et ses déformations. Dans les anciennes puissances coloniales subsiste un racisme peu subtil qui conduit à des discriminations exacerbées contre les anciens « sujets » de l’Empire. C’est frappant en France avec les Arabes et les Africains. Quelques fois, les États capitalistes « gèrent » le problème de manière plus subtile, en confinant les « ethniques » dans des ghettos d’emplois ou de résidences, comme c’est le cas en Allemagne ou en Angleterre. Aux États-Unis, la polarisation raciale héritée de l’esclavage a pris le dessus, jusqu’à un certain point, sur les fractures entre les White Anglo Saxon Protestant (WASP) et toutes les autres composantes du peuple états-unien.

Au Canada, le pouvoir colonial également construit sur les WASP s’est reproduit contre les résistances et les révoltes des francophones et des autochtones qui ont parfois forcé les dominants à des compromis, sans pourtant que la structure fondamentale de l’État canadien ne soit modifiée.

Aujourd’hui cette lutte continue, mais elle prend une autre configuration au moment où la population canadienne et québécoise change sous l’influence de l’immigration. À Montréal où près de 30 % des habitants viennent d’autres pays, le changement est profond. Cet influx est prévisible compte tenu que des millions de personnes un peu partout dans le monde sont plus ou moins forcés de quitter leur pays pour fuir la pauvreté sinon la misère, l’oppression sinon les conflits violents.

Pour les dominants, l’immigration est nécessaire pour amener de nouveaux bras et de nouvelles têtes dans le processus d’accumulation insensé qui s’appelle le capitalisme. C’est d’autant plus intéressant que les immigrantEs – toutes les enquêtes le démontrent – travaillent davantage et à bas prix, compte tenu de la situation de fragilité dans lequel ils sont maintenus artificiellement.

Autre caractéristique de la situation, la question immigrante est insérée dans une vaste bataille des idées menée par la droite qui veut en fin de accélérer l’immigration pour des raisons économiques et faire des immigrantEs des boucs émissaires des problèmes économiques, sociaux et politiques. L’immigrant devient le voleur de job, celui qui ne respecte pas « nos valeurs » et qui tente de subvertir notre société avec des projets extrémistes (c’était le communisme, c’est l’islamisme maintenant).

Et c’est ainsi que les médias-poubelles et l’intellectualité réactionnaire construisent un « autre », un être plus ou moins menaçant dont on a besoin mais qu’il faut surveiller et éventuellement punir.

Au Québec, ce fatras réactionnaire revient régulièrement à l’agenda, comme cela fut le cas il y a quelques années avec la crisette de Hérouxville et des tristes débats de la Commission Bouchard-Taylor. Le grand problème, pour le temps que ces discussions ont eu lieu, n’était plus le chômage, l’appauvrissement des couches moyennes, l’étranglement par un système financier prédateur, mais le fait que des immigrantEs, la plupart du temps Arabes ou Musulmans, menaçaient « nos valeurs ». Le pire était que ces attaques réactionnaires étaient parfois « justifiées » par la revendication de laïcité ou pour les droits des femmes alors qu’en réalité, cela faisait partie d’une insidieuse agression contre un groupe particulier de la population. Heureusement, tout cela a été remis à sa place grâce notamment à l’intervention de la Fédération des femmes du Québec qui avait mis court à l’ostracisme contre les femmes voilées et d’autres stupidités du genre.

Dans le présent débat électoral, il est peu question de tout cela, sauf que le PQ remet la fameuse question de l’ « identité » sur le devant de la scène, faute de pouvoir défendre correctement le projet historique du PQ qui était tourné vers l’émancipation nationale et non la défense peureuse de l’identité. Avec cela, le PQ risque de remuer les plantes pourries de la discrimination en espérant mobiliser une partie de l’opinion francophone de souche contre les autres.

Parallèlement, il y a aussi les attaques racistes contre la candidate du PQ à Trois-Rivières, Djemila Benhabib, « accusée » par une droite aussi imbécile que xénophobe de vouloir imposer « ses » valeurs et détruire notre belle foi catholique. C’est lamentable, d’autant plus que cela circule beaucoup dans les médias poubelles.

Pour autant, Benhabib s’est mise sur un terrain glissant. Elle se définit comme une « militante anti-islamiste » et accuse « des » Musulmans de préparer une révolution intégriste au Québec ! Son discours va dans le sens d’un anti Islam qui présente cette religion comme une barbarie alors que sur le fonds, les grandes religions monothéistes proviennent des mêmes traditions patriarcales et autoritaires. Pourquoi cibler l’islam alors ? Pour beaucoup de Musulmans, ce discours est perçu comme humiliant et discriminant. Les progressistes doivent savoir que l’attachement à la religion est profond mais plus encore comme le disait Marx, que la religion est souvent le langage qu’utilisent les dominés. Il faut être arrogant et prétentieux pour regarder cela de haut. Une fois dit cela, la gauche ne doit évidemment pas endosser les positions réactionnaires de l’islam, ou tant qu’à y être, de l’Église catholique par ailleurs.

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