Édition du 30 avril 2024

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Amérique latine

Perou : Ollanta Humala en Lula bis ?

Comme en 2006, le candidat nationaliste « de gauche » Ollanta Humala est arrivé en tête du premier tour des élections péruviennes. Lors du deuxième, le 5 juin, il devra en découdre avec Keiko Fujimori, la fille de l’ancien président condamné à 25 ans de prison pour corruption et pour avoir commandité des exécutions politiques.

En 2006, la radicalisation du discours d’Humala avait permis aux élites péruviennes de peindre le diable sur la muraille et d’assurer l’élection de leur candidat, Alan Garcia. Une raison pour l’ancien militaire de mettre de l’eau dans son vin pour gagner les faveurs du centre ?

Le quinquennat d’Alan Garcia aura été celui du miracle péruvien mais aussi celui de la brutale répression des mobilisations populaires, comme celle qui s’est abattue le 5 juin 2009 contre les populations indigènes de Bagua, dans le Nord Est.

Miracle ?

Le Pérou est, des pays de la région, celui qui a connu la plus forte croissance au cours des dernières années jusqu’à atteindre 8,9% en 2010. Mais il est aussi le pays qui investit le moins dans la santé et l’éducation.

Dopée par l’exportation de matières premières et par leur cours élevé sur le marché mondial, la croissance n’a pas profité à tout le monde. Au Pérou, un tiers des habitants vivent dans la pauvreté ; dans les zones rurales, c’est la moitié des gens qui sont pauvres. 10% de la population vivent dans une « pauvreté extrême » et quatre travailleurs sur cinq sont employés de manière informelle sans droits et sans sécurité sociale.

Quant aux bienfaits de la croissance, ils sont réservés à une petite minorité. D’après le doyen de la faculté d’économie de San Marcos, Humberto Campodónico « les profits ont augmenté en moyenne de 20% par an, ceux des multinationales, de 35 à 40%, tandis que les salaires restent bloqués au niveau de 1994 ».

C’est cette inégalité qui explique la chute de la popularité d’Alan Garcia qui aura été le président des privatisations et de l’attribution des terres, celles de l’Amazonie, aux multinationales. Et qui explique le besoin de changement largement ressenti.

Ce vent de changement est fort : d’après les sondages 80% des péruviens seraient favorables à des changements en profondeur qui touchent à la distribution des richesses. En particulier, est mise en cause la Constitution actuelle. Imposée en 1993 par Fujimori, elle ne visait pas seulement à en assurer la réélection. Elle définit aussi le cadre juridique de la mainmise des transnationales sur les ressources naturelles du pays. C’est une Constitution typiquement néolibérale.

Souveraineté nationale

C’est cette Constitution que des dizaines de syndicats -des travailleurs du pétrole et des mines, de la fonction publique-, d’associations étudiantes, de mouvements de défense des nations indigènes -d’Amazonie, de l’Altoplano-, des afro-descendants, de femmes et de jeunes appellent à réviser.

Plus concrètement, c’est un appel à l’élection d’une assemblée constituante « premier pas vers un nouvel ordre social dans un Pérou plurinational et interculturel » qu’ils ont lancé dans un manifeste rendu public à Lima le 5 avril.

Le manifeste systématise les revendications issues des mobilisations sociales et des grands mouvements qui se sont développés ces dernières années notamment en Amazonie, à Maquegua dans le Sud du pays et dans la ville andine d’Arequipa. Il revendique la souveraineté nationale sur l’ensemble des ressources naturelles et patrimoniales que sont le gaz, l’eau, les richesses de la forêt et du sous-sol ainsi que les ports et les aéroports. Il refuse le programme de construction de grands barrages qui détruisent l’espace vital des nations originaires et revendique pour celles-ci un « droit de consultation souverain » concernant leurs territoires.

Le manifeste, qui exige aussi la dénonciation des accords de libre échange déjà signés et un programme d’emplois et de retraites dignes, se termine sur un appel se mobiliser derrière Humala. Non seulement pour le faire élire contre la candidate des élites, mais surtout pour constituer le mouvement social capable d’imposer ces revendications.

Comme Lula ?

C’est d’autant plus important que, depuis le premier tour, Ollanta Humala ne cesse de modérer son discours afin de ne pas rééditer l’échec de 2006. Pour s’attirer la sympathie de l’ambassade US, des investisseurs étrangers et de l’église catholique, il a d’ores et déjà abandonné la revendication d’une Assemblée constituante.

Et alors qu’en 2006 il affichait ses sympathies pour Chavez, c’est désormais de Lula qu’il dit s’inspirer. Cette référence est aussi celle du groupe d’intellectuels « progressistes » qui l’entourent, jadis liés au gouvernement néolibéral de Toledo de 2001 à 2005.

C’est aussi l’option du doyen Campodónico, qui suggère à Humala « d’abandonner ses positions principielles et prendre exemple sur ce que fit Lula en 2002 quand il était craint par les patrons », soit de leur donner des gages. A moins que le mouvement populaire s’en mêle.

Et c’est de lui qu’ont peur les élites, plus que de Ollanta Humala.

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