Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

La nouvelle normale des extrêmes climatiques crée un appel d’air écosocialiste

Pour dompter la bête convergent grèves du secteur privé et Front commun

La terre-mère traverse l’été des extrêmes climatiques sans fin devenant la nouvelle normale. « Des vagues de chaleur généralisées et record en Amérique et en Europe ont fait les gros titres de la presse occidentale, comme on pouvait s’y attendre. Mais il en a été de même pour les températures étonnamment élevées en Chine, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ; des pluies torrentielles en Inde et en Corée du Sud et sur la côte est américaine [et au Québec et en Nouvelle-Écosse, NDLR] ; une tempête destructrice balayant les Balkans ; les incendies de forêt qui font rage sur les îles grecques [et partout autour de la Méditerranée comme au Québec et en Colombie britannique puis à Hawaï et dans les Territoires du Nord-Ouest , NDLR] ; et des températures de surface de la mer incroyablement chaudes. La différence cette fois-ci est que tous ces événements, dans tous leurs emplacements distincts, se produisent soudainement plus ou moins simultanément. […] La surabondance de temps extrême de ce mois-ci - qui a immédiatement suivi l’annonce que la température moyenne de la Terre le 3 juillet était la plus élevée jamais enregistrée - a déclenché une discussion sur la question de savoir si le monde est entré dans une nouvelle phase plus inquiétante du changement climatique. » (Rachel Dobbs, The Climate Issue, The Economist, 24/07/23)

« …la lutte contre les incendies devient également de plus en plus difficile parce que les incendies eux-mêmes changent. Ils produisent désormais des murs de fumée si épais que les avionsciternes ne peuvent parfois pas les traverser ; ils projettent des braises au-dessus de ce qui était autrefois considéré comme des coupe-feu infranchissables ; ils brûlent et couvent sous terre pendant l’hiver ; ils deviennent si chauds que les pompiers risquent des brûlures au deuxième degré rien qu’en s’en approchant. "L’équipement de lutte contre les incendies le plus puissant dont dispose l’homme - des avions Canadair qui coûtent environ 35 millions de dollars chacun et qui larguent 30 baignoires d’eau à la fois - peut éteindre des incendies d’une intensité allant jusqu’à 10 000 kilowatts par mètre de ligne de feu", a récemment écrit Henry Mance dans le Financial Times. "Les méga-incendies d’aujourd’hui sont d’un autre ordre de grandeur, dépassant parfois 100 000 kilowatts par mètre", soit dix fois plus intenses. L’eau déversée d’en haut peut s’évaporer avant d’atteindre le sol. Les méga-incendies produisent régulièrement de nouveaux systèmes de météorologie du feu, notamment ce que l’on appelle des nuages pyrocumulonimbus, accompagnés d’éclairs et fouettés par des tornades, qui peuvent projeter des aérosols toxiques à travers la troposphère jusqu’à la basse stratosphère. On a longtemps cru que seules les éruptions volcaniques en étaient capables. Ce n’est qu’en 1998 que les scientifiques ont découvert que les nuages pyrocumulonimbus issus des grands incendies en étaient également capables. Depuis le début de l’année, on en a dénombré 90 au Canada » (David Wallace-Wells,For all our plans to control emissions, humans are no longer fully in charge, New York Times, 26/07/23).

« Selon James Hansen, le scientifique américain qui a alerté le monde sur l’effet de serre dans les années 1980, le monde évolue vers un climat surchauffé jamais vu au cours des un million d’années qui ont précédé l’existence humaine, car "nous sommes de maudits fous" pour ne pas avoir donné suite aux avertissements concernant la crise climatique. » (Oliver Milman, ‘We are damned fools’ : scientist who sounded climate alarm in 80s warns of worse to come, The Guardian, 19/07/23). Bien que la majorité des scientifiques ne pensent pas que le monde ait encore atteint ce sommet, ils croient qu’il y sera d’ici la fin du siècle. Au Pliocène (il y a ± 3 millions d’années), « il faisait assez chaud pour que les hêtres poussent près du pôle sud et où le niveau de la mer était d’environ 20 mètres plus haut qu’aujourd’hui, ce qui noierait aujourd’hui la plupart des villes côtières. […] Les changements climatiques antérieurs […] ont entraîné des changements sur des milliers d’années. Mais […] la hausse actuelle se produit à un rythme jamais vu depuis l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d’années. "Ce n’est pas seulement l’ampleur du changement, c’est le rythme du changement qui est un problème", a déclaré Ellen Thomas, une scientifique de l’Université de Yale qui étudie le climat sur des échelles de temps géologiques. »

Du cul-de-sac de la consommation de masse à la folie du néolibéral « capitalisme pur »

« Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre » écrivait le philosophe Spinoza à l’aube du siècle des Lumières. Cette folie décriée par Hansen se comprend à l’aulne des lois du capitalisme qui comme jamais enserrent l’humanité au point d’étouffer jusqu’à cette superficielle démocratie parlementaire qui sert de succédané à celle réelle de la direction des affaires du monde, économie et science compris, par le peuple travailleur. On la nommait socialisme avant que la catastrophe staliniste du XXe siècle ne vienne briser cette grande espérance au point que le social-démocrate capitalisme keynésien ait pu s’y substituer comme grande illusion. Ce capitalisme dit progressif est une contradiction dans les termes. Soutenu par une économie de guerre permanente doublée d’un toxique consumérisme engluant prolétariat et État dans l’étau de la dette permanente, il a fini par s’enliser dans sa contradiction profit versus bien-être. Il en fut balayé par le néolibéral « capitalisme pur » du consensus de Washington. Ce dernier, à coups d’endettement faramineux masquant une austérité permanente, a pris le relais du consumérisme des dite trente glorieuses (1945-1975) pour plonger le monde dans l’enfer climatique annonçant à brève échéance la fin de ce monde ouvrant la voie aux austéritaires extrêmes-droites fascisantes.

La noyau dur de ce capitalisme pur réside dans ces conglomérats pétroliers qui animent le complexe auto-pétrole-maison unifamiliale lubrifié par le capital financier. « "Les bénéfices monstrueux" des géants de l’énergie révèlent une résurgence autodestructrice des combustibles fossiles » (Oliver Milman, ‘Monster profits’ for energy giants reveal a self-destructive fossil fuel resurgence, The Guardian, 9/02/23). Leurs profits faramineux font en sorte que « [l]es grandes compagnies pétrolières reviennent discrètement sur leurs engagements en matière de climat, alors que les records de chaleur mondiale tombent » (Dharna Noor, Big oil quietly walks back on climate pledges as global heat records tumble, The Guardian, 16/07/23). De toute façon, en ce qui concerne les sables bitumineux canadiens, « [l]a méthode de calcul des pétrolières sousestimerait largement les GES, dit une étude » (Radio-Canada, 24/04/23).

Cependant, on aurait tort de se fier aux gouvernements en place pour leur serrer la vis. Comme par hasard, « [l]es pays du G20 ne s’entendent pas sur un calendrier de réduction des énergies fossiles » (Agence France Presse, Radio-Canada, 22/07/23) : « …le PDG de la compagnie pétrolière des Émirats arabes unis Adnoc, Sultan Al Jaber, qui présidera les négociations de la COP28, a déclaré qu’il s’attendait à ce que les combustibles fossiles continuent à jouer un rôle, même réduit, avec l’aide – controversée – de dispositifs de captage ou de stockage du carbone. » Quant au Canada, suite à son annonce pleine de trous qui n’annule en rien ni les prêts aux pétrolières ni les généreuses subventions pour le captage et la séquestration de GES, il se vante d’être « le premier pays du G20 à mettre en avant un cadre pour l’élimination des subventions aux combustibles fossiles » (Valérie Boisclair, Ottawa annonce la fin des subventions « inefficaces » aux énergies fossiles, Radio-Canada, 24/07/23).

Capitalisme vert ou des hydrocarbures, deux régimes extractivistes menant vers la terre-étuve

N’arrive pas à se substituer à l’extractivisme (Colin Pratte, Économie 101 : qu’est-ce que l’extractivisme ?, IRIS, 25/01/23) des hydrocarbures, plutôt à s’y superposer, cet utopique et tout aussi extractiviste « capitalisme vert » annonçant une dystopie d’orgie de matériaux couvrant le globe de mines à ciel ouvert (lithium, graphite, cobalt, nickel, cuivre, métaux et terres rares) et de champs de centrales solaires et éoliennes à l’infini. Ce régime capitaliste, comme tous ceux relevant de ce mode de production, court après une inhérente croissance irrattrapable. Cette croissance est imposée par la loi fondamentale de la compétitivité entre capitaux privés, dussent-ils être des oligopoles mondiaux, pour la maximisation des profits. Animé par de névrotiques réseaux sociaux sous l’emprise grandissant de l’intelligence artificielle ce nouveau capitalisme accélère l’électronique obsolescence programmée. Ce faisant, ce capitalisme cache d’énergivores et gargantuesques fermes de serveurs en croissance exponentielle qu’annonce la technologie 5G (Stéphane Blais - La Presse canadienne, La 5G, à la croisée des chemins, Le Devoir, 7/03/22) sur fond du tout électrique à commencer par les véhicules privés des ménages. Cette transition de type « green new deal » qui mène chez le diable ne semble paradisiaque que parce qu’elle paraît être en mesure de délivrer l’humanité du cauchemar climatique.

Il s’agit d’un moment de réflexion pour réaliser que cette illusoire transition est un viol systématique de la terre-mère. Ce viol, iels étaient plusieurs centaines en plein été dans la Petite Nation « pour exprimer leur opposition au projet minier [de graphite] La Loutre de la firme britanno-colombienne Lomiko Metals » (Davide Busceni,Lac-des-Plages, L’info Petite Nation, 6/08/23). À une autre échelle, en Équateur ce dimanche le 19 août, la jeunesse, après avoir fait signer une pétition de près de 800 000 personnes et après une lutte acharnée contre le gouvernement en place, a imposé un référendum d’application obligatoire « qui décidera si le pays doit continuer à forer du pétrole dans l’un des endroits les plus riches en biodiversité du monde » (Manuela Andreoni, Will Ecuador leave its oil in the ground ? Voters will decide, New York Times, 17/08/23). Ce viol déguisé en pseudo transition devra carburer aux énergies fossiles qui composent toujours 80% du portefeuille énergétique mondial et qui n’arrivent pas à plafonner cette fois-ci sous prétexte de la guerre contre l’Ukraine. Ce sera pire que jamais pour se retrouver bien au-delà de tous les points de bascule (fonte des glaciers et du pergélisol, mort de coraux) menant inexorablement vers la terre-étuve (André Duchesne, La Terre au seuil de cinq points de bascule, La Presse, 10/09/22).

En découle une course compétitive entre le complexe auto-pétrole-maison unifamiliale et celui VUS-électricité-McMansion. Tous deux déploient un étalement urbain des suburbs (banlieues) vers les exburbs (Wikipédia). Cette course macabre est alimentée par un avide capital financier dépendants de plus en plus de la propriété immobilière, aux dépens des loyers (Zacharie Goudrault, La financiarisation des logements plus importante que l’on croyait à Montréal, Le Devoir, 21/03/23) et des infrastructures attenantes (Pierre Dubuc, La reprise passera par la Banque de l’infrastructure du Canada, L’Aut’Journal, 28/04/20). L’aigue crise du logement s’explique par l’intersection de sa financiarisation, de l’aggravation de la rente foncière causée par l’intensification de l’urbanisation —selon Soumissions Maison, « les prix des terrains ont fortement augmenté dans la majorité des grandes villes québécoises entre 2000 et 2023 »—, de l’augmentation du prix du bois de construction (Trading Economics –Lumber- All years) due au pillage de la forêt que risque d’empirer la généralisation des incendies, de l’augmentation des taux d’intérêt et, last but not least, de l’abandon des programmes de construction de logements sociaux au profit de logements dit abordables. Côté alimentation, l’agro-industrie au dominant régime carnivore pave la voie aux GES (Gary Dagorn, Pourquoi la viande est-elle si nocive pour la planète ?, Le Monde, 11/12/18) et par leur intermédiaire aux zoonoses (Mélanie MelocheHolubowski,Les changements climatiques risquent de provoquer une multiplication des pandémies, Radio-Canada, 5/06/22) et qui en plus nous empoisonne avec ces aliments ultratransformés (Ximena Sampson, Ces aliments ultratransformés qui peuvent nous rendre malades, Radio-Canada, 6/06/23).

Acculés au mur des catastrophes climatiques surgissant de partout, les gouvernements intrinsèquement au service du capital n’en ont plus que pour subventionner le verdissement des profits (Alexandre Shields, Une nouvelle forme de subvention aux énergies fossiles au Canada ?, Le Devoir, 30/03/23) tout en les garantissant (Mathieu Dion, REM : Québec paierait 3 fois l’investissement de la Caisse, selon une étude, Radio-Canada, 14/05/21) et pour les urgences climatiques qui se multiplient y inclus pour l’adaptation (Alexandre Shields, La crise climatique provoquera des coûts « astronomiques » pour le Canada, Le Devoir, 2/06/21). En font les frais les services publics et les programmes sociaux annonçant une politique d’austérité permanente qui ne pourra être maintenu que par un durcissement autoritaire de l’État dont les exemples abondent à travers le monde. Pendant ce temps, le mur à mur des extrêmes climatiques provoque l’inflation alimentaire permanente (La Presse canadienne, L’inflation des prix des aliments ralentit, mais les prix ne devraient pas baisser, Radio-Canada, 17/06/23) au point qu’on parle désormais de « heatflation » (Lisa Mendes,‘Heatflation’ warning as 2022 EU crop harvests affected by climate change, Trade Finance Global, 27/02/23), vague sur laquelle surfent les grands épiciers et l’industrie alimentaire (La Presse canadienne, Les profits de Loblaw en hausse de 31,3%, Le Devoir, 27/07/23).

La société de prendre soin des gens et de la terre-mère raccorde plein emploi et pleine démocratie

À moins d’être fasciné par la transition cul-de-sac du croissanciste Green New Deal qui mène l’humanité d’un cul-de-sac à un autre tout en n’évitant pas le premier, s’impose la rupture anticapitaliste pour garrocher aux vidanges une fois pour toutes cette maudite croissance que l’on croit, ou plutôt que le capitalisme nous fait croire à tort, indispensable au bonheur. Sauf le capital, à commencer par celui financier qui y emprisonne le peuple travailleur dans le piège de l’endettement, qui a prétendu que l’habitat heureux requérait une maison individuelle, la libre mobilité par une automobile ou pire encore ? L’écoénergétique habitat collectif et social partout (et l’isolation-rénovation des bâtiments existants) tout comme le transport actif et collectif gratuit jusqu’au moindre village (et l’électrification du transport des marchandises prioritairement ferroviaire au volume fortement réduit sur des circuits courts) dans un environnement de services de proximité et de verdissement urbain procure un bonheur libérateur des fins de mois tout en évitant la fin du monde. Qui a dit que se nourrir convenablement réclame un régime carné imposé par l’agro-industrie alors que ses émissions de méthane (Damian Carrington, Meat, dairy and rice production will bust 1.5C climate target, shows study2, The Guardian, 6/03/23) mènent à elles seules à un dépassement des seuils de dangerosité climatique ? La disponibilité retrouvée des sols et de l’eau accaparés par ce régime faciliterait grandement tant la pénétration de l’agriculture biologique que les trajets courts et l’agriculture urbaine requis par la souveraineté alimentaire. L’indice économique déterminant de cette société pro-climat en est la réduction drastique de la consommation énergétique par personne et non l’intensité de son électrification.

Quant au plein emploi suffisamment rémunéré, nul besoin de croissance pour l’atteindre mais plutôt d’un partage égalitaire du temps de travail nécessaire d’autant plus réduit que la consommation l’est par suite de la disparition des deux mamelles de la consommation des ménages soit la maison individuelle et le véhicule privé. En serait libéré le temps tant pour la science et l’art que pour la gestion démocratique de la cité. La maximisation de la démocratie participative dont celle directe dans les unités de base productives, résidentielles, d’études et de services, tout comme le contrôle effectif des personnes élues par la démocratie représentative, ne pourront donner leur plein potentiel que si le peuple travailleur dans sa grande majorité dispose du savoir, de l’information et surtout du temps nécessaire pour se consacrer à discuter et mettre en place un plan économique et social et à le réaliser.

Autrement, il y aura toujours place pour l’emprise tentaculaire de la bureaucratie s’immisçant dans les rouages du fonctionnement démocratique pour se substituer au peuple travailleur accaparé, débordé et fatigué par le train-train de la vie quotidienne tant avant et une fois passé le moment révolutionnaire. C’est sans doute là la tragédie du socialisme du XXe siècle. La victoire contradictoire du « socialisme dans un seul pays » soit le socialisme national miroir inversé du national-socialisme, a happé la révolution victorieuse. En a découlé la persistance de la course à la productivité, perdue d’avance sans l’obligation du profit maximum propre au capitalisme. La planification verticaliste au profit de la caste bureaucratique ne pouvait s’y substituer. Elle génère plutôt une société coercitive et corrompue menant à la stagnation. Était ainsi perdue d’avance la course aux armements imposée par l’impérialisme étatsunien.

Ce plein emploi écologique permet de travailler pour vivre et non, comme l’exige le moloch capitaliste, de vivre pour travailler… afin de créer une plus-value sans cesse croissante. Cette société pro-climat (re)découvrant le temps de bien vivre allègerait d’autant la pression sur le pillage et la dévastation des écosystèmes. Il donnerait le temps et la disponibilité d’esprit de prendre en charge et soutenir comme il se doit les enfants, les gens âgés, les malades. Sans compter que le rejet du canon de la maximisation de la productivité du travail contribuerait à solidariser les rapports sociaux sans jugement sur la « juste part » de chacun et chacune par le capitalisme. On pense ici aux personnes handicapées.

En un mot, le plein emploi écologique est la prémisse pour construire une société de prendre soin des gens et de la terre-mère. Mais pour y parvenir, il faut d’abord et avant tout faire sauter le goulot d’étranglement de la domination du capital, à commencer par l’expropriation immédiate du capital financier, qui a précipité l’humanité dans le trou noir de l’Anthropocène — « une proposition d’époque géologique qui aurait débuté quand l’influence de l’être humain sur la géologie et les écosystèmes est devenue significative à l’échelle de l’histoire de la Terre » (Wikipédia) — que d’aucun appelle Capitalocène — « … désignant sensiblement la même réalité phénoménologique que le concept d’Anthropocène, sous-tend cependant que c’est le capitalisme en tant que système économique et organisation sociale du monde qui est principalement responsable des « dérèglements » environnementaux actuels, et non l’humanité dans son ensemble » (Wikipédia).

Une société de prendre soin réaliste et bon marché qui libère des dette

L’humanité possède déjà entre ses mains tous les outils techniques et scientifiques nécessaires à la construction de cette société de plein emploi écologique même si les innovations technologiques peuvent contribuer à hâter son avènement et à réduire une fois établie le temps de travail social nécessaire à la satisfaction de ses besoins pour se reproduire dans la solidarité et le respect de la nature. Il y a en ce moment suffisamment de microréalisations, notamment dans le domaine agricole (agriculture urbaine et écologique maraîchère) mais aussi pour le bâtiment (zéro consommation énergétique), le transport (équipement de transport actif et collectif) et bien sûr énergétique (éolienne, solaire, géothermique) pour convaincre qui que ce soit de la faisabilité technique et économique de cette société.

Cette société climatique, soit dit en passant, est meilleur marché qu’une de consommation de masse. Par exemple, il est bien moins coûteux, tant au niveau du budget de l’État qu’à celui du ménage, d’éliminer les véhicules privés du système routier tel qu’il est pour permettre la circulation fluide d’un système de transport collectif gratuit jusqu’au moindre village, plus un complément communautaire d’autopartage, que d’abandonner ce réseau aux véhicules privés puis d’empêcher sa congestion par un dispendieux réseau de métros sous terre et de trains aériens dans les airs. Il en est de même pour l’habitat collectif / communautaire par rapport à l’habitat solo. En plus d’être un traumatisme budgétaire tant pour le ménage que pour les municipalités, cet habitat englue le peuple-travailleur dans l’individualisme de la propriété privée et l’endettement prolongé qui fait obstacle à la mobilisation gréviste par peur de perdre l’acquis cumulé durant des années.

Plus le capitalisme néolibéral enserre le peuple-travailleur dans les griffes de l’endettement hypothécaire et dans le régime capitalisé des pensions, ce qui les lie au rendement du capital même si c’est paradoxalement à l’encontre de l’augmentation des salaires pour pouvoir payer les hypothèques, plus renverser le capitalisme devient impérieux. L’enjeu « socialisme ou barbarie », sans disparaître, au contraire en s’envenimant, se mue en enjeu « socialisme ou humanicide » au fur et à mesure de la transition du trot en galop anthopocénique vers la terre-étuve.

La lutte climatique passe par la victoire anti-impérialiste et démocratique du peuple ukrainien

La multiplication des régimes fascisants et non pas des moindres (Chine, Russie, Inde, Italie…) au point que la contradiction inter-impérialiste majeure et grandissante entre les ÉU et la Chine pourrait se transformer en contradiction fascisme-antifascisme dont la guerre russe contre l’Ukraine pourrait devenir la porte d’entrée. D’où la tâche cruciale pour la gauche de soutenir l’anti-impérialiste guerre de libération nationale du peuple ukrainien y compris son droit de se procurer des armes du niveau requis où c’est possible quelle que soit la motivation des pourvoyeurs. Cet appui n’empêche en rien, plutôt le contraire, de critiquer le néolibéralisme du gouvernement ukrainien qui nuit à la solidarité nationale exigée par l’effort de guerre.

L’enveniment des rivalités impérialistes marque une nouvelle ère de l’impérialisme dit « multipolaire », soit la transformation d’un monde post-soviétique dominé sans rivalité par l’impérialisme étatsunien à un monde où le pôle étatsunien dominant est contesté par des impérialismes et sous-impérialismes rivaux majoritairement autoritaires. Ces rivalités sont en voie de devenir l’enjeu majeur des relations internationales ce qui mondialement fait le jeu du militarisme et de la prédominance de la dite sécurité sur les droits humains. Une victoire contre l’impérialisme russe fascisant soutenu par celui chinois dictatorial et répressif serait une victoire contre l’impérialisme dans sa totalité et contre la montée du fascisme partout.

L’impérialisme étatsunien a démontré par son aide militaire limitée, que le peuple ukrainien doit lui arracher par sa détermination et par sa solidarité, qu’il ne souhaite pas une victoire populaire anti-impérialiste mais un match nul affaiblissant le camp adverse. Comme pour la Syrie, une victoire populaire pouvant déboucher sur tous les possibles est vue comme pleine de dangers par les puissances impérialistes quelle qu’elle soit, davantage qu’une victoire d’un impérialisme ennemi. Les ÉU et l’OTAN en 2014 ont laissé faire sans forte réaction l’annexion de la Crimée et d’une partie de l’Est ukrainien tant il concédait à la Russie le droit de faire la pluie et le beau temps dans sa zone d’influence de l’ex-URSS moins les pays baltes. À ce point que l’OTAN, suite à la débandade afghane, était en état de débandade avant d’être ressuscité par la guerre de Poutine invoquant une non-nation ukrainienne nazie appartenant de droit à la grande Russie.

L’hypocrisie étatsunienne et de ses alliés dont le Canada est aussi démontré par le refus d’armer la lutte héroïque du peuple birman contre son gouvernement militaire barbare soutenu par les impérialismes chinois et russe. Qui dit que les ÉU ne rejoindront pas le camp fascisant au train où se déroule la course à la présidence étatsunienne tellement l’étroite démocratie néolibérale pave le chemin vers le fascisme. Il y a là la hantise d’un monde fasciste qui remplace l’ennemi capitaliste par son succédané identitaire, des personnes immigrées et racisées aux femmes en passant par les gens LBGTQ+. Cette déshumanisation collective conduit à des conflits et des guerres cauchemardesques, comme en ce moment en Éthiopie ou au Yémen, enterrant tant la lutte climatique que celles sociales et sociétales.

Contre l’apocalypse surgit les soulèvements depuis 2011 que la gauche occidental ne voit point

Si l’horloge de l’apocalypse n’a jamais été aussi proche de minuit depuis 1947, c’est que le danger du cataclysme nucléaire s’alimente de la crise climatique : « Outre la guerre en Ukraine et le danger nucléaire, les scientifiques ont pris en compte "les menaces persistantes représentées par la crise climatique" ainsi que le fait que les "évènements dévastateurs, comme la pandémie de COVID-19, ne peuvent plus être considérés comme des faits rares n’arrivant qu’une fois tous les cent ans". Le groupe d’experts a aussi évoqué la désinformation et les technologies de surveillance » (Inès Bel Alba - Agence France-Presse, L’horloge de l’apocalypse jamais aussi proche de minuit, La Presse, 24/01/23). À la chute dans le trou noir de l’auto-anéantissement les peuples y résistent depuis le dit printemps arabe de 2010-2011, en réaction à la profonde crise socio-économique de 2007-2009, qui a depuis lors essaimé à travers le monde mais sans jusqu’ici de percée révolutionnaire mais plutôt des revers douloureux. Il faut sans doute beaucoup d’échecs à la 1905 pour que les peuples travailleurs réapprennent une stratégie nouvelle pour un socialisme nouveau réconcilié avec la terre-mère et débarrassé du bureaucratisme afin de déboucher sur un 1917 qui se mondialise et qui devienne une révolution permanente.

Le monde occidental, imbu de lui-même de par son passé colonialiste, a besoin d’écarquiller les yeux pour apprendre de ces expériences de soulèvement. « Les révolutions qui ont débuté en 2011 dans la région [Moyen-Orient] ont connu deux années de montée, avec des millions de personnes de la classe ouvrière descendant dans les rues, occupant les places et renversant des dictateurs soutenus par l’impérialisme comme Ben Ali et Moubarak, et créant une situation de quasi-double pouvoir en Syrie dans les zones contrôlées par les rebelles. » Mais pendant que les pays impérialistes et leurs sous-fifres appuyaient soit le régime sanguinaire de la dictature Assad soit des groupes djihadistes tout aussi meurtriers, la gauche mondiale, à commencer par celle des pays impérialistes, laissaient tomber les peuples soulevés alors qu’« une situation prolongée de double pouvoir ne peut être maintenue, car elle ouvre la porte à la contre-révolution et à la répression brutale » (Shireen Akram-Boshar, Révolte et réaction : leçons des luttes au Soudan, en Syrie et en Palestine, Spectre par ESSF, 20/06/23).

Pire encore, une grande partie de cette gauche soi-disant anti-impérialiste, vautrée ou dans un campisme réactionnaire (Bernard Dreano, Le « campisme » : une vision binaire et idéologique des questions internationales, Blog de Médiapart, 16/08/18) ou dans un pacifisme métaphysique soutenait le régime Assad ou renvoyait dos-à-dos les belligérants sans en distinguer le camp démocratique livré à lui-même. Le Soudan qui plonge en ce moment dans la guerre civile entre factions militaires soutenues par divers grandes et petites puissances semble bien oublié par cette gauche qui abandonne à leur sort les désarmés et démunis comités de résistance de quartiers qui tentent désespérément d’assurer un minimum de services essentiels.

Une absente « grève politique de masse » que l’absent parti anticapitaliste ne propage pas

Manque à ces « situation[s] de quasi-double pouvoir » assises sur des comités citoyens populaires son complément essentiel de « grève politique de masse » mis en lumière par Rosa Luxemburg (Ernest Mandel, Rosa Luxemburg et la social-démocratie allemande, Quatrième Internationale, 1971, no 48) leur assurant un indispensable noyau prolétarien. Cette grève ne se décrète pas mais advient non cependant spontanément à partir de rien. Elle surgit sur fond de la présente polycrise (Éric Desrosiers, Bienvenue à l’ère des polycrises, Le Devoir, 6/01/23) suite à un travail d’éducation sur la possibilité et la faisabilité d’une société anticapitaliste et féministe de prendre soin des gens et de la terre-mère assurant le plein emploi écologique. Cette lumière au bout du tunnel, combinée à l’urgence de la lutte pour la survie, contribue à susciter une série de grèves économiques « spontanées » surtout pour des hausses salariales anti-inflation et pour la sécurité d’emploi anti-sous-traitance et anti-automation.

Cette dimension éducative, assurée par un parti implanté dans le mouvement prolétarien et populaire et ses luttes, est indispensable à la fois pour durer face à l’adversité de l’opposition patronale et gouvernementale, qui deviendra fort répressive, et surtout, aiguillonnée par cette résistance affairiste, pour politiser ces grèves. Ainsi, elles peuvent se transformer en grève politique de masse. Comme une hirondelle ne fait pas le printemps, cette grève ne crée pas de soi une situation révolutionnaire. Mais si elle est animée par des comités de grèves se réunissant quasi quotidiennement, au besoin à l’encontre de directions syndicales bureaucratisées et sclérosées, qui se fédèrent géographiquement et sectoriellement, elle aboutit à une situation prérévolutionnaire où « l’évolution se transforme en révolution ». La conquête du pouvoir étatique devient alors une question de stratégie et de tactique pour laquelle l’histoire a prouvé qu’il faut un parti capable de tirer les leçons de l’histoire locale et mondiale des grandes luttes des peuples travailleurs.

La montée des grèves du secteur privé crée les conditions d’un nouveau Front commun 1972

Le Québec a connu il y a un demi-siècle une grève politique de masse soit le Front commun de 1972. Ce Front est parvenu jusqu’aux portes d’un pouvoir alternatif au point d’obliger le gouvernement Libéral de l’époque, avec l’appui du jeune PQ et avec la connivence des directions syndicales, à faire des concessions économiques majeures. Au nom de la bourgeoisie, le gouvernement Bourassa, qui en sous-fifre du gouvernement Trudeau avait réglé manu militari la crise d’Octobre en 1970, imposa une loi spéciale de retour de travail au Front commun de 210 000 membres ce à quoi se plia illico les directions syndicales malgré un désaccord de la majorité des instances consultées. Comme c’est souvent le cas, cette victoire patronale initiale galvanisa l’apeurée bourgeoisie vengeresse. Elle emprisonna pour six mois une quarantaine de dirigeants et dirigeantes des syndicats dont les trois chefs des centrales pour un an sous le prétexte qu’ils avaient invité à défier les injonctions précédant la loi spéciale. Mal lui en prit. Bientôt 300 000 membres des syndicats tant du public que du privé, bénéficiant d’un fort appui populaire, prirent la rue jusqu’à contrôler certaines villes moyennes sur la Côte Nord durant une journée et certains poste de radio dont à Québec et à Montréal pendant au moins quelques heures. Redécouvrant leur sens de l’État garant de la loi et de l’ordre, les chefs syndicaux se négocièrent une sortie de prison en retour de fortes concessions économiques. La loi et l’ordre restaurées, l’État les renvoya en prison sans que personne ne s’en émeuve outre mesure.

Comme il y a 50 ans, toutes choses égales par ailleurs, la combativité syndicale prend de la vigueur avec un appui populaire soufflant dans ses voiles. « Aux États-Unis, les syndicats sont plus populaires qu’à n’importe quel moment depuis 1965, avec 71 % de soutien. [...] Le Canada a connu le plus grand nombre de jours de grève perdus en 2022 depuis 2009. Cette reprise des grèves a été menée par les travailleurs du secteur privé, avec le plus de jours perdus en plus de 20 ans. La grève de l’AFPC de cette année, la première depuis 2004 et de plus longue durée, poussera probablement les chiffres de 2023 à un niveau similaire à celui de 2022. » (Bill Hopwood, Workers Strike Back !, Socialist Alternative, 1/08/23). S’y ajoutent la grève en cours dans 27 magasins Métro à Toronto et celle terminée des ports de Colombie britannique. On note que plusieurs de ces grèves sont tenaces soit en longueur soit par le rejet par la base syndicale des offres acceptées et recommandées par les directions syndicales. Celle des débardeurs de la Colombie britannique est la dernière en date afin d’arracher in extremis des concessions sur la sous-traitance et l’automation. Le gouvernement fédéral Libéral, minoritaire mais soutenu par le NPD, n’ose plus obliger le retour au travail par une loi spéciale comme il l’a fait envers les débardeurs du Port de Montréal en 2021 et les postiers en 2018. Ce n’est pas seulement par électoralisme mais par crainte d’une étincelle qui mettrait le feu à toute la plaine étant donné la colère sous-jacente du peuple travailleur.

Le gouvernement fédéral, aux abois, tergiverse à cause d’une plus-value directement menacée

Il n’est pas sans intérêt que ce soit le secteur privé qui soit à l’offensive car c’est de son travail qu’émane l’essentielle plus-value, soit la part non payée extraite du travail « productif », finançant directement ou indirectement — en imposant et taxant les salaires — les dépenses étatiques nécessaires à la reproduction capitaliste à commencer par l’armée et la police mais aussi les services publics nécessaires à la reproduction de la force de travail. En plus, une portion grandissante de cette plus-value doit être transférée au pléthorique capital financier et commercial étant donné la réalisation (la vente) sans cesse plus difficile de la marchandise produite ce qui nécessite de faibles marges des ventes de masse par les grandes surfaces ou/et de crédit abondant issu des banques. S’y ajoute dorénavant une portion croissante qui doit être cédée au secteur privé des services aux personnes suite à l’austérité étatique sans compter le recours plus important au travail gratuit des femmes.

Le capitalisme tente de se tirer d’affaire en transformant le régime néolibéral par une « [f]uite en avant vers le capitalisme vert et une économie de guerre » (Marc Bonhomme, Presse-toi-àgauche, 21/03/23) afin de regénérer la production privée de marchandises sonnantes et trébuchantes seule capable de hausse de productivité tels les véhicules électriques et les équipements d’énergie renouvelable. Mais une proportion substantielle, tels les équipements de séquestration et captage de CO2 et autres de géo-ingénierie, ne contribuent en rien à la reproduction de la force de travail si ce n’est à la pressuriser davantage par l’intermédiaire des subventions étatiques à l’entreprise privée. On reste abasourdi de l’ampleur des subventions gouvernementales pour les usines de Ford et GM au Québec, et Volkswagen et Stellantis en Ontario, dans le sillage de la loi américaine sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act ou IRA). On ne parle plus de millions ni même de centaines de millions mais de quelques milliards de dollars pour des multinationales mettant en compétition les gouvernements les uns contre les autres pour assoir la filière électrique dans son patelin national. Raison de plus pour crever l’abcès de la grande illusion de l’extractivisme tout électrique comme alternative à l’extractivisme des hydrocarbures.

Le gouvernement fédéral, sous intense pression du monde des affaires, a fait des pieds et des mains pour arrêter les grèves de débardeurs car le transport des marchandises est aussi producteur de plus-value étant donné qu’une marchandise doit être transportée à son lieu de consommation pour être utile. Ce n’est pas un hasard non plus que le gouvernement du Québec, en 2012, avait toléré pendant des mois la grève étudiante mais qu’il ait forcé, illégalement, le retour au travail des travailleurs de la construction en 2017 après seulement quelques jours. Fouettés par une inflation alimentaire structurelle due à la généralisation mondiale des sécheresses et inondations, le réveil des travailleuses et travailleurs du secteur privé, à l’encontre souvent de leurs directions syndicales qui arrivent mal à les discipliner, pourrait annoncer au Québec, en symbiose avec le Front commun, un retour de la grève politique de masse, dite « grève sociale », s’il y a convergence.

Contre le creux de 2020, un Front commun recomposé et radicalisé mais sans base organisée

L’occasion en est le retour du Front commun regroupant 420 000 travailleuses et travailleurs, soit 10% de la force de travail du Québec, dont la convention collective est échue depuis mars et qui normalement doivent la renouveler d’ici la fin 2024. La revendication clef est grosso modo une indexation des salaires au coût de la vie plus un rattrapage de 2 à 4% l’an sur trois ans. L’offre salariale gouvernementale est de 9 % sur 5 ans alors que l’inflation a été de 6,7 % uniquement pour l’année 2022. Difficile de croire qu’il n’y aura pas un clash débouchant sur la grève.

Suite à la débandade de 2020 où pour la première fois en près de 50 ans le Front commun ne s’était pas reconstitué, le sourd mécontentement de la base syndicale a pressé les directions syndicales à rapidement le reconstruire puis à revendiquer des hausses salariales radicales aptes à la rétention et au recrutement. Car la stratégie du gouvernement de la CAQ, comme partout ailleurs dans le monde, austérise les services publics pour créer une opinion publique favorable à la privatisation… et à financer le tout électrique. Ce qu’a parfaitement compris et la corporation privilégiée des médecins qui quittent à la pelle le régime public et le gouvernement qui laisse aller à la dérive le système éducatif public en subventionnant généreusement les écoles privées et en segmentant le système public en fonction de la performance… et du portefeuille. On ne peut que regretter que le Front commun ne prenne qu’indirectement en compte cette réalité en n’avançant pas des revendications aussi précises que celles salariales sur les quotas, les planchers d’emploi par secteurs et sur les embauches supplémentaires sans lesquels il est vain de s’attaquer au temps supplémentaire obligatoire et aux journées sans fin des enseignantes. Avouons aussi que l’absence des infirmières (et des médecins contrairement à maints pays européens où ils sont salariés et syndiqués), tout comme du corps enseignant montréalais n’est pas sans affaiblir ce Front.

Le 23 septembre prochain est le premier rendez-vous du Front commun dans la rue… et espérons-le avec une foule d’organisations et de personnes alliées. Est-ce que ce sera assez enthousiasmant pour inciter les membres à la base à commencer à se réunir plus fréquemment en assemblée générale — le cas échéant en intersyndicale par institution ou groupe d’institutions — pour se doter d’un plan d’action ? Ou bien est-ce que ce sera l’habituel suivisme vis-à-vis les hautes directions syndicales jusqu’à ce qu’elles plongent dans la déprime la base militante par l’habituel coup fourré de connivence avec les négociateurs patronaux ? En tout cas le gouffre entre demande syndicale et offre patronale déroule le tapis pour encourager la vigilance et l’auto-organisation. Mais c’était aussi le cas lors de lutte épique contre le réforme des retraites en France sans que démarre en grand l’auto-organisation malgré leur front commun unitaire par en haut, ce qui a valu une défaite malgré l’ampleur des mobilisations mais sans grève reconductible toutes et tous ensemble.

Il n’y a cependant pas de spontanéisme vers cette issue heureuse sans l’agitation dans ce sens d’un noyau militant organisé qui paraît en ce moment inexistant… mais peut-être se fait-il pour l’instant publiquement discret en procédant en sous-main comme une taupe. Difficile aussi, sans ce noyau, au groupe Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) d’intégrer dans la convention collective l’exigence de comités paritaires pour la carboneutralité, revendication critiquable par son caractère concertationniste, ou encore la gratuité du transport en commun pour les membres et la gent étudiante. C’est là habituellement la tâche d’une gauche syndicale structurée ou même d’un parti de gauche « de la rue et des urnes ». Mais pour l’instant Québec solidaire n’a même pas appuyé les revendications salariales du Front commun pourtant connues depuis des mois. Ce serait là la première tâche de son réseau militant intersyndical. Le parti et sa militance sont plutôt obnubilés par l’élection partielle dans Jean-Talon et par le débat sur les statuts dont la révision est prévue au prochain congrès. La lutte sociale est reportée à un autre jour ou quand son ampleur l’imposera qu’on le veuille ou non.

La lutte du Front commun, politique dès le début, impose un discours et une action en conséquence

Un syndicalisme de gauche organisé peut se substituer à un parti de gauche pour radicaliser / démocratiser la lutte du Front commun jusqu’à une grève illimitée qui défie la loi des services essentielles. Comme une telle grève ne s’attaque pas au profit capitaliste mais plutôt interrompt les services publics, elle se doit de gagner l’appui populaire en étant comprise comme un mal pour un bien. Pour cela, elle se doit d’être pro-active en paroles comme en action : expliquer médiatiquement et par des tracts et par internet, sur les lignes de piquetage, dans les lieux de passage et de rassemblement et par des blocages filtrants, aux patients, étudiantes, parents et grand public que les conséquences de la grève seront des services publics améliorés. Ce pour quoi un élargissement vers des revendications concrètes et compréhensibles au-delà de celles salariales serait d’une grande utilité. L’idéal, qu’il ne faut pas taire sous prétexte d’utopisme, serait l’occupation de (certains) lieux de travail pour fin de démonstration de services publics dignes de ce nom. Inutile d’ajouter qu’il reviendrait aux Solidaires d’organiser une telle gauche syndicale… et aux anticapitalistes d’inciter le parti à y voir.

La lutte du Front commun est dès le début une lutte politique. Elle met en jeu non pas directement la création de plus-value mais, à cause de son ampleur, le niveau social des salaires, c’est-à-dire le niveau du taux d’exploitation et par là le taux de profit moyen. Elle affecte la distribution du revenu national par son impact sur le budget public et sur la fiscalité. Raison de plus pour Québec solidaire de la mettre au centre de sa politique dans la prochaine période… et aussi pour les anticapitalistes. Dans le cadre de la polycrise dont le noyau est la crise climatique / biodiversité, il revient tout spécialement au parti, et encore plus aux anticapitalistes, de rendre évident la dimension lutte climatique, et par là indépendantiste et féministe, de la lutte du Front commun.

L’indépendance est la clef non seulement pour se libérer de l’axe financier-pétrolier Toronto-
Calgary qui empêche toute lutte climatiques conséquente au sein du Canada. L’histoire du Canada comme prison des peuples, ou colonialiste, a ancré dans la conscience populaire le mépris fédéraliste menant à la non-reconnaissance nationale ce qui a fait le lit du Quebec bashing bloquant l’unité combative populaire dans le cadre canadien. Une percée québécoise pro services publics, lesquels demeurent plus développés que ceux canadiens, serait le meilleur service que le peuple québécois puisse rendre au peuple canadien et à sa lutte climatique. Ajoutons que maintenant que le ministre manitou de l’économie avance qu’il faut réduire de moitié la flotte des véhicules privés même électrifiés — en effet le Québec ne fabrique pas de véhicules individuels mais des équipements de transport collectif — on peut peut-être parler d’avance climatique.

Le Front commun, au cœur de la société de prendre soin, est intrinsèquement une lutte féministe

Des services publics complets, gratuits et à la pointe de la technologie, y compris pour le transport, sont au cœur d’une société écoféministe de prendre soin des gens et de la terre-mère. Ces services requièrent un minimum d’énergie mécanique, et encore moins fossile, et un maximum d’énergie humaine. Cette énergie se déploie non pas vis-à-vis des objetsmarchandises aliénantes mais vis-à-vis des personnes en besoin et en attente d’une relation chaleureuse ou compatissante, d’où la nécessité d’y mettre le temps, alors que l’État-patron, et encore plus la patron privé, y voit des personnes-objets pour lesquelles il faut minimiser le temps de la relation quand ce n’est pas de chosifier la relation par des abus de médicaments et des cours en ligne. Le capitalisme intrinsèquement patriarcal, incapable de complètement réifier, pour les transformer en marchandise, les rapports humains surtout les plus intimes, les a refoulés dans la sphère domestique pour que les femmes s’en chargent gratuitement, reliquat de l’esclavagisme qui a si bien servi l’accumulation primitive du capital.

Le capitalisme, en mal de nouvelles sources de profit, a eu beau réifier partiellement (appareils électro-ménagers) ou complètement (mets préparés) un grand nombre de tâches domestiques souvent à moindre qualité et le prolétariat lutter pour les socialiser dans les services publics, la reproduction de la force de travail reste en grande partie confinée à la sphère domestique. S’ensuit que lorsque ces rapports non-marchands se transposent aux services publics y prédomine l’embauche des femmes pour maintenir de bas salaires et de mauvaises conditions de travail malgré la syndicalisation. Et, souvent sans syndicalisation, c’est pire dans le commerce au détail, en voie de numérisation afin de pouvoir les transformer en gigantesques entrepôts sans rapports humains mais sous étroite surveillance électronique, et dans la restauration et l’hôtellerie où l’on retrouve un grand nombre des femmes racisées.

Le capitalisme du XXIe siècle non seulement précipite-il l’humanité vers la terre-étuve mais il ne sait plus satisfaire ses nouveaux besoins en services publics ou autres sans tenter de les réifier à rabais ni répondre écologiquement à ses besoins de base en alimentation, en logement, en transport et même vestimentaires. Appellent à un renversement urgent du capitalisme tant l’agro-industrie carnée que les banlieues étalées de maisons hors prix et dévoreuses de terres agricoles et de zones naturelles et les blocs-appartements producteurs de rentes en passant par un transport de véhicules privés polluants, encombrants et coincés dans le trafic et de vêtements jetables produits par une force de travail féminine surexploitée. C’est ce message fondamental de faillite du capitalisme et de son remplacement par une société de prendre soin des gens et de la terre-mère assurant le plein emploi écologique que plusieurs appellent écosocialiste, et qui englobe certainement l’écoféminisme, que les anticapitalistes du Québec ont à propager au sein du Front commun. Loin d’être un discours facultatif, celui-ci fournit l’indispensable perspective qui motive pour oser entreprendre une dure et longue lutte comportant mille et un risques tout en libérant tous et chacune d’un écrasant poids lourd qui écrase l’âme.


AUJOURD’HUI, LES ANTICAPITALISTES DU QUÉBEC SONT DISPERSÉS EN PETITS GROUPES, QUI SOUVENT PRÊCHENT POUR LEUR PAROISSE, ET EN ATOMES LIBRES ET IMPUISSANTS. CERTAINS SONT MEMBRES DE QUÉBEC SOLIDAIRE, D’AUTRES NON. SI TOUS CES CAMARADES EN DEVENIR PRENNENT AU SÉRIEUX LA RÉALITÉ SOCIALISME OU BARBARIE SI CE N’EST HUMANICIDE, PAS POUR DEMAIN MAIS POUR MAINTENANT, IELS PENSERONT QU’IL EST IMPÉRIEUX DE SE REGROUPER SANS PLUS TARDER AFIN D’ÊTRE EFFICACE POUR PROPAGER LE MESSAGE POLITIQUE SUGGÉRÉ ICI ET POUR CONSTRUIRE UNE ORGANISATION ASSEZ MASSIVE AFIN D’ÊTRE SOCIALEMENT VISIBLE. PLUSIEURS S’Y SONT ESSAYÉS MAIS SANS SUCCÈS SOUVENT POUR CAUSE POSSIBLEMENT DE DÉPRIME GÉNÉRAL OU DE MÉFIANCE ENVERS UN CONTRÔLE MASQUÉE OU MÊME DE CONFORT DE PETIT GROUPE OU INDIVIDUALISTE. SI VOUS TROUVEZ CET APPEL PERTINENT, FAITES-MOI SIGNE OU AGISSEZ AUTREMENT POUR METTRE LE MOTEUR DU RASSEMBLEMENT EN MARCHE.

Marc Bonhomme, 18 août 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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