Édition du 14 mai 2024

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Livres et revues

Pourquoi l'unité des oppriméEs doit être possible au-delà des croyances religieuses

La haine de la religion

Pierre Tevanian, animateur du site Les mots sont importants, vient de publier aux éditions La découverte un petit livre intitulé La haine de la religion ou comment l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche.

Le livre s’adresse d’abord à la gauche, pour ne pas dire à la gauche radicale, pour l’amener à s’interroger sur son parti pris antireligieux, sur son sens et ses conséquences. Pierre Tenavian développe cette interrogation à partir d’un retour à des textes de la tradition marxiste. Les textes de Marx, Engels, Lénine, Trotsky, Luxembourg, Jaurès et d’auteurEs marxistes plus contemporains sont mobilisés pour démontrer que ces auteurEs ont « affiché et argumenté très explicitement une franche hostilité à l’égard de l’irréligion militante et autoritaire qui se refait aujourd’hui une jeunesse sur le dos de l’Islam en général et des femmes voilées en particulier. » [1]

Reprenant l’analyse de Marx, il rappelle que la religion est d’abord une réponse imaginaire à un « monde de misère, à tout ce qui « paraît injuste et injustifiable : la misère, la mort prématurée, la guerre, le triomphe de l’égoïsme et le malheur du juste. » [2]. La religion fait espérer le renversement de ce monde...

Pour Marx, une approche matérialiste de la religion ne peut faire découler le recul de la religion d’une prédication antireligieuse. La religion n’est pas la cause de la misère du monde. Elle peut, et elle le fait souvent, chercher à la justifier à la lumière d’un au-delà où les premiers seront les derniers, mais elle peut également, parfois, être un vecteur de la remise en cause de cette misère que ce soit dans la justification des révoltes paysannes ou, plus récemment, dans la théologie de la libération.

C’est donc le renversement réel et concret de ce monde injuste qui peut jeter les bases du dépassement de la domination de la pensée religieuse.

Pour l’unité dans la lutte contre un monde de misère au-delà des croyances religieuses

À partir de là, les auteurEs de tradition marxiste ont développé une conception de l’unité avec les militantEs attachés au combat pour une transformation sociale dans le sens de l’égalité même si ces dernierEs inscrivent leur militantisme dans une tradition religieuse.

Tevanian cite un article de Lénine dont les leçons semblent oubliées sur les rapports à la religion :

« Nous ne devons en aucun cas nous laisser entraîner vers la position abstraite, idéaliste du problème religieux, en nous basant sur la raison pure, en dehors de la lutte de classe, position adoptée souvent par les démocrates radicaux issus de la bourgeoisie. Il serait absurde de croire que dans une société fondée sur l’oppression constante et sur l’abrutissement des masses ouvrières, on puisse dissiper les préjugés religieux par la seule propagande. Ce sera faire preuve d’étroitesse bourgeoise que d’oublier que le joug exercé par la religion sur l’humanité n’est que le produit et le reflet du joug économique qui existe au sein de la société. ... L’unité de cette lutte véritablement révolutionnaire de la classe opprimée pour la création d’un paradis sur terre est pour nous plus importante que l’unité d’opinion des prolétaires sur le paradis céleste. Voilà pourquoi dans notre programme, nous ne proclamons pas et nous ne devons pas proclamer notre athéisme. Voilà pourquoi, nous n’interdisons pas et ne devons pas interdire aux prolétaires qui ont conservé tels ou tels restes de leurs anciens préjugés de se rapprocher de notre parti. » (Lénine, Socialisme et religion, Novaïa Jizn, nº 28, 3 décembre 1905). [3]

C’est pourquoi, les bolcheviks n’ont jamais fait inscrire l’athéisme dans leur programme et ont su accueillir des militants musulmans de gauche dans leur parti.

Tenavian jugeant des prises de position de la gauche et de l’extrême gauche en France, positions souvent marquées par les pressions islamophobes conclut carrément : « l’actuelle déclinaison éradicatrice, autoritaire et antivoile en milieu anticapitaliste, rompt avec plusieurs décennies d’orthodoxie marxiste et léniniste pour renouer avec la part maudite de l’histoire communiste, le moment stalinien. » [4]

Contre l’approche idéaliste de la religion et de la lutte contre son caractère d’opium du peuple, contre le repli sur une laïcité identitaire qui se fait d’exclusions et contre l’instrumentalisation du féminisme pour mieux combattre certains secteurs de la population mondiale, souvenons-nous du discours de Bush sur l’Afghanistan, Tevanian redéfinit les conditions d’une véritable unité dans la gauche face à ces questions. Un petit livre clair et tonique qui remet les principes en place.


[1p.21

[2p.27

[3pp. 91-92

[4p. 116

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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