Édition du 14 mai 2024

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Environnement

Québec inc. 2.0

Sous l’épais nuage de fumée qu’est devenue la couverture médiatique de la pandémie de covid-19 s’opèrent des mutations socio-politiques, territoriales et structurelles qui sont très peu discutées : le Québec, comme l’ensemble des pays industrialisés, se numérise à une vitesse fulgurante et passe à l’ère des technologies de surveillance.

Simon Parent
Table citoyenne Littoral Est

À ce jour, 23 « zones d’innovation » se déploient sur le territoire provincial.
À l’ombre des projecteurs, la Coalition Avenir Québec appuie sur l’accélérateur et implante une version
numérique du rêve que poursuit François Legault depuis 2013 : le « Projet Saint-Laurent ».1

Récemment, Jonathan Durand Folco, professeur à l’Université Saint-Paul, qualifiait cette numérisation du Québec de « siliconisation de la vallée du Saint-Laurent ». En effet, cette référence à la Silicon Valley californienne, ou encore au Sidewalk Labs de Toronto, illustre assez bien l’influence des GAFAM dans la logique organisationnel des espaces industriels 2.0 que sont les « zones d’innovation ».
Et c’est en observant les détails d’une de ces zones qu’on saisit l’essence des mutations techno-industrielles qui s’opèrent, et ce qui les rapproche de la mégalomanie des GAFAM.

En ce sens, dans les « perspectives d’avenir » de la « Zone d’innovation Littoral Est » qu’impose aujourd’hui la Ville de Québec aux résident-es du quartier Maizerets, on peut lire les énoncés suivants : «  surveillance des comportements des consommateurs en temps de restrictions » (p.56), « accroissement analytique des données massives » (p.56), « laboratoire d’expérimentation des technologies 5G » (p.56), « quartier d’essai des technologies 5G » (p.60), « zone surveillée en continu et connectée » (p.60) et « implication citoyenne éthique  » (p.60). 2

On peut dès lors s’interroger : pourquoi cet engouement pour les technologies de l’information ? Qui sera responsable de définir « l’éthique » derrière l’utilisation de ces technologies ? À quelles fins seront récoltées et utilisées les données ? Qu’est-ce que tout cela implique pour les communautés locales ?

On obtient déjà quelques éléments de réponse dans les documents d’appel à projet du gouvernement Legault.3 En fait, les « zones d’innovation » ont pour objectif premier de stimuler le déploiement des hautes-technologies et « d’attirer des investissements pour la croissance et la hausse de la productivité des entreprises. »

D’un point de vue formel et urbanistique, elles comptent «  sur la présence d’infrastructures telles que des zones industrialo-portuaires, des pôles logistiques, des parcs technologiques et des parcs industriels  ». Par exemple, dans la région de Québec, c’est le Port de Québec qui se trouve au coeur de la «  zone d’innovation Littoral Est  » avec son projet Laurentia. Et l’importance des « zones d’innovation » pour la CAQ pourrait difficilement être mieux affirmée qu’avec la mise en relation du tramway et du 3e lien qui relie Québec à la Ville de Lévis qui prévoit également miser sur l’innovation pour relancer son économie4.
De plus, l’organisation de ces territoires techno-industriels sera entièrement dictée par un « conseil d’administration majoritairement constitué de représentants d’entreprises et sous la présidence d’un représentant du milieu des affaires de la région ».

On devine donc que le déploiement des « zones d’innovation » est une nouvelle forme de privatisation de la vallée du Saint-Laurent basée sur la collecte de données massives (Big Data), or numérique du 21e siècle. Ainsi, on implante des zones surveillées sur les territoires afin de permettre une collecte d’informations
maximale par des entreprises privées ; collecte massive qui permet de mieux comprendre, prédire et influencer le comportement des individus à des fins de marchandisation et de contrôle.

On peut donc grandement douter de l’éthique qui motive le déploiement des « zones d’innovation » et la gestion des données publiques, surtout en sachant que le ministre responsable de ces projets est Pierre Fiztgibbon ; ce même ministre qui veille, entre autres, à la commercialisation des données de la RAMQ et à la privatisation du « Panier Bleu ».

Mais tandis que s’opère cette « siliconisation de la vallée du Saint-Laurent », un élément devient encore plus frappant : le gouffre abyssale qui sépare les mentalités colonisées par l’économie marchande que symbolise la CAQ et les réalités bio-climatiques liées à l’effondrement des écosystémiques planétaires (perte massive de biodiversité, appauvrissement généralisé des sols, réchauffement de la biosphère, montée des eaux, destruction des forêts, etc.)

En ce sens, il est clair que les mutations techno-industrielles annoncées par la CAQ s’inscrivent dans la continuité des logiques du capitalisme néo-libéral : extraction et mobilisation de métaux rares nécessaires à la fabrication des objets de haute-technologies, destruction des sols, spécialisation et hiérarchisation du travail, dépendance aux dynamiques impérialistes de la mondialisation, privatisation et métropolisation du territoire (urbanisation, spéculation et gentrification), déterritoritorialisation des pratiques culturelles (renforcement de l’emprise des écrans) et consommation massive d’énergie.

Il semble donc essentiel, au moment où émergent ces grandes mutations techno-capitalistes et où s’effondrent, simultanément, les écosystèmes qui supportent la vie sur terre, de nous interroger sur les conditions territoriales que nous léguons aux générations suivantes.

À Québec, depuis 2019, la Table citoyenne Littoral Est5 milite pour un littoral citoyen et propose, en opposition à ce déploiement techno-capitaliste, une perspective territoriale respectueuse des réalités sociales et bioclimatiques : renaturalisation des berges du Saint-Laurent, création de corridors écologiques (verts, bleus, bruns, noirs), espaces de permaculture et d’agro-foresterie, reterritorialisation des pratiques culturelles (artisanat et savoirs traditionnels), renforcement des communs dédiés au soin, au partage et à la collaboration, gouvernance

Enfin, dans ce moment charnière de l’occupation territoriale et de sa planification, il semble essentiel de poser cette question fondamentale : « Que souhaitons-nous léguer aux générations suivantes : des zones de surveillance hyper-connectées ou des écosystèmes régénérés ? »

NOTES

1 Les Affaires. 2020. Des zones porteuses pour le Québec. En ligne : https://www.lesaffaires.com/dossier/special-innovation/deszones-porteuses-d-avenir-pour-le-quebec/621789
2 Ville de Québec. 2020. Projet de Zone d’innovation Littoral Est. En ligne :
https://www.ville.quebec.qc.ca/apropos/planification-orientations/amenagement_urbain/grands_projets_urbains/zone-innovationlittoral-est/docs/projet-de-zone-d-innovation-littoral-est.pdf
3 Ministère de l’économie et de l’innovation. 2020. Guide de présentation d’un projet de Zone d’innovation. En ligne :
https://www.economie.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/zones_innovation/guide_projet_zones_innovation.pdf
4 FM93. 2021. PRIMEUR | Une zone d’innovation dans l’est de Lévis ? En ligne :
https://www.fm93.com/nouvelles/politique/379863/primeur-une-zone-d-innovation-dans-l-est-de-levis
5 Table citoyenne Littoral Est. En ligne www.littoralcitoyen.org
citoyenne, mobilité active et collective, fiducie foncière d’utilité sociale et écologique, accès au logement pour
tous, etc.6

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