Édition du 23 avril 2024

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Histoire

Retour sur la Seconde République française (1848-1851) : un espoir démocratique

La Seconde République française (1848-1851) a été marquée par un espoir démocratique, avec l’institution du suffrage universel et l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort. Cependant, ces avancées ont été rapidement restreintes ou révoquées, et le régime a été éphémère, se terminant par le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte.


Introduction

Les causes immédiates de la révolution française de 1848 sont l’interdiction du banquet du XIIe arrondissement de Paris prévu le 22 février 1848 ; les causes profondes sont l’autoritarisme du régime monarchique de Louis-Philippe. Le nouveau régime, la IIe République, fut proclamé le 24 février 1848 avec la constitution d’un gouvernement provisoire, et s’acheva le 2 décembre 1851 par le coup d’État du Président de la République Louis-Napoléon Bonaparte. La singularité de ce régime est son caractère éphémère – moins de quatre ans – et le fait qu’il ait laissé dans la mémoire collective française deux représentations contradictoires. Une première, positive, en retient l’institution d’une démocratie complète, politique (par le suffrage universel) et sociale (par le « droit au travail »), achevée par la réaction conservatrice. Une seconde, négative, y voit le triomphe de l’incapacité politique et de l’« illusion lyrique » d’une démocratie sociale. Dans les deux cas, le problème central est bien la démocratie, et spécifiquement l’espoir de la démocratie : une aspiration que l’on souhaite voir triompher et que l’on considère comme réalisable. Analysons dans quelle mesure, pour chaque dimension de la démocratie – politique, institutionnelle, économique et sociale, les structures institutionnelles de la IIe République et les évènements de la vie publique ont-ils réalisé un espoir démocratique.

Une démocratie politique

Le 2 mars 1848, le gouvernement provisoire annonça : «  le suffrage sera universel et direct, sans la moindre condition de cens  ». Tous les citoyens hommes de plus de 21 ans furent appelés à élire les membres de l’Assemblée constituante : le corps électoral passa de 250 000 à 9 millions d’électeurs. Le 4 mars, le gouvernement provisoire affirma les libertés de la presse et de réunion ; un décret disposa de l’abolition de l’esclavage dans les colonies et créa une commission « pour préparer dans les plus brefs délais l’acte d’émancipation immédiate de toutes les colonies  ». Le 8 mars, l’ensemble des citoyens devinrent éligibles à la Garde nationale. Le 19 mars, la « contrainte par corps » (c’est-à-dire la prison pour dettes), la peine de mort et les châtiments corporels furent abolis.

Mais les modérés et les conservateurs du Parti de l’Ordre remportèrent les élections de l’Assemblée constituante. L’extrême-gauche, vaincue, appela à une manifestation le 15 mai ; celle-ci tourna à l’émeute. Ses dirigeants furent arrêtés et condamnés à la déportation. La suppression des Ateliers nationaux provoqua un violent soulèvement populaire les 24 et 26 juin 1848. Les insurgés furent déportés dans les colonies, notamment en Algérie. Le nouveau président du Conseil Louis Eugène Cavaignac restreignit les mesures d’égalité politique du début de l’année 1848, en disposant de la censure des journaux révolutionnaires et de la fermeture des clubs, et en dissolvant certaines légions de la Garde nationale recrutées dans les quartiers populaires de Paris.

Une démocratie institutionnelle

La Constitution entra en vigueur le 4 novembre 1848. Son préambule dispose des droits du citoyen, mais aussi de ses devoirs, dont l’amour de la patrie et l’obligation de servir la République. Le Président de la République est élu au suffrage universel pour quatre ans non renouvelables. Jules Grévy, visionnaire, mit en garde contre le fait que le Président puisse chercher à rester illégalement au pouvoir sous prétexte de la légitimité que lui confère son élection par le peuple. En effet, les pouvoirs du Président étaient considérables : initiative des lois, direction de la diplomatie et des armées, nomination et révocation des ministres et des hauts fonctionnaires. Le pouvoir législatif est exercé par une chambre unique, l’Assemblée législative, élue au suffrage universel. Il y a irrévocabilité mutuelle des pouvoirs. Ces deux facteurs – légitimité du Président acquise par l’élection au suffrage universel et irrévocabilité mutuelle des pouvoirs – font qu’en cas de conflit, une solution est le coup d’État par le Président, qui disposait de la force armée. Dans ces conditions, la personnalité et la pratique du Président étaient cruciales. Louis-Napoléon Bonaparte remporta l’élection du 10 décembre 1848 ; il nomma au gouvernement des membres du Parti de l’Ordre.

Ce nouveau gouvernement instrumenta un nouveau recul des avancées démocratiques du début de l’année 1848. À la suite de la manifestation du 13 juin 1849 contre l’invasion de la République romaine, l’Assemblée législative vota trois lois réactionnaires : suspension d’un an de la liberté d’association, restriction de la liberté de la presse, possibilité pour l’Assemblée et le gouvernement d’établir l’état de siège. Le 31 mai 1850, les condamnés politiques et les résidents depuis moins de trois ans dans un même canton furent exclus du suffrage universel : le corps électoral diminua de 9 à 6 millions d’électeurs. Comme l’avait prédit Jules Grévy, Louis-Napoléon Bonaparte préparait son coup d’État. Dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851, il publia un décret de dissolution de l’Assemblée législative et convoqua un plébiscite. Il adopta de nouvelles lois répressives. Environ 1500 personnes, dont l’écrivain Victor Hugo, furent déportées ou bannies. Le plébiscite fut accepté le 21 et 22 décembre. Il disposa de la prolongation pour dix ans des pouvoirs de Louis-Napoléon Bonaparte et de la rédaction d’une nouvelle Constitution par lui-même, ainsi achevant la IIe République.

Une démocratie économique et sociale

La Commission du gouvernement pour les travailleurs, chargée d’évaluer comment améliorer leur condition, fut créée le 28 février. Une nouvelle répartition de l’impôt en faveur des classes populaires, réduisant notamment l’impôt sur le sel, fut adoptée le 29 février. Les Ateliers nationaux, application du « droit au travail », furent créés le 26 février ; c’est l’exemple le plus significatif de la IIe République en tant que démocratie sociale, celui dont la mémoire collective française se souvient. Mais ils furent un échec. Ces Ateliers ne résolurent pas le problème du chômage : nombre de bénéficiaires étaient employés à ne rien faire. Le salaire – 2 francs par jour, supérieur aux aides des institutions de charité – attira de nombreux provinciaux à Paris. Pour l’État, ce fut un gouffre financier, moqué par les conservateurs sous le nom de « râteliers nationaux ». Leur suppression le 21 juin indiqua la fin de l’espoir d’une démocratie sociale.

Le préambule de la Constitution de novembre 1848 proclame la famille et la propriété comme fondements de la société et supprime la notion de droit au travail. Les slogans du programme de Louis-Napoléon Bonaparte étaient «  ordre, autorité, religion, bien du peuple ». La loi Falloux du 15 mars 1850 autorisa les membres du clergé (même non diplômés) à ouvrir des établissements d’enseignement, leur attribua des places dans les instances régulant le système scolaire et créa des subventions pour l’enseignement privé. Les grèves furent interdites en novembre 1849.

Conclusion

La IIe République n’a, finalement, pas institué les conditions d’un État et d’une société démocratiques dans la mesure où les avancées démocratiques du début de l’année 1848 furent restreintes ou révoquées dès les premières difficultés du gouvernement provisoire. Ensuite, les gouvernements conservateurs instrumentèrent des politiques réactionnaires. De plus, les structures institutionnelles facilitèrent le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Pour la postérité, retenons toutefois que la IIe République vit la réalisation de politiques particulièrement progressistes pour l’époque : le suffrage universel et l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort.

Coline Ferrant
Maîtresse de conférences en développement et politiques sociales (Assistant Professor in Social Development & Policy) à Habib University (Karachi, Pakistan).
coline.ferrant@ahss.habib.edu.pk

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Mots-clés : France Histoire

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