Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique latine

Situation explosive au El Salvador

Je reviens d’un séjour de deux mois au El Salvador au cours duquel j’ai assisté à une campagne électorale des plus passionnante, qui vient de se terminer par la victoire très serrée du FMLN, le Front Farabundo Marti de Libération Nationale. Le FMLN a en effet remporté l’élection présidentielle au deuxième tour de scrutin, par moins de sept milles voix de majorité, soit 50,11% des voix contre 49,89% pour l’ARENA, l’Alliance républicaine Nationale.

Le candidat du FMLN est un ancien chef de la guerilla, Salvador Sanchez Ceren, alors que l’ARENA était représentée par Norman Quijano, un ancien dentiste de 67 ans profondément anti-communiste. Ce dernier a réclamé l’annulation de l’élection pour cause de fraude électorale. Par contre, les observateurs internationaux de l’OEA, de l’ONU, ainsi que de plusieurs autres pays ont déclaré que le TSE, le Tribunal Suprême électoral, l’instance décisionnel pour les élections salvadoriennes, avait toute leur confiance pour faire un travail juste et équitable. Quijano a par la suite demandé à l’armée d’intervenir, sous prétexte que le TSE lui aurait volé les élections. Cependant l’ARENA elle-même, lorsqu’elle était au gouvernement, avait soumis l’armée aux ordres du Président du pays. Or, aujourd’hui le président Mauricio Funes a été élu sous la bannière du FMLN. Voilà pourquoi l’armée a déclaré qu’elle demeurait neutre et mettait sa confiance elle aussi dans le TSE, à moins que le Président ne lu demande d’intervenir si jamais il y avait menace de déstabilisation du pays. Selon le Journal Métro de Montréal : « Le candidat de l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA), une formation conservatrice, Norman Quijano, a déclaré que son parti est sur un « pied de guerre » et a promis de lutter ‘jusqu’à la mort, si nécessaire’ pour défendre ce qu’il prétend être sa victoire. »[1] Comme les urnes ne lui ont pas donné
raison, Quijano cherche maintenant à provoquer des affrontements dans les rues du pays, semblable à ce qui se déroule présentement au Venezuela. Là aussi, à la suite de l’élection de Nicolas Maduro, le successeur de Hugo Chavez, la droite a organisé de plus en plus de manifestations qui tournent aujourd’hui à la violence. L’un des chefs des manifestants au El Salvador est le député Roberto D’Aubuisson de l’ARENA, le fils du colonel du même nom, qui était le chef des escadrons de la mort, soutenue par la CIA, lors de la guerre civile, qui fit près de 100,000 morts.

Historiquement en Amérique latine, la CIA soutient les partis de droite, comme l’ARENA, pour reprendre le pouvoir par des coups d’États, lorsque les urnes n’y parviennent pas. C’est ce qui s’est passé en juin 2009 au Honduras – pays frontalier du El Salvador - lorsque l’armée, soutenue par la CIA, a déposé puis exilé le président José Manuel Zelaya Rosales, qui avait pourtant été élu démocratiquement, président de la République du Honduras, le 27 novembre 2005. Ce président avait fait l’erreur de se rapprocher de l’ALBA, l’alliance bolivarienne, fondée par le président Hugo Chavez, du Vénézuela. Et c’est aussi ce qui s’était passé en 2002 au Vénézuela même, contre Chavez, mais là le coup d’État a raté parce que le peuple a soutenu son président. Et comme tout le monde le sait, c’est aussi ce qui s’était passé au Chili, le 11 septembre 1973, lorsque le général Augusto Pinochet avait
limogé le président Salvador Aliende lui aussi élu démocratiquement. À cet époque, l’excuse généralement invoquée pour justifier tous ces coups d’État et ces recours aux dictatures pour mettre fin aux régimes démocratiques, était la lutte contre le communisme, alimenté par la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Aujourd’hui, les Etats-Unis ne peuvent plus invoquer cette raison. Les partis de gauche ne se disent plus communistes, mais socialistes et démocratiques. Alors pour défendre leurs intérêts politico-militaires, les USA utilisent la CIA et ses « experts militaires » pour conseiller les partis de droite. Et ces experts en déstabilisation des États récalcitrants sont à l’œuvre non seulement en Amérique latine, mais aussi au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique. C’est l’épée de Damoclès qui plane aussi aujourd’hui au-dessus de la tête de ce petit pays qui a osé élire à nouveau un président de gauche.

Il faut replacer l’élection au El Salvador dans un contexte géopolitique plus vaste : la guerre froide qui est reprise entre Américains et Russes. L’action des Russes en Ukraine présentement trouve son exacte correspondance dans l’action des USA en Amérique latine, chacun protégeant son arrière-cour. Pourtant, je n’ai vu que très peu de nouvelles que ce soit dans Le Devoir ou à Radio-Canada, qui rendaient compte de cette situation. En fait, on en trouve davantage sur internet dans les journaux d’Amérique latine ou d’Europe. Il serait temps que nos journalistes, chroniqueurs, blogueurs et éditorialistes se détournent un instant de la campagne électorale québécoise et aillent se renseigner sur la crise mondiale qui se développe présentement et qui pourrait dégénérer en un conflit mondial majeur.

Gilbert Talbot

Ancien accompagnateur des victimes de la guerre au Guatemala

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