Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Théo et Chic Clodo !

*Avant-propos.*

De façon sournoise, la pauvreté peut s’inviter dans nos vies, l’air de
rien. Elle peut tout aussi bien survenir suite à une mise à pied innatendu.
Elle peut-eh oui !- survenir suite à une faillite. Elle peut donc,
un certain jour, toucher aussi les mieux nantis. Voilà ce qui est arrivé à
un certain Théo.

Yvan Giguère, Saguenay, fondateur de la Journée de l’Hymne au printemps

Théo était un grand chef d’entreprise et il menait la grande vie. Jet privé
et résidence secondaire dans tous les Hilton de la Terre, comme dit si bien
la chanson. Il avait des milliers d’employés qu’il chérissait et qu’il
rémunérait fort bien. Théo était bon et il était aimé de tous. Théo avait
le coeur sur la main.

L’homme était conscient de sa chance et se savait privilégié. Certes, il
avait travaillé fort pour en arriver là, mais il se foutait bien de cette
évidence. Il était riche à craquer. Puis après ! Trop riche se disait-il
souvent. Voilà pourquoi Théo donnait. Il ne pouvait endurer de voir tant et
tant de misère autour de lui. Alors il faisait des dons à gauche et à
droite, à de multiples oeuvres de charité. Il finança des dizaines de
soupes populaire. Il agissait à titre de bénévole lors des guignolées.

Il descendait souvent de sa limousine pour donner un 10$ ou un 20$ aux
quêteux le long des trottoirs des grandes métropoles. Voilà pourquoi on le
surnommait Théo le philantrope ! Du moins c’est ainsi que dans son entourage - ses confrères de travail et richissimes amis - le nommaient. « Ah sacré Théo » se disaient-ils. « Il va se ruiner. Il a trop bon coeur. Trop sensible ce Théo. »

Mais Théo se fichait bien de ces moqueries. Il était philanthrope, point à
la ligne. Chaque année, à l’approche de Noël, il en avait marre de voir que
cette fête en était une trop mercantile, sans véritable esprit de partage
et de fraternité. Théo, plus que quiconque, savait ce qu’était la misère,
l’ayant vécue dans sa jeunesse, lui qui était issu d’une famille dont le
père avait grand peine à offrir trois repas par jour à ses enfants. Voilà
pourquoi notre homme savait reconnaître qu’il vivait dans un monde où
l’écart entre les riches et les pauvres était trop grand. Parfois même il
se sentait coupable d’être un de ceux à qui tout réussit et qui jouit d’une
vie dorée. Tel était et vivait Théo.

Mais un jour, notre Théo fit faillite. Fallait-t-il s’y attendre ? Avait-il
trop donné sans crier gare ? Était-t-il malheureux d’être riche ? Toujours
est-il qu’il fut rejeté de tous, décrié sur toutes les tribunes, même par
ceux à qui il avait tant donné. Puis Théo disparut de la circulation et les
années passèrent....

Donner malgré tout...

À l’angle de deux grands boulevards d’une grande ville, au premier jour de
grand froid de décembre, un homme avait grand peine à refermer sa main
droite, tant il l’avait laissé ouverte à la vue des passants sur le
trottoir achalandé. Cet itinérant quêtait comme à son habitude, et ce,
depuis quelques années sur ce même trottoir.

Il avait une drôle d’allure. Son accoutrement détonnait du lot de ses
semblables. Il portait un complet trois pièces un peu sale, certes, avec
des déchirures. Un vieil habit neuf usé, pourrait-on dire avec ironie. Cela
lui donnait une certaine fierté, une prestance bien malgré lui. On l’avait
surnommé Chic Clodo. Les passants, qui lui faisaient l’aumône, restaient
parfois bouche bée lorsqu’ils constataient que Chic Clodo redonnait la
moitié de ce qu’il avait reçu à d’autres quêteux sur le même trottoir.

Ces autres sans-abris n’en revenaient tout simplement pas et se demandaient si, sous le complet trois-pièces déchiré de Chic Clodo, ne se cachait pas le bon Dieu en personne. Mais Chic Clodo ne faisait voir de rien et malgré cette vie de chien qu’il menait, il gardait la tête haute et arborait
souvent un sourire chaleureux. Ce qui faisait qu’il était aimé de tous. Un
clochard qui donne ce qu’il reçoit à d’autres clochards, ça sort de
l’ordinaire. Mais Chic Clodo aimait donner. C’était dans sa nature. Mais il
se souvenait trop souvent de son ancienne vie.

On le voyait parfois pleurer, Chic Clodo. Et c’était un spectacle
déconcertant de le voir ainsi, lui qui savait rendre son entourage heureux
et qui était si bon. Mais on voyait très bien qu’il y avait dans son regard
une lueur brumeuse de tristesse. Lui qu’on avait traîné dans la boue. Lui
qu’on avait renié et abandonné. Lui qui pourtant avait tant donné à ses
proches. Mais on l’avait jeté à la rue par la force des choses. Le grand
philanthrope était devenu une sorte de roi déchu.

Théo était devenu Chic Clodo. Mais peu importe, puisque Théo, vivant dans
la rue, continuait à donner. Bien que réduit à une misère extrême, il
gardait en lui cette notion de partage et de fraternité qui l’animait
lorsqu’il était un homme d’affaires riche et célèbre. Théo continua de
donner. Le don de soi dans sa plus pure expression ! Force est de le
constater.

*Yvan Giguère*, Saguenay

Yvan Giguère

Fondateur du concours national de paroliers de langue française 24 juin 2008

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