Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique latine

Entrevue avec Pierre Mouterde

À propos du livre « Hugo Chavez et la révolution bolivarienne »

Suivi d’une réponse à l’article de Marc Saint-Upery, Vénézuela : une révolution sans révolution

Presse-toi à gauche ! : Tu viens d’écrire avec Patrick Guillaudat un livre qui cherche à faire un bilan de la révolution bolivarienne menée par Hugo Chavez au Venezuela entre 1998 et 2012. Peux-tu donc nous dire pour commencer dans quel contexte s’inscrivait la victoire électorale de Chavez en 1998 ?

Pierre Mouterde : Oui tu as raison, il faut replacer l’arrivée de Chavez à la présidence du Venezuela dans son contexte, et on ne comprendra rien de la révolution bolivarienne si on ne contextualise pas les choses d’un point de vue historique, en somme si on ne revient pas à l’histoire. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons porté une attention particulière au passé de ce pays en y consacrant les deux premiers chapitres de notre livre. La colonisation européenne (à partir de la fin du 15ième siècle) avec ce qu’elle a comporté de violences et de dépossessions systématiques, mais aussi la constitution d’une économie “décentrée” pensée au départ en fonction du seul développement européen ainsi que la désarticulation sociale et politique qui s’en est suivie, tout cela a pesé lourd dans la balance, et jusqu’à aujourd’hui. Qu’on pense par exemple à la difficulté de ce pays à rester uni au long du 19ième siècle et à cette kyrielle de caudillos militaires en guerre les uns contre les autres et si prompts à se convertir en dictateurs. Qu’on pense aussi au pillage de la richesse pétrolière mené sans scrupules à partir de 1920 par les compagnies étatsuniennes, et depuis à cette monoproduction pétrolière qui, au-delà de la manne financière immédiate qu’elle représente, reste lourde d’effets économiques distortionnants sur le long terme.

Presse-toi à gauche ! : D’accord pour l’histoire lointaine, mais plus proche de nous, y-a-t-il eu des éléments plus conjoncturels qui expliquent ce regain d’intérêt pour une figure politique comme celle d’Hugo Chavez ?

Pierre Mouterde : Au niveau de l’histoire plus immédiate –entre 1958 et 1998— il s’est constitué une sorte d’accord entre partis politiques dominants très particulier et qui a fait du Venezuela un cas unique en Amérique latine. Un accord appelé l’accord de “Punto-Fijo” et qui, au nom de l’acceptation du jeu de l’alternance démocratique, a permis à deux partis (l’AD de tendance social-démocrate et le COPEI, de tendance démocrate chrétienne) de contrôler pendant 40 ans l’entièreté du jeu politique du pays. Notamment en excluant systématiquement les larges secteurs de la population les plus défavorisés ainsi qu’en finissant par cautionner l’introduction très violente du néolibéralisme en 1989 à travers un ensemble de mesures visant à libérer le marché des changes, des capitaux et des prix. Et à n’en pas douter, ces mesures ont joué une rôle de catalyseur. Elles ont provoqué le 27 février 1989 une véritable émeute populaire (réprimée dans le sang avec plus de 300 morts à la clef), puis ont été à l’origine du réveil d’une opposition de gauche dont en 1998 Chavez parviendra à rassembler les différentes tendances derrière sa candidature aux élections présidentielles.

Presse-toi à gauche ! : Mais est-il parvenu à dépasser les legs historiques dont tu parles et qui –vus d’ici— paraissent entraver le processus bolivarien : omniprésence des militaires, poids relativement important de l’industrie pétrolière, faiblesse historique des mouvements sociaux ?

Pierre Mouterde : C’est là tout le problème et sans doute l’enjeu de cette révolution bolivarienne dont tant d’entre nous à gauche, ont suivi avec attention et intérêt les développements depuis près d’une décennie. Car, on ne peut apprécier les possibles avancées d’un processus révolutionnaire de manière abstraite, en mettant entre parenthèses les pesanteurs de l’histoire dont il a hérité, tout comme le contexte géopolitique dans lequel il a pu éclore. Autant ceux qui ont eu tendance à le dénoncer sans nuances, que ceux qui ont pris parti pour lui de manière inconditionnelle, tombent nous semble-t-il, dans ce travers. Oubliant trop souvent qu’au-delà même de l’homogénéisation néolibérale à laquelle nous assistons aujourd’hui, le Venezuela n’est pas le Québec ou la France, et qu’on doit tenir compte de l’état de la réalité économique, sociale et politique de ce pays pour poser quelque jugement que ce soit sur le processus en cours. Je pense notamment à ces jugements à l’emporte-pièce vis-à-vis de Chavez le présentant soit comme un vulgaire “dictateur”, soit à l’inverse comme la “panacée” en matière de révolution au 21ième siècle. La situation fortement “dépendante” ou “périphérique” de l’économie vénézuélienne vis-à-vis de l’économie-monde, le poids distorsionnant de l’économie pétrolière (ayant par exemple asphyxié les formidables potentiels auto-suffisants de l’agriculture vénézuélienne ou encore renforcé les pratiques clientélistes du passé), l’omniprésence impériale des USA préoccupés avant tout de maintenir leur hégémonie sur le sous-continent, l’absence de mouvements sociaux forts et indépendants de toute emprise bureaucratique ou partidaire, et en contre-partie le rôle clef de militaires habitués à veiller sur l’unité toujours fragile du pays : tous ces éléments compliquent nécessairement la tâche des révolutionnaires aspirant non seulement à plus d’indépendance nationale, mais aussi à un projet de type socialiste impliquant plus de justice sociale, de démocratie populaire et participative et de souci de l’environnement. Et on doit en tenir compte si on veut vraiment rendre justice à ce qui se passe. Cela dit, le fait que Chavez ait mis la barre très haute, voulant –à travers sa révolution bolivarienne— ne pas seulement faire du “keynésiannisme social”, mais aussi mettre en route un véritable processus socialiste et populaire, et qui plus est enraciné dans la culture révolutionnaire vénézuélienne (celle de Bolivar, Simon Rodriguez et Ezequiel Zamora), oblige à tenter de vérifier ce qu’il en est, en somme à voir si la pratique correspond à cette rhétorique. Cela aussi, c’est lui rendre justice.

Presse-toi à gauche ! : Justement, comment expliquer l’appui populaire dont de toute évidence il dispose toujours ? Par exemple, comment Chavez a-t-il pu s’assurer la victoire dans la quasi-totalité des 16 scrutins électoraux à travers lesquels il est passé depuis 1998 (perdant seulement le référendum de 2007) ? Comment a-t-il maintenu ses assises dans les couches populaires pendant ces presque 14 ans, en échappant qui plus est à un coup d’État et à une grève patronale particulièrement dure en 2002 ?

Pierre Mouterde : C’est qu’indéniablement il a mis en branle une série de réformes qui, surtout jusqu’en 2007, ont non seulement transformé en profondeur la vie quotidienne des secteurs les plus démunis de la population (presque la moitié de la population vivait au-dessous du seuil de pauvreté), mais encore orienté le pays vers des formes de démocratie potentiellement beaucoup plus larges et participatives. Déjà la nouvelle Constitution de 1999 encourageait, aux côtés des formes classiques de la démocratie représentative, la démocratie participative sous toutes ses formes. Mais c’est après avoir repris le contrôle de la PDVSA et réussi à faire échec au coup d’État d’avril 2002 ainsi qu’à l’insurrection des gérants de décembre 2002/janvier 2003, qu’il pourra à travers l’expérience des missions (en santé, éducation, logements, etc.), redistribuer vers les secteurs défavorisés de la société vénézuélienne une partie non négligeable de la rente pétrolière. Et d’abord sur un mode non clientéliste, puisqu’il s’est agi en même temps d’encourager l’implication collective, l’auto-organisation populaire sous toutes ses formes, et que ce n’était qu’à cette condition qu’il devenait possible d’avoir accès aux soutiens gouvernementaux. D’où la chute drastique des taux de pauvreté et d’indigence entre 1998 et 2011 : le taux de pauvreté a été ramené de 49 % qu’il était en 1999 à 27,4%% en 2011 et celui de l’extrême pauvreté est passé de 21 % à 7,3%. C’est à n’en pas douter dans de telles améliorations (des conditions de vie), qu’il faut aller chercher l’origine du soutien populaire qu’il continue à avoir. En pleine ère néolibérale, ce n’est d’ailleurs pas rien d’être arrivé à de tels résultats. Et il faut le souligner haut et fort, Chavez n’est jamais revenu sur ses engagements premiers. Il n’a jamais “retourné sa veste”, malgré presque 14 ans de présence au pouvoir. Et c’est notable au regard de tant d’autres chefs d’État qui en Amérique latine ou ailleurs, ont si facilement plié l’échine devant les logiques néolibérales.

Presse-toi à gauche ! : Oui mais quand même, on a pu le voir aux dernières élections, la droite reste très puissante au Venezuela. Elle a pu même l’emporter –quoique de justesse— au référendum de 2007, puis gagner des points importants aux élections de 2010, et enfin présenter une force unie et non négligeable à la dernière élection présidentielle de 2012 !

Pierre Mouterde : Effectivement, en marge des côtés lumineux de ce processus de changement social, il y a aussi des côtés plus sombres que met justement en lumière cette montée de la droite. Ces côtés sont apparus plus nettement à partir de 2007 et on pourrait les caractériser par le fait que Chavez ne s’est pas résolu à faire sauter une série de verrous institutionnels et économiques qui paralysent l’approfondissement du processus révolutionnaire et en restreignent le caractère démocratique et participatif. Deux éléments nous permettent de bien le faire apercevoir. Tout d’abord en termes économiques, le fait que contrairement à ce qu’on imagine souvent et par-delà même les nationalisations effectuées, la part du secteur public dans le PIB n’a cessé de baisser depuis 1998, passant de 34,8% à 29,1% de 1998 à 2008. Autrement dit l’économie vénézuélienne, en termes de production effective, s’est d’avantage privatisée depuis que Chavez est au pouvoir, faisant ainsi bien apercevoir comment la logique du profit marchand reste dominante et comment le monde des affaires privées garde au Venezuela une place majeure. On est donc fort loin, non seulement d’une socialisation mur à mur des moyens de production, mais plus simplement encore d’une simple nationalisation des secteurs clefs ou stratégiques de l’économie. Cette première constatation de type économique trouve sa correspondance dans le fait que les formes de participation populaire et participative qui ont été encouragées au départ restent fortement contrôlées par le haut et sont pensées le plus souvent sur le modèle militaire, c’est-à-dire sur un mode “verticaliste” et sans grand espace pour le débat, la discussion, le droit de tendance, les processus participatifs de longue durée, etc. Le rôle prépondérant de Chavez lui-même et sa gestion personnaliste du pouvoir, la façon dont s’est constitué le PSUV et le fait qu’il se cantonne à être un parti de “gouvernement” plus souvent qu’autrement “aux ordres”, mais aussi le peu de marges de manoeuvre accordée aux conseils communaux, ou encore le refus d’encourager un véritable contrôle ouvrier dans les entreprises nationalisées, en sont les indices les plus remarquables. Mais ils ne sont pas les seuls et en disent long sur la difficulté qu’Hugo Chavez a eu pour mener jusqu’au bout la bataille de l’hégémonie...

Presse-toi à gauche ! : Je t’arrête. La bataille de l’hégémonie, vous avez fait là-dessus un long développement dans votre livre, mais en quoi cela vous apparaît-il si important, et pourquoi en parler à propos des côtés sombres de cette révolution ?

Pierre Mouterde : La bataille pour l’hégémonie et à travers celle-ci, la constitution du pouvoir contre-hégémonique, nous sont apparues comme des concepts régulateurs féconds capables de nous aider à mieux mesurer l’état de ce processus de transformation sociale. En toute justice ! À l’heure du néolibéralisme conquérant, de la crise des grands modèles politiques alternatifs au capitalisme, on ne peut plus juger de haut (ou de l’extérieur) un processus révolutionnaire, en se contentant d’utiliser les seules grilles d’analyse héritées de la tradition : “ah ils ne nationalisent pas et ne veulent pas briser la machine d’État, ce sont des réformistes ; ah ils s’emparent du pouvoir par les armes et socialisent la richesse sociale, ce sont des révolutionnaires ! Bien sûr ces distinctions ne sont pas totalement inopérantes, mais elles doivent être réactualisées, eu égard non seulement aux questions écologiques si décisives pour l’aujourd’hui, mais aussi en fonction des rapports de force socio-politiques réellement existants. Et il nous a semblé que l’idée de “bataille pour l’hégémonie”, prise dans un sens très précis (pas celui de Laclau), pouvait nous aider à le faire. Aujourd’hui la droite est partout hégémonique, de manière souvent écrasante. Et être révolutionnaire implique d’en tenir compte, en sachant qu’un projet de gauche, c’est le projet de tout un peuple, celui de l’immense majorité de la population aux intérêts de laquelle dorénavant on essayera de répondre en priorité. Il s’agit donc de gagner –par des mesures concrètes bénéficiant aux couches populaires— l’adhésion chaque fois plus grande de ces secteurs qui aujourd’hui restent souvent sous l’emprise de la droite... et continuent à voter pour elle (y compris au Venezuela). D’où cette idée de la constitution/reconstitution d’un contre pouvoir hégémonique, capable de gagner chaque fois plus de terrain et donc d’ouvrir la possibilité effective –parce que les rapports de force deviennent ainsi plus favorables— à de véritables changements révolutionnaires. Or le pragmatisme militaire qui caractérise l’approche politique d’Hugo Chavez, c’est-à-dire cette manière de réduire la politique à un “art de la tactique” permettant au plus vite et sur le court terme de déstabiliser son adversaire, tend à court-circuiter les mécanismes démocratiques et participatifs, seuls capables de favoriser la conquête d’une authentique hégémonie et donc d’amplifier les appuis sociaux dont on a besoin pour aller plus loin, notamment pour prendre un contrôle plus effectif sur l’économie. Les dernières élections présidentielles l’ont bien montré : dans certains quartiers populaires de Caracas (comme 23 de Enero ou La Vega), le vote en faveur de Chavez –même s’il est resté majoritaire—a clairement baissé par rapport à 2006. Et il est difficile d’en comprendre la raison, à moins d’admettre que la révolution bolivarienne a aussi –au sein de son propre camp— ses déçus, taraudée qu’elle est par une série de failles et de manques indéniables.

Presse-toi à gauche ! : Ne pourrait-on rapporter ces manques à un rôle d’équilibriste entre les classes fondamentales de la société que Chavez et son gouvernement refusent de dépasser ?

Pierre Mouterde : Oui c’est une des hypothèses classiques que l’on peut avancer, et souvent on fait référence pour la compléter, à l’idée de “bonapartisme” [1], manière de se donner les moyens de caractériser précisément un régime tel que celui de Chavez. Nous sommes néanmoins loin d’être sûrs que cette caractérisation permette de comprendre ce qui se passe aujourd’hui au Venezuela. Car si la révolution bolivarienne est marquée par des dimensions indéniablement personnalistes, elle reste néanmoins très clairement campée à gauche, et il semble difficile d’affirmer —ainsi que le veut la définition canonique du bonapartisme— que la présence de Chavez à la présidence puisse avoir pour but “dans des périodes où les contradictions de classe sont particulièrement aigües (...) “d’empêcher l’explosion”. En ce sens nous préférons parler d’une révolution qui se trouve “au milieu du gué”, une révolution en marche, mais dont les parts d’ombre et de lumière restent étroitement imbriquées les unes aux autres sans qu’il soit possible de prédire –aujourd’hui, en 2012— qui de l’une ou de l’autre l’emportera. D’ailleurs le rôle central joué par Chavez lui-même depuis 1998 et le fait qu’il ait été récemment touché par un cancer sévère fait ressortir comme jamais cette double dimension –parfois si contradictoire et lourde de tensions—de la révolution bolivarienne ; elle qui ne cesse d’en appeler au protagonisme populaire et qui en même temps dépend tant des seules décisions de son leader. Cela ne rend-il pas d’autant plus nécessaire d’en déchiffrer avec toute la lucidité possible, les forces comme les faiblesses ?


Réponse à l’article de Marc Saint-Upery, Vénézuela : une révolution sans révolution

Cher Marc Saint-Upery

Ce qui me semble faire problème dans votre point de vue ; ce ne sont pas les données chiffrées que vous évoquez (nous en avons utilisées de pratiquement semblables dans notre livre). Ce n’est pas non plus certains constats critiques auxquels, tout comme nous, vous arrivez, notamment en ce qui concerne le maintien d’un secteur privé et le caractère ambigu des nationalisations ou encore la dimension personnaliste des interventions d’Hugo Chavez.

Ce qui fait problème c’est la méthode que vous utilisez pour les mettre en perspective ou en apprécier l’ampleur, et au-delà le point de vue politique que vous êtes amenés ainsi à servir.

Ainsi pas une fois dans le texte ci-dessus (mais c’est en général une caractéristique de vos écrits), il n’est question de l’importance des menées putschistes de la droite vénézuélienne qui a quand même participé à un coup d’État avorté en 2002 et animé "l’insurrection des gérants" au début de 2003, au point de déstabiliser en profondeur non seulement la légalité institutionnelle du pays, mais encore le coeur même de son économie. Or il s’agissait de deux interventions visant à l’époque à contrecarrer les efforts du gouvernement élu de reprendre le contrôle de la PDVSA, entreprise certes alors nationalisée mais qui avait fini par ne rendre des comptes qu’à elle-même, échappant ainsi à tout contrôle public et gouvernemental (entre autres choses en termes de redevances). En tout état de cause, ces deux interventions ont bien mis bien en évidence comment les élites du pays cherchaient à coûte que coûte préserver leur position économiquement et politiquement privilégiée et au-delà à maintenir la structure alors si profondément inégalitaire de ce pays.

Pas une fois non plus, il n’a été question dans votre texte du rôle décisif joué par les USA dont le soutien au coup d’État d’avril 2002 n’est un secret pour personne ; expression de cette tutelle coloniale dont les formes ont certes changé au fil du temps, mais qui n’en a pas moins marqué en profondeur le devenir de ce pays jusqu’à aujourd’hui. D’autant plus à une époque où la question du pétrole revêt pour les USA une dimension plus que jamais stratégique.

Ces oublis concernant tant l’histoire du pays que son contexte économique et géopolitique ainsi que les rapports sociaux inégalitaires qu’il appelle, tendent ainsi à "dé-contextualiser" la révolution bolivarienne et à en gommer certains traits qui sans être en eux-mêmes totalement émancipateurs le deviennent par le possibles qu’ils ouvrent en termes de transformation et de dynamique sociale.

Par exemple le fait pour un peuple oublié ou marginalisé de prendre conscience de ses droits, de pouvoir être pris pour un acteur collectif qui compte ; ou encore le fait pour ce dernier de se reconnaître dans une culture nationale d’affirmation de soi ou dans des politiques qui permettent à une nation entière de contester certains des diktats néolibéraux imposés par les puissances économiques dominantes ; et surtout le fait de pouvoir en pleine période néolibérale voir globalement ses conditions de vie s’améliorer ; tout cela est loin d’être négligeable et reste véritablement porteur d’avenir.

En fait la question n’est pas tant de critiquer la révolution bolivarienne, elle est dans la manière dont on le fait. Dans notre livre nous rappelions en conclusion (p. 265) : « Il y a des critiques visant seulement à briser les potentialités d’un élan révolutionnaire (comme celles de l’opposition de droite), mais il y en a d’autres qui, au contraire, aspirent à vouloir en approfondir le cours et le caractère émancipateur. Celles-là sont absolument nécessaires, indispensables ; elles sont l’expression de la vitalité d’une révolution, son oxygène même, l’occasion d’un redémarrage ou d’une relance toujours possible de son effort transformateur et libérateur, le seul moyen de gagner à terme la bataille de l’hégémonie ».

À vous lire et en notant comment vous allez chercher à gauche des informations critiques pour les ré-inscrire dans une interprétation trop souvent droitière, je ne suis pas sûr que les vôtres appartiennent à cette deuxième catégorie.

Pierre Mouterde
Auteur (avec Patrick Guillaudat) de : Hugo Chavez et la révolution bolivarienne, Promesses et défis d’un processus de changement social, Montréal, M Éditeur, 2012


[1“Par bonapartisme, nous entendons un régime où la classe économiquement dominante, apte aux méthodes démocratiques de gouvernement, se trouve contrainte, afin de sauvegarder ce qu’elle possède, de tolérer au-dessus d’elle le commandement incontrôlé d’un appareil militaire et policier, d’un "sauveur" couronné. Une semblable situation se crée dans les périodes où les contradictions de classes sont devenues particulièrement aiguës : le bonapartisme a pour but d’empêcher l’explosion. La société bourgeoise a traversé plus d’une fois de telles périodes, mais cela n’a été pour ainsi dire que des répétitions. Le déclin actuel du capitalisme a non seulement définitivement sapé la démocratie, mais a aussi dévoilé toute l’insuffisance du bonapartisme de l’ancien type : à sa place est venu le Fascisme. Cependant, comme un pont entre la démocratie et le fascisme (en Russie, en 1917, comme un "pont" entre la démocratie et le bolchevisme) apparaît un "régime personnel", qui s’élève au-dessus de la démocratie, louvoie entre les deux camps et sauvegarde en même temps les intérêts de la classe dominante : il suffit de donner cette définition pour que le terme de bonapartisme soit pleinement fondé. Bolchevisme contre stalinisme”. Léon Trotsky (Bonapartisme bourgeois et bonapartisme soviétique), 1935. http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/bcs/bcs07.htm

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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